samedi 2 avril 2022

Nativa (1884-1955), la maîtresse de Camillien

 

Michèle Laliberté joue avec les mots depuis longtemps à titre d’enseignante de français, d’allemand et de traduction.  Les histoires des autres l’intéressent, la fascinent, la hantent, surtout celles à propos de sa famille.

Elle se remémore sa grand-mère, Florida Faubert Laliberté, puis elle se tourne vers une autre figure fascinante du clan, Nativa, sa grand-tante. Après avoir écouté la parenté, consulté les albums et effectué des recherches archivistiques, il en est résulté ce très intéressant roman biographique Nativa (1884-1955), la maîtresse de Camillien, paru dans la collection Mobile aux Éditions Sémaphore. 

Camillien, c’est nul autre que Camillien Houde (1889-1958), connu surtout comme ancien maire de Montréal et pour s’être opposé farouchement à l’enrôlement obligatoire lors de la Seconde Guerre mondiale.

Ce livre dépeint la période qui couvre de 1880 à 1965 au Québec et en Nouvelle-Angleterre où tant de Québécois s’exilèrent temporairement ou pour toujours dans les P’tits Canada. Des photos familiales agrémentent l’histoire de cette famille.

L’intérêt de cette parution tient à la fois pour la qualité littéraire du texte, la psychologie des personnages que pour le portrait de cette époque étouffante marquée par le souci des apparences, la pauvreté, la religion et les classes sociales.

À lire évidemment si l’histoire du Québec et des Franco-Américains vous intéresse.


© Photo, texte du billet, Denis Morin, 2022


samedi 26 mars 2022

Mes forêts de Hélène Dorion

 

J’attends impatiemment chaque parution de Hélène Dorion. Celle de Mes forêts aux Éditions Bruno Doucey en 2021 ne fait pas exception.

Comment vous expliquer ce recueil ? Imaginez la poète installée au milieu d’un secteur boisé qui écrit au rythme des saisons et des cycles. Vie, envol, retombée, apparente mort, renaissance. Tout s’écrit sur le lichen et tout s’inscrit sur l’écorce des grands arbres. Sous son regard, la nature vibre. Même le silence est chargé de battements d’aile de la chouette, de feuilles soulevées par le vent, de rais lumineux traçant un chemin sur la neige. La mousse absorbe une partie de l’eau du ruisseau où une biche s’abreuve les oreilles bien tendues. La clarté rend les jeunes pousses presque translucides. La buse est aux aguets et un renard là-bas renifle les herbes nouvelles. Un souvenir familial remonte à la mémoire : la mère attentive et prévenante chantait, le père détournait trop souvent le regard, les deux sœurs rêvassaient sous les promesses de l’été. Puis est venue la conscience du monde et de ses horreurs et de ses possibilités créatrices ou destructrices, selon les humains. La poésie ici est impressionniste faite de ressentis.

La poète retourne toujours vers ses forêts pour se recentrer, s’apaiser, goûter à l’amour, écouter de la musique, gambader par les sentiers, dénicher une strophe ou une image. Ainsi, la genèse des textes point à l’aube. 

Le recueil Mes forêts est du baume et une accalmie au milieu du chaos des jours. À lire évidemment.

Extrait :

« mes forêts sont des greniers peuplés de fantômes

elles sont les mâts de voyages immobiles

un jardin de vent où se cognent les fruits

d’une saison déjà passée

qui s’en retourne vers demain »

 

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait d’H. Dorion, Denis Morin, 2022


dimanche 20 mars 2022

Du coup, j'ai fui la France d'Anaïs Gachet

 

Le courrier m’apporte l’essai Du coup, j’ai fui la France d’Anaïs Gachet publié en 2022 chez Hashtag à Montréal.

En lisant le nom de famille Gachet, je pense inévitablement au Dr Gachet, médecin français et ami protecteur de Vincent Van Gogh, le peintre hollandais inconnu de son vivant. Puis retournant le livre pour consulter la photo de la 4e de couverture, je vois la photo de l’autrice que je soupçonne d’être à la fois de la Méditerranée et de la Russie avec cette mélancolie slave dans le regard.

