samedi 30 avril 2022

Petit bouton de nacre de Ella Balaert

 

Vous ai-je déjà dit que les livres viennent à nous par des chemins inattendus ? À la lecture de mon poème Emily D sur mon blogue de poésie, l’écrivain et animateur culturel français Bertrand Runtz m’envoie un message. Ce poème était constitué d’une photo de boutons blancs et se terminait par une évocation de la poète américaine ayant vécu au 19e siècle.

Il me suggérait de lire Petit bouton de nacre, roman de Ella Balaert, paru en 2018, dans la collection La vie rêvée des choses aux Éditions Cours toujours. Fou comme je suis, je me suis procuré le bouquin et des boutons de nacre. Ce livret à l’écriture minimaliste de 81 pages voit défiler ses personnages de 1947 à 2017 entre la Polynésie et la Métropole.

Un pêcheur de coquillages perd la tête à cause de trop fréquentes plongées, une femme perd la sienne fascinée par un industriel français de passage. Qu’ont en commun cette vahiné, une autre femme quittant une île paradisiaque pour l’Oise, une troisième obsédée par l’idée de visiter la Polynésie et une quatrième, ravissante mannequin ? Je vous dirai que cela tient en deux boutons de nacre en forme de fleur d’hibiscus. 

À la toute fin, un album de photos anciennes nous montre un atelier de fabrication de nacre, ce matériau si ravissant. 

Pour le reste, je ne peux que vous inviter aux voyages procurés par cette lecture agréable.

Extrait : 

« Sans faire de bruit, Héréméti change sa robe blanche et sa veste contre une jupe évasée et un corsage assez peu sage, celui-là même qu’elle avait cousu pour ses noces, et que ferment les ravissants boutons de nacre d’Aumoé. Elle le garde pour les belles occasions… »


© Photo, texte, sauf l’extrait de Ella Balaert, Denis Morin, 2022


samedi 16 avril 2022

J'ai embrassé le chant de l'olivine rêveuse avant qu'elle ne touche le sol de Stève Michelin

 

Stève Michelin publiait en 2019 à Nantes aux Éditions du Petit Véhicule le recueil de poésie J’ai embrassé le chant de l’olivine rêveuse avant qu’elle ne touche le sol, qui est magnifiquement illustré grâce à l'oeil d’Anatoly Orlovski. Ce livre-objet se parcourt lentement. On prend son temps. On lit et on relit. On se délecte. Le visuel est l’écho des textes. La sensibilité du poète se présente en parallèle à celle du photographe. Équilibre parfait entre ces deux artistes.

Stève Michelin est un jongleur de symboles libre comme le vent dans l’imagin-aire (sic). Ses poèmes se bâtissent à partir de moments de désespérance face à la bêtise humaine et de clairières lumineuses apaisantes. Le promeneur solitaire se fait solidaire de ses contemporains. Contemplatif en son essence, il préfère les sentes du sous-bois aux larges avenues urbaines. On ne peut s’y opposer. La sérénité est un art de vivre. La musique et l’amour des mots rejoignent les êtres aimés que l’on étreint et le partage de la table.

Issue d’une tradition toute française du maniement du verbe en toute élégance, Stève Michelin saupoudre des images et des sons et me voilà, en quête de sens devant cette beauté étalée. Sa poésie si intelligente et subtile est mieux saisie par le cœur et l’intuition. L’analyse trop savante est à proscrire et à laisser au vestiaire. À le lire, je l’entends déclamer avec confiance la primauté de la vie sur les ténèbres.

Je vous recommande fortement la fréquentation de ses vers. Ravissement poétique au rendez-vous.

Extraits : 

 

« Maintenant que tu as perdu tous tes fruits sous ton pied alexandrin

de cet alcool en jaillira une danse et les étoiles en seront étourdies. »

 

« On dirait bien que j’ai le goût des dégâts

puisqu’ils se livrent à moi

dans leur espérance réparatrice. »

 

« Poème au bord des lèvres du silence

l’haleine sonore

la plume pourfendant l’enclume. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Stève Michelin, Denis Morin, 2022


vendredi 8 avril 2022

Les ombres blanches de Dominique Fortier

 

Dominique Fortier publiait en 2018 (réédité en 2020 dans la collection CODA) chez Alto, Les villes de papier, un superbe roman biographique, à propos de la poète Emily Dickinson.

