Il est toujours intéressant de découvrir
à titre de blogueur et de lecteur une nouvelle voix en littérature. Tout
récemment, j’ai pu lire La valse et Éloi et la mer de Karine Geoffrion,
romancière publiée aux Éditions Sémaphore. Elle livre ici ses impressions sur son
processus créatif. Je l’en remercie grandement.
Quel est le premier livre lu ? À
quel âge ?
Enfant, j'avais toujours un livre
sous le nez. Mais les premiers romans que j'ai lus ont sans doute été Les malheurs de Sophie, Les petites filles
modèles et Les Vacances de la
Comtesse de Ségur, trilogie reçue en cadeau pour ma fête vers
l'âge de 7 ou 8 ans. Toutefois, lorsque je repense à mon adolescence, c'est le recueil
La femme rompue de Simone de Beauvoir,
que j'ai dévoré à 15 ans, qui a été marquant pour moi et a influencé mon cheminement.
Au contact de ce livre, j'ai développé une affinité particulière avec Beauvoir,
qui perdure encore aujourd'hui.
Quel est le dernier livre lu ?
Pourquoi ?
Pendant le confinement, j'ai eu
envie de relire certains romans que j'affectionne beaucoup et que j'ai lus au
début de l'âge adulte. Il y a quelque chose d'attendrissant dans le fait de
relire un livre que l'on a aimé dans le passé et de le redécouvrir vingt ans
plus tard. On peut en apprendre beaucoup sur soi, sur la façon dont nos pensées
ou nos conceptions de la vie ont évolué au contact des années. Ma dernière
lecture est donc L'amour au temps du
choléra de Gabriel Garcia Marques, un livre qui m'émeut toujours et qui, dans
le contexte pandémique actuel, revêt une dimension particulière.
Est-ce que l’écriture a devancé
les études en lettres ?
D'aussi loin que je me souvienne,
j'ai toujours écrit des carnets ou journaux intimes, ressenti le besoin de m'exprimer
par l'écriture et de comprendre le monde qui m'entoure. Mais la plupart de mes
projets littéraires demeuraient inachevés puisqu'il y avait constamment, comme
une hantise, une peur de l'échec. Pendant mes études en littérature, j'ai donc beaucoup
plus lu et étudié l'oeuvre de d'autres auteurs. Ma maîtrise, qui portait sur la
figure du poète maudit, était d'ailleurs en recherche et non en création
littéraire. Dans un sens, ces nombreuses lectures m'ont permis de réfléchir sur
le processus d'écriture et ainsi trouver ma propre voix.
Seriez-vous tentée par la
scénarisation (télé, cinéma) ?
En ce sens que votre écriture est
très visuelle comme un long travelling. Oui, l'on me mentionne souvent que mon
écriture est cinématographique. Quand j'écris, je vois inévitablement défiler les
images dans ma tête; la mise en scène visuelle, la notion d'espace et
d'environnement, comme les textures, les couleurs, les sons, les saisons, sont au
cœur de mon processus d'écriture et sont intimement liées à mes personnages. Ayant
fait des études en cinéma et en théâtre avant de me consacrer aux études
littéraires, ce sont aussi des arts que j'apprécie et qui restent importants
dans ma vie. Je ne dirais pas non si l'occasion se présentait.
Vous faites usage de la
narration omnisciente dans vos deux romans Éloi et la mer et La valse
où l’on ressent tout de même le tourment de deux femmes : une mère entre
deux eaux et une femme superficielle qui mise sur le paraître. Pourquoi y
a-t-il absence de répliques et de dialogues ?
C'est une bonne question. Je dirais
que ce n'est pas tant une question de choix que l'expression naturelle de mon
style ou de ma façon d'aborder l'écriture qui est davantage intimiste, contemplative.
J'aime construire des personnages complexes, parfois même dérangeants, et
exposer de façon objective, ou distancée, si l'on peut dire, leurs motivations
psychologiques, leurs failles, leur désarroi. C'est ensuite aux lecteurs de se
faire leur propre opinion.
Les personnages féminins
sont-ils plus intéressants comme sujet d’observation ?
Plus intéressants je ne sais pas,
mais ces dernières années, ce sont effectivement les femmes, croisées
brièvement ou proches de moi, qui m'émeuvent par leurs craintes, leurs doutes,
leurs combats au quotidien, et avec qui je sens une connivence, une filiation. Il
y a aussi une part de résonance personnelle à ce choix : à travers ces
personnages féminins, je parle toujours un peu de moi.
Qu’est-ce qui déclenche le texte
?
Des contradictions, des tensions, des
exaspérations ou des émotions parfois envahissantes que seule l'écriture peut
libérer. J'aime explorer des moments charnières de la vie humaine où rien ne va
plus, où le destin d'une personne vacille en un instant. Dans Éloi et la mer, mon premier roman, ainsi
que dans La valse, il y a de cela :
deux femmes qui, confrontées à des situations hors de leur contrôle et
déchirées par des angoisses qu'elles ont du mal à étouffer, se retrouvent seules
face à des choix déterminants.
Vous imposez vous un plan
d’écriture ou vous laissez-vous porter par les personnages et l’histoire qui
défile sous vos yeux ?
Les plans ne me connaissent pas! En
fait, je débute toujours mes romans par une phrase qui me trotte dans la tête, que
je peux me répéter pendant des jours, et qui incarne ou englobe le ton,
l'émotion que j'ai envie d'explorer ou la ligne directrice du récit. De plus, la
fin m'habite toujours avant de commencer un roman. L'écriture devient donc une
sorte de pont à construire, à imaginer, qui reliera ces deux éléments.
La littérature-jeunesse vous
intéresserait-elle ou pas ?
Dernièrement, et pour la première
fois, l'idée m'a traversé l'esprit. Puisque j'ai deux fils qui adorent la
lecture, j'aimerais peut-être, un de ces jours, publier un livre qui leur
plairait, auquel ils pourraient s'identifier, et qui aborderait certains défis
qu'ils doivent affronter au quotidien.
Que serait un instant de grâce
en écriture ?
Lors de la réécriture, après
plusieurs essais infructueux, lorsque je réussis enfin à trouver la justesse
d'un mot ou d'une phrase et à transmettre l'émotion ou l'image que j'ai en tête.
Puisque j'ai tendance à retravailler beaucoup mes textes, et parfois
maladivement, ces instants de grâce, où la musicalité et la précision me
satisfont, m'apportent un sentiment de plénitude, de grande satisfaction.
Écrivaine du silence ou de la
musique de fond ?
Surtout du silence, je dirais. J'ai
tendance à déclamer à voix haute mes textes lors de la réécriture; la sonorité et
le rythme de mes récits étant au cœur de mon processus d'écriture. Cela peut
sans doute s'expliquer par le fait que j'ai fait beaucoup de théâtre dans le
passé : avoir le bon rythme, l'intonation, et respecter la fluidité d'un texte
dramatique sont au cœur du travail de comédienne. Naturellement, j'appréhende
l'écriture de la même façon. Toutefois, si l'envie me prend d'écouter de la
musique au début du processus, j'écoute de la musique classique, plus
précisément des pièces de piano, instrument que j'affectionne beaucoup.
© Entretien, Denis
Morin, Karine Geoffrion; portrait, Louis Geoffrion; photos des livres, Denis Morin, 2021.