En fait, on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre. Cette nouvelle Québécoise au nom de famille français possède aussi des racines italiennes et russes. Dans cet essai fort pertinent, elle s’interroge sur la différence entre un expatrié et un migrant ou un réfugié. Bien documenté, le livre donne des pistes de réflexion. À cela, elle ajoute deux autres niveaux de lecture avec son vécu personnel et le parcours de ses ancêtres ayant choisi la France comme terre d’asile et d’exil.

Au travail, j’ai un collègue né en France et aux ancêtres belges et hongrois. Il est parti pour les mêmes raisons qu’Anaïs. Si elle a choisi le Québec pour y vivre, ce fut parce qu’elle croyait son avenir tel un horizon ennuagé dans l’Ancien Monde. On ne se déracine pas par plaisir. À présent, elle est travailleuse culturelle à Montréal et ne regrette rien. À lire évidemment pour mieux comprendre les migrations.

Extrait :

« Tant que j’étais une fille blanche vivant dans mon pays majoritairement blanc où personne ne me posait la question d’où je venais, je prenais mon identité pour quelque chose de figé et d’acquis, ou plutôt je ne me posais pas vraiment la question. En arrivant au Québec, je n’étais plus juste moi, j’étais aussi l’autre. »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait d’A. Gachet, Denis Morin, 2022


La soeur de l'autre, Isabelle Rimbaud de Josée Marcotte

 

Après des années de recherche documentaire, Josée Marcotte publie chez Hamac une biographie romancée ou un roman biographique – si vous préférez – La sœur de l’autre, Isabelle Rimbaud. Elle vécut de 1860 à 1917, tandis qu’Arthur de 1854 à 1891.

Outre la description du milieu familial, l’intérêt de ce livre réside dans ce tableau de l’époque marquée par la Guerre franco-allemande de 1870 et la Première Guerre mondiale. Après quelques naissances, l’officier Rimbaud déserte le foyer familial. À l’instar du père, les deux fils ne songent qu’à l’errance et à la vie nomade. Quant aux filles, on meurt jeune ou on se soumet aux diktats d’une matriarche aigrie, férue du catholicisme étouffant de l’époque.

Comme un talent ne vient pas seul dans une famille, Arthur le poète a une sœur Isabelle qui dessine et écrit. Pour s’évader de l’emprise de la mère sévère, elle épousera un biographe et peintre, admirateur de son frère. Elle tentera de sauver l’image d'Arthur le vagabond un temps amant de Verlaine, trafiquant d’armes, le travestissant en converti apaisé, porteur de lumière. Elle essuiera des refus et des reports de parution. Elle écrira des chroniques de la Première Guerre mondiale guerre intitulées au sujet, Dans les remous de la bataille. En 1919, Mon frère Arthur paraîtra à titre posthume.

Dans le monde machiste des lettres, les femmes n’eurent droit voix au chapitre au sein du monde littéraire de la francophonie que grâce à la résilience de Georges Sand, Colette, Simone de Beauvoir, Duras, Yourcenar et bien d’autres.

Le présent roman biographique montre le courage d’une femme plutôt conservatrice qui veut s’affranchir de l’oppression et s’épanouir, en dépit des contraintes de l’époque. Voici un très bel ouvrage dont je vous recommande la lecture.

 

© Photo, texte, Denis Morin, 2022


lundi 7 mars 2022

Dripping sur tatami de Hector Luis Marino

 


D’entrée de jeu, je vous fais cette confidence : trop gauche je n’ai jamais été doué pour les sports, mais j’aime la ténacité et l’atteinte d’objectifs des sportifs. Par contre, des livres sur l’histoire de l’art, j’adore. Dans le présent roman Dripping sur tatami, paru en 2021 dans la collection Nouvelles Pages chez JDH Éditions, nous avons la synthèse de ces deux univers, judo et peinture. Pas banal du tout, vous dis-je.

En parcourant les premières pages, je suppose qu’Hector Luis Marino est Hugo qui nous racontera son histoire familiale de l’Algérie, à Marseille, sa valse-hésitation entre la création artistique et le sport, le retour de cet ancien amour pour la peinture et la prise sous son aile de deux talentueux jumeaux. Il les entraîne, les encourage, les protège comme s’ils étaient ses enfants. Maître Nagao, un sensei, les guidera aussi dans leur entraînement. C’est par ces deux jeunes qu’Hugo retournera aux sources en Algérie. La vie est une suite ininterrompue de cycles, de retournements, de prises de conscience.

