dimanche 25 avril 2021

Pas dire de Baptiste Thery-Guilbert

 

C’est toujours avec une joie singulière qu’une nouvelle voix dans les lettres s’annonce. En 2021, je découvre Pas dire de Baptiste Thery-Guilbert dans la collection Sauvage chez Annika Parance Éditeur. 

Tout d’abord, ce gris de la couverture me replonge inévitablement dans l’ambiance de Paris avec les toitures qui coiffent les immeubles haussmanniens en zinc et en ardoise, sans oublier ces ciels d’un gris mélancolique surplombant la ville lumière. 

Il y a ensuite ce jeune homme né en 1999 qui cerne très bien les années 1987-1992, ère anxiogène à souhait où le sida décimait des gens dans la force de l’âge.  Sa plume authentique rejoint avec force celle du romancier Hervé Guibert, auteur de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, et celle du dramaturge Jean-Luc Lagarce, auteur de Juste la fin du monde (que Xavier Dolan a adapté au cinéma). Des thèmes se recoupent et des familles d’artistes se créent inévitablement.

Le narrateur cherche qui il est, tout en étant amoureux d’un être torturé de son âge. Ses amis tentent de comprendre et sa famille se questionne sur son identité, son présent et son avenir. Ce roman bref se lit du début vers la fin ou de la fin vers le commencement. On y va en diminuendo dans un sens ou en crescendo à revers avec des nuances dans l’émotion comme si on écoutait une chanson interprétée par Maurane ou Lara Fabian.

À notre époque, l’homophobie sévit encore. Aimer et désirer sont inévitablement liés à l’expérience humaine. Ça Baptiste Thery-Guilbert l’a bien saisi. Bravo pour ce premier opus très fort ! 

Extraits :

« Il ne sait pas que quand il dit ou fait quelque chose que j’estime important, ce sera noté sur une page, sur plusieurs lignes. Il ne sait pas et s’il savait il me haïrait sans doute. »

« Entendu ce matin qu’un jeune homme s’était jeté dans le fleuve. J’appelle chez lui, il ne répond pas. Je le crois mort, noyé, son corps qui flotte emporté par le courant, emporté loin de moi. Dans mes rêves le fleuve est alimenté par mes larmes qui coulent à torrents. Mon téléphone sonne, je me précipite pour décrocher, c’est lui… »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Baptiste Thery-Guilbert, Denis Morin, 2021


samedi 17 avril 2021

Alice aux petites balles perdues de Aurélie Lesage

 

Aurélie Lesage publiait en 2020 le roman Alice aux petites balles perdues dans la collection Magnitudes chez JDH Éditions avec une illustration magnifique de Yoann Laurent-Rouault, le directeur littéraire, en couverture.

Ce bouquin pourrait débuter par un Il était une fois une adolescente plutôt ordinaire qui se sent coincée dans sa banlieue parisienne… Elle veut un sens à ses jours qui ne sont pas Disneyland. Pour se faire accepter par les autres jeunes, elle ne refuse jamais ou si peu. Un camarade lui propose le jeu stupide de la roulette russe avec un revolver contenant dans le barillet une balle à blanc et une vraie balle. Dans sa fugue, Alice se connecte en ligne pour montrer à sa bande qu’elle n’a pas froid aux yeux. Elle se tire à la caméra. Puis, de temps à autre, elle entend en elle une voix bienfaisante qui la console et lui dit qu’elle en vaut la peine.

Il y a un souffle poétique dans la plume d’Aurélie Lesage. Si j’étais enseignant au lycée, je proposerais aux étudiants ce livre en guise de lecture afin de leur éviter une conduite excessive et de leur offrir un bouquet de tendresse et de compassion.