Emily a continué de la hanter, si je puis m’exprimer ainsi. L’écrivaine devait amorcer et poursuivre d’autres projets littéraires, mais la voix d’Emily la ramenait inévitablement vers Amherst. Dans Les ombres blanches, paru en 2022 chez Alto, nous reprenons la route vers la Nouvelle-Angleterre et nous entrons dans cette grande maison couleur thé au lait aux volets vert forêt. Emily avait sa chambre à l’étage.

Des poèmes sur des retailles, des revers d’enveloppe surgissent à l’ouverture des tiroirs d’une commode. Des mots papillonnent sur le papier jauni. Des lettres complètent ce théâtre scriptural.

Sa sœur Lavinia, son frère Austin et son épouse Susan, Mabel une voisine – maîtresse du frère –, Millicent, la fille de Mabel, mettent la main à la pâte pour déchiffrer, tenter de classer, puis parvenir à révéler au monde la petite musique intérieure de la disparue.

Outre la plume envoûtante de Dominique Fortier, je ne passerai pas sous silence la magnifique photo de Rachel Monnier en couverture.

Si vous aimez la prose poétique, une écriture intimiste, les fleurs destinées aux herbiers, vous devez alors absolument lire Les villes de papier et Dans les ombres blanches. De plus, j’adore quand des Québécois.es s’attaquent aux monuments de la littérature mondiale. Nous nous ouvrons alors à l’universel.

Extraits :

« Combien de personnes faut-il pour faire un livre ? Combien d’être chacune de ces personnes contient-elle à son tour, combien de fantômes ? Et si c’étaient les fantômes qui écrivaient ? Quand aujourd’hui je dis « je », qu’est-ce qui parle ? »

« Lavinia se demande si les poèmes sont semblables à un jeu de cartes, qu’il faut absolument toutes posséder pour pouvoir réussir une patience. Devant la porte fermée le dixième jour, après mûre réflexion, elle décide que cela n’a pas d’importance s’il en manque : au diable la réussite, ils n’ont qu’à en faire un château. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Dominique Fortier, Denis Morin, 2022


samedi 2 avril 2022

Nativa (1884-1955), la maîtresse de Camillien

 

Michèle Laliberté joue avec les mots depuis longtemps à titre d’enseignante de français, d’allemand et de traduction.  Les histoires des autres l’intéressent, la fascinent, la hantent, surtout celles à propos de sa famille.

Elle se remémore sa grand-mère, Florida Faubert Laliberté, puis elle se tourne vers une autre figure fascinante du clan, Nativa, sa grand-tante. Après avoir écouté la parenté, consulté les albums et effectué des recherches archivistiques, il en est résulté ce très intéressant roman biographique Nativa (1884-1955), la maîtresse de Camillien, paru dans la collection Mobile aux Éditions Sémaphore. 

Camillien, c’est nul autre que Camillien Houde (1889-1958), connu surtout comme ancien maire de Montréal et pour s’être opposé farouchement à l’enrôlement obligatoire lors de la Seconde Guerre mondiale.

Ce livre dépeint la période qui couvre de 1880 à 1965 au Québec et en Nouvelle-Angleterre où tant de Québécois s’exilèrent temporairement ou pour toujours dans les P’tits Canada. Des photos familiales agrémentent l’histoire de cette famille.

L’intérêt de cette parution tient à la fois pour la qualité littéraire du texte, la psychologie des personnages que pour le portrait de cette époque étouffante marquée par le souci des apparences, la pauvreté, la religion et les classes sociales.

À lire évidemment si l’histoire du Québec et des Franco-Américains vous intéresse.


© Photo, texte du billet, Denis Morin, 2022