Au parcours d’Hugo sont intercalés des segments relatifs à Yves Klein et à Nicolas de Staël. Si le premier peintre a sauté dans le vide dans un but artistique, le deuxième du haut de sa terrasse est appelé par le vide et le tourment amoureux.  Puis Hugo retombe aussitôt sur ses pattes dans le fil narratif qui nous amène un peu plus loin.

Hugo sera-t-il reconnu comme peintre ? Hakim et Farrid monteront-ils sur les podiums ou seront-ils condamnés au désœuvrement des banlieues ? Et si l’existence nous poussait justement à dépasser nos limites.

Hector Luis Marino écrit avec l’esprit et le cœur. L’empathie, le silence, la beauté, le besoin de créer font partie de son univers quotidien. On le sent bien. Pour l’amour du judo et pour celui de la peinture, je vous invite à lire ce roman hybride. Ippon!

À présent, je lance le défi à l’auteur de nous écrire une suite. Imaginons Hakim et Farrid dix ans plus tard. À suivre.

Extraits : 

« Son admirable équilibre ne tenait justement que par son apparent inachèvement et il suffirait d’un trait, d’un point pour gâcher probablement l’œuvre de sa vie. Nicolas de Staël s’inquiéta en s’imaginant le lendemain, délesté de cette lucidité que seul l’alcool pouvait lui offrir, être dans l’incapacité de résister au besoin de vouloir faire mieux encore et saccager par un aplat de trop l’absolue harmonie de la toile. »

« Ferrid se vêtit du judogi blanc pourvu du dossard et de l’emblème de la France, et Hakim du judogi bleu, celui de l’équipe nationale algérienne. (…) Leur secrète initiative représentait pour eux l’acte d’amour suprême. Voilà la seule raison pour laquelle ils se battirent comme des chiens. Pour que leur propre identité soit effacée au profit de l’autre, dans un monde où la notion même de la compétitivité impose l’anéantissement d’autrui au profit de sa propre gloire personnelle. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de HLM, Denis Morin, 2022

 

 

 

 


vendredi 4 mars 2022

Ce livre ne s'adresse qu'à 0,00005 % de la population de Bertrand Laverdure

 

Bertrand Laverdure est polyvalent : poète, romancier, librettiste, wikipédiste, ex-chroniqueur littéraire à la télé, Poète de la cité de Montréal de 2015 à 2017.

Il vient de faire paraître Ce livre ne s’adresse qu’à 0,00005 % de la population chez Hamac, dans la collection poésie. Ce recueil empreint d’une grande lucidité pose la question sur le lectorat restreint de ce genre littéraire. Le public consomme des livres de cuisine, déco, informatique, des traités pratico-pratiques, des romans d’écrivains connus. Par conséquent, les nouvellistes, les dramaturges et les poètes restent à la traîne, ce qui est déplorable en soi.

On dit que la poésie est si personnelle et hermétique. C’est vrai qu’elle est porteuse d’émotions et de ressentis. En ce sens, le poète endosse le rôle du témoin de l’humanité. Par son expérience, les métaphores et les réflexions, le lecteur se reconnaît en lui. Le public écoute des chansons, sans comprendre qu’il consomme aussi de la poésie agrémentée de musique.

Le poète déambule au cimetière de Montparnasse à Paris où il songe aux poètes et aux philosophes qui ont connu cette ville. Il partage des moments de sa colocation d’appartement, rédige des cartes brèves, observe les passagers et les mendiants SDF à la station de métro McGill.

Il résulte de la lecture du recueil d’être en présence d’un individu qui expose des parcelles de lui-même et de nous, par effet-miroir, en toute lucidité. J’ai aimé ce recueil. Je me suis reconnu dans son propos sur l’écriture de poésie.

Extraits :

« Je ne sais plus à qui je m’adresse mais je m’adresse. Je continue. J’allonge la logorrhée des heures dans l’île épicentre (la terre), j’ajoute, j’étire, je fabrique du non-silence. Du différent… »

 

« Nous sommes des primitifs

Avec des outils délictueux

des ventres d’oiseaux malades »

 

« Ne jamais être soi ne fatigue personne.

La mort ne vient pas sur un lit froissé

hier, je me suis vu

dans le métro, je ne choisis que la barre triple,

la fourche publique

pendant mon ascension, les escaliers Billie Eilish

imitent des voix »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de B. Laverdure, Denis Morin, 2022

 

 

 


vendredi 18 février 2022

Moustiquaire et krazy glue de André Abat-Roy

 

Finissant à l’École de danse contemporaine de Montréal, André Abat-Roy s’intéresse tout autant à l’écriture, à la musique, puisque la vie est en mouvement comme les mots tracés sur une page et comme les gestes effectués dans un espace scénique.

Il signe aux Éditions Hashtag son premier recueil de poésie Moustiquaire et krazy glue où il tente de saisir ce monde qui le fascine et le dépasse. Il s’exprime comme sa mère et observe son père taiseux. Le poète s’énergise l’été en se couchant nu et en faisant déjeuner sur l’herbe. Il réfléchit sur l’incommunicabilité entre les êtres. Il s’amuse du chien qui cherche le dehors et se questionne sur ses visiteurs qui tardent à quitter et qui causent inlassablement sur le perron. Il craint la folie de la modernité épuisant toutes les ressources naturelles et humaines.

Le poète en herbe fait preuve de compassion, de jeux de mots créatifs et d’images tendres. C’est justement la tendresse à l’égard des autres et une certaine solitude introspective qui lui permettront de créer sa vie, malgré l’apparent chaos du monde.

Une nouvelle plume à lire. Vivement le prochain opus.

Extraits : 

« ne rien oublier

ne rien perdre de vue

ne rien perdre de l’immensité de l’existence

ne rien perdre d’un matin qui se lève du pied gauche »

 

« un vélo passe devant mes yeux

compostelle en dedans de toi

retrouve l’atome origine »

 

« je compte et recompte

huit non neuf pépins

juste assez pour devenir

moi aussi

arbre à fruits »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de A. A.-R., Denis Morin, 2022


lundi 14 février 2022

Toucher la terre ferme de Julia Kerninon

 

Chaque parution de Julia Kerninon est attendue comme on espère des instants de grâce. Ils sont au rendez-vous. Elle est docteur ès lettres. Une fois cela dit, l’érudite est dotée d’un talent indéniable cultivé, travaillé depuis longtemps. Certaines gamines apprennent le piano. Dans son cas, elle joue du clavier de machine à écrire depuis l’enfance. La musicalité des sons s’est transposée en textes habiles et sentis.

Ce récit autobiographique, Toucher la terre ferme, ne fait pas exception. J’oserais dire que c’est un livre sur les amours : celui de la grand-mère Kerninon, celui des parents hyper protecteurs, de ces mecs gonflés de désir mais qui vous laissent poste restante pendant des lunes, de ce gentil garçon qui répand du sirop sur les gaufres du matin et se transforme peu à peu en amoureux, puis celui des deux fils qui vont reconfigurer le cours des saisons.

Cet enracinement s’inscrit inévitablement dans le cycle de la vie et dans la douleur du corps. Est-ce que la romancière cohabite toujours bien au côté de l’épouse et de la mère ? Est-ce que la maternité correspond à une méthode toute tracée d’avance ? N’est-elle pas constituée de ces découvertes au quotidien qu’ont vécues auparavant d’autres femmes de la famille ? La nomade finira-t-elle par s’ancrer autour de sa famille naissante ? Lisez, lisez-la, pour en savoir davantage. Ne comptez pas sur moi pour vous livrer toutes les clefs déverrouillant les portes de sa demeure. Sa plume s’en chargera très bien.

Dans un premier temps, je vous invite tout simplement à ouvrir cet écrin rose corail et à parcourir l’itinéraire de l’écrivaine. Puis, dans votre enthousiasme certain, poussez votre curiosité un peu plus loin comme je l’ai fait en lisant tout le corpus littéraire de Julia Kerninon. Un écrivain de maintenant. Elle sera indémodable demain.

Extraits : 

« Une intéressante maxime de mon père : Ta liberté s’arrête là où commence celle des autres. J’avais bien compris. La première chose que j’ai faite quand j’ai pu, ça a été de fuir les autres. Je voulais me comporter dignement, mais je voulais aussi désespérément être libre. »

« Il porte le prénom du saint des causes perdues, des choses perdues, et j’étais certaine d’être les deux quand je l’ai rencontré. »

« J’étais en train de transformer ma mère en grand-mère, et de la rapprocher de sa mort. De la chasser du cercle de lumière. Les matriochkas qu’elle collectionne ne lui ont rien appris sur le fait qu’un jour un bébé surgirait de mon ventre, et qu’il serait mon bébé. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Julia Kerninon, Denis Morin, 2022


samedi 12 février 2022

Boire la mer les yeux ouverts de Jean-Benoit Cloutier-Boucher

 


Il est de ces livres qui font aussi écho au vécu du lecteur avec ce père violent et son épouse malade. Je partage avec l’auteur le Bas-Saint-Laurent comme région d’origine. Nous sommes possiblement de lointains parents.

Jean-Benoit Cloutier-Boucher après des études en lettres et en révision linguistique est devenu bibliothécaire à Québec. Entre les livres à ranger, les usagers à conseiller et les recherches à effectuer à son poste informatique, il s’épanouit en toute confiance et en toute maîtrise de ses tâches. Toutefois, l’écriture des autres le ravit, mais la sienne lui est carence. Et s’il écrivait pour exprimer le vide et le silence, il raconterait à un éventuel lectorat la femme de sa vie, sa mère. D’habitude, les auteurs se lancent dans les œuvres de fiction. Néanmoins, lui, préfère en toute sincérité coucher sur papier un récit biographique à l’image d’une longue lettre-hommage à sa mère. On rit, on verse une larme. La vie est une tragi-comédie, surtout entre ce géniteur colérique et les femmes sympathiques du clan qu’elles soient la grand-mère, les tantes, la sœur, la nièce et filleule. Une fois les claques évitées, l’auteur est rassuré par l’une d’elles. Elles forment son c(h)oeur polyphonique.

J’ai ressenti bel et bien l’intention de Jean-Benoit de conserver sa mère vivante et vibrante au milieu de nous par des poèmes et des fragments de prose bien émouvants. Le défi était risqué. Nous aurions pu tomber dans le larmoiement facile. Ce n’est pas le cas. Dosage parfait. J’entends les confidences d’un fils à sa mère, tous deux assis calmement sur le bord du Lac Témiscouata par un bel après-midi de juillet. On y est si bien. Merci.

Extraits :

« Tes membres en papier-parchemin

se font la gueule

je te réinvente chaque nuit

tu es mon abribus

dans les plus grandes tempêtes »


« Tout petit, assis sur le bord de l’îlot, tu me faisais écouter tes compilations pendant que je t’aidais à cuisiner. Nous dansions dans la farine en dépoussiérant les vieux classiques. Nous faisions fondre le chocolat en brassant les plus belles mélodies. Tu me saupoudrais d’épices sucrées lors des refrains vers d’oreille. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de J.-B. C.-B., Denis Morin, 2022


vendredi 4 février 2022

Zoé de Alain Cadéo

 

Si ça continue, mon blogue de lecture tournera en festival-hommage à Alain Cadéo. J’assume mon admiration. Ce poète dans l’âme a publié en 2015 chez Mercure de France cette œuvre toute en finesse intitulée Zoé.

Je vous informe que ce roman fut traduit aussi en mandarin, comme quoi un excellent roman sait voyager.

Imaginez un homme usé par la vie, vivant loin de ses enfants devenus grands, isolé dans un bunker avec pont-levis au sommet d’une montagne. L’habitation fut aménagée par lui et Haril, un ancien légionnaire nomade. Comme voisinage, ils ont les aigles, les cerfs, les sangliers. On chauffe le poêle, on touille la soupe, puis le vin cuvé après un quignon de pain et du fromage avalé. L’amitié réchauffe le cœur et l’esprit. En l’absence d’Haril, les cahiers et les plumes tiennent compagnie.

L’homme au long manteau est surnommé Henry par une caissière de boulangerie nommée Zoé à la recherche d’un sens à sa vie. Toute pimpante et coquette, elle aimante les regards. Lui s’ennuie de ses mômes et elle de sa sœur disparue trop tôt. Chacun porte son poids de silence. Un matin, Zoé commet l’audace d’insérer un billet dans une miche et le vieux client épris de grâce et de fraternité se met à lui répondre. Ce dialogue pour deux voix esseulées se poursuit des semaines et des mois. Chacun est fasciné par les mots et la graphie de l’autre.