Extraits :

« Alice, la mort n’est pas un choix, ni la vie une alternative, c’est à toi de créer la beauté qui te touche. Les dimanches incertains ne sont jamais vains, un sens est à donner, une saveur à choisir, si seulement tu savais… »

« La pluie avait cessé. Nous danserons. Nous nous amuserons ce soir. Au contact de mes nouveaux ‘’amis’’, j’oubliais les anciens, leur voyeurisme, leurs moqueries, je comprenais alors l’importance de bien choisir ses relations. J’ai déjà perdu trop de temps, j’ai parfois le sentiment que tout m’échappe... »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de A. Lesage, Denis Morin, 2021

 

 

 


samedi 10 avril 2021

En compagnie de Magalie de Yves Bouthillette

 

Le courrier m’a livré récemment un roman feel good En compagnie de Magalie signé par Yves Bouthillette et publié aux Éditions de l’apothéose en 2020.

J’ouvre la couverture bien curieux. J’y lis qu’un écrivain Yan Butler offre un livre à une jeune femme handicapée pourtant radieuse, lors d’un salon du livre. Ils reprendront contact par hasard. Elle lui lancera le défi d’écrire son histoire et celle de son amie Chloé. Ils se raconteront des parcelles de leurs vies. Magalie déclarera qu’elle est plus qu’un diagnostic, qu’un handicap, qu’une étiquette, qu’il est possible d’apprécier la magie de la vie au-delà des apparences. Elle possède en quelque sorte une mission révélatrice.

Dans ma vie personnelle, c’est à cause d’une personne comme Magalie croisée dans un train de banlieue si j’ai repris le chemin de l’écriture en 2009. J'en suis reconnaissant à l'existence.

Donc, merci à Yves Bouthillette d’avoir raconté avec délicatesse et beauté cette rencontre qui fait du bien à lire en ces temps de pandémie.

Extraits :

« J’étais impressionné par sa vivacité et sa simplicité désarmante, cette sagesse en elle ainsi que la sincérité de son cœur. Je restais là sans dire mot, savourant le moment, un de ceux qui ne passent pas souvent. J’étais suspendu à ses confidences, n’osant parler pour ne pas briser la magie. »

« Sur le sentier du retour, je passai devant le vieux puits. Je trouvai un caillou et le lançai tout en émettant un souhait. Je fis un léger détour vers la statue de Gabriel. Elle avait beau être de métal, j’avais l’impression qu’elle me souriait. Je racontai mon aventure à Sophie qui me conseille de simplement poursuivre mon projet d’écriture, en me disant ces simples mots : ‘’Tout est parfait.’’ »

© Photo, billet Denis Morin, sauf les extraits de Y. Bouthillette, 2021

 

 


mercredi 7 avril 2021

Entretien avec Karine Geoffrion

 

Il est toujours intéressant de découvrir à titre de blogueur et de lecteur une nouvelle voix en littérature. Tout récemment, j’ai pu lire La valse et Éloi et la mer de Karine Geoffrion, romancière publiée aux Éditions Sémaphore. Elle livre ici ses impressions sur son processus créatif. Je l’en remercie grandement.



Quel est le premier livre lu ? À quel âge ?

Enfant, j'avais toujours un livre sous le nez. Mais les premiers romans que j'ai lus ont sans doute été Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles et Les Vacances de la Comtesse de Ségur, trilogie reçue en cadeau pour ma fête vers l'âge de 7 ou 8 ans. Toutefois, lorsque je repense à mon adolescence, c'est le recueil La femme rompue de Simone de Beauvoir, que j'ai dévoré à 15 ans, qui a été marquant pour moi et a influencé mon cheminement. Au contact de ce livre, j'ai développé une affinité particulière avec Beauvoir, qui perdure encore aujourd'hui.

Quel est le dernier livre lu ? Pourquoi ?