Il m’arrive souvent de penser que les êtres qui croisent nos vies sont comme une solution révélatrice dans laquelle on plonge un film, une pellicule pour révéler une image, celle de notre essence.  Par la suite, ces guides disparaissent, mais leurs messages demeurent inscrits en nous.

Lire du Cadéo, c’est tout simplement contempler la lumière de l’aube.

Extraits : 

« Chaque fois je me dis qu’il a raison Henry. Je ne sais pas trop à quoi ressemble la Patagonie mais ce dont je suis sûre c’est que c’est immense, sauvage et sans limites. Chaque fois ça me rend heureuse de savoir qu’en moi il y a tellement d’espace. »

« J’ai tellement appris à me contenter de peu. Tout me comble, le plus petit cadeau du monde est une joie au cœur de mon silence. Un sourire de Zoé a le pouvoir d’une pépite d’uranium. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de A. Cadéo, Denis Morin, 2022


mardi 1 février 2022

Chaque seconde est un murmure de Alain Cadéo

 

Alain Cadéo est un magicien des mots. Il transforme tout sur son passage. J’envie son aisance et cette apparente fluidité. L’expression du verbe est à la fois musicale et poétique. On se fait son théâtre et son cinéma. À un certain passage, j’ai pensé à Claude Sautet avec son film Les choses de la vie mettant en vedette Romy Schneider et Michel Piccoli.

Dans Chaque seconde est un murmure paru en 2015 chez Mercure de France, le jeune Iwill après un accident se met à errer sans but, en peine de la perte de Catherine, son amour. Il va Iwill (Je ferai, Je serai, avec sa volonté de jeune homme entêté, déjà paumé) sur les routes. À Luzimbapar, il est accueilli par la mystérieuse et sensuelle Sarah, le sympathique et colossal Laston et leur meute de chiens féroces. Elle cultive des arbres fruitiers, lui creuse une montagne. Ce couple vit en  autarcie, hippies écolos. 

Sarah remet un cahier de comptabilité que Iwill devra remplir. Ses inspirations littéraires lui proviennent le plus souvent en rêve qu’éveillé. Bref, il tarde à le remplir ce cahier aux colonnes et aux lignes presque vides. De rares feuillets témoignent de sa fascination pour ces deux geôliers si hospitaliers. Iwill veut partir, mais comment peut-on quitter quand le passé vous taraude comme une montagne à gruger, que les hôtes sont si charmants et que des cerbères montrent les crocs à l’approche des limites de la propriété ?

On peut lire subtilement dans ce cahier dont on doit noircir les pages la discipline requise pour écrire un livre, une œuvre qui se tienne à travers le temps.

Et si la vie n’était qu’un songe tel un itinéraire à traverser ? Et si l’on fuit inévitablement la famille pour mieux définir son être et sa destinée ? Iwill ne maîtrise en fait pas grand’ chose. Il s’en remet au temps qu’il fait, à Sarah qui incite à la confidence et à Laston bien content d’avoir un compagnon de corvée. Force est de constater que l’auteur tire bien les ficelles de ce huit clos. La nymphe, le baraqué et le maigrelet évoluent en parallèle. Les cordes s’entremêlent parfois volontairement selon les scènes qui se jouent devant nous comme des étreintes échangées juste avant l'aube.

Vous ai-je dit que l’écriture d’Alain Cadéo est envoûtante et onirique à souhait ?

Extraits :

« Merci Sarah pour ce cahier noir. Toutes ces pages de jour, de nuit, de vie, de mort, à étaler sur la mie grasse du papier. Je peux sauter des lignes, je peux y courir ventre à terre ou m’y traîner comme un escargot, faire du mot à mot… »

« Je suis grand, bègue, roux et pudique et votre gentillesse à tous les deux me touche et me bouleverse mais, c’est plus fort que moi, j’ai des fourmis dans les jambes, j’ai besoin de me lever comme Lazare. »


© Photo, texte du billet, sauf les extraits d’A. Cadéo, D. Morin, 2022