Pendant le confinement, j'ai eu envie de relire certains romans que j'affectionne beaucoup et que j'ai lus au début de l'âge adulte. Il y a quelque chose d'attendrissant dans le fait de relire un livre que l'on a aimé dans le passé et de le redécouvrir vingt ans plus tard. On peut en apprendre beaucoup sur soi, sur la façon dont nos pensées ou nos conceptions de la vie ont évolué au contact des années. Ma dernière lecture est donc L'amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marques, un livre qui m'émeut toujours et qui, dans le contexte pandémique actuel, revêt une dimension particulière.

Est-ce que l’écriture a devancé les études en lettres ?

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit des carnets ou journaux intimes, ressenti le besoin de m'exprimer par l'écriture et de comprendre le monde qui m'entoure. Mais la plupart de mes projets littéraires demeuraient inachevés puisqu'il y avait constamment, comme une hantise, une peur de l'échec. Pendant mes études en littérature, j'ai donc beaucoup plus lu et étudié l'oeuvre de d'autres auteurs. Ma maîtrise, qui portait sur la figure du poète maudit, était d'ailleurs en recherche et non en création littéraire. Dans un sens, ces nombreuses lectures m'ont permis de réfléchir sur le processus d'écriture et ainsi trouver ma propre voix.

Seriez-vous tentée par la scénarisation (télé, cinéma) ?

En ce sens que votre écriture est très visuelle comme un long travelling. Oui, l'on me mentionne souvent que mon écriture est cinématographique. Quand j'écris, je vois inévitablement défiler les images dans ma tête; la mise en scène visuelle, la notion d'espace et d'environnement, comme les textures, les couleurs, les sons, les saisons, sont au cœur de mon processus d'écriture et sont intimement liées à mes personnages. Ayant fait des études en cinéma et en théâtre avant de me consacrer aux études littéraires, ce sont aussi des arts que j'apprécie et qui restent importants dans ma vie. Je ne dirais pas non si l'occasion se présentait.

Vous faites usage de la narration omnisciente dans vos deux romans Éloi et la mer et La valse où l’on ressent tout de même le tourment de deux femmes : une mère entre deux eaux et une femme superficielle qui mise sur le paraître. Pourquoi y a-t-il absence de répliques et de dialogues ?

C'est une bonne question. Je dirais que ce n'est pas tant une question de choix que l'expression naturelle de mon style ou de ma façon d'aborder l'écriture qui est davantage intimiste, contemplative. J'aime construire des personnages complexes, parfois même dérangeants, et exposer de façon objective, ou distancée, si l'on peut dire, leurs motivations psychologiques, leurs failles, leur désarroi. C'est ensuite aux lecteurs de se faire leur propre opinion. 

Les personnages féminins sont-ils plus intéressants comme sujet d’observation ?

Plus intéressants je ne sais pas, mais ces dernières années, ce sont effectivement les femmes, croisées brièvement ou proches de moi, qui m'émeuvent par leurs craintes, leurs doutes, leurs combats au quotidien, et avec qui je sens une connivence, une filiation. Il y a aussi une part de résonance personnelle à ce choix : à travers ces personnages féminins, je parle toujours un peu de moi.

Qu’est-ce qui déclenche le texte ? 

Des contradictions, des tensions, des exaspérations ou des émotions parfois envahissantes que seule l'écriture peut libérer. J'aime explorer des moments charnières de la vie humaine où rien ne va plus, où le destin d'une personne vacille en un instant. Dans Éloi et la mer, mon premier roman, ainsi que dans La valse, il y a de cela : deux femmes qui, confrontées à des situations hors de leur contrôle et déchirées par des angoisses qu'elles ont du mal à étouffer, se retrouvent seules face à des choix déterminants.

Vous imposez vous un plan d’écriture ou vous laissez-vous porter par les personnages et l’histoire qui défile sous vos yeux ?

Les plans ne me connaissent pas! En fait, je débute toujours mes romans par une phrase qui me trotte dans la tête, que je peux me répéter pendant des jours, et qui incarne ou englobe le ton, l'émotion que j'ai envie d'explorer ou la ligne directrice du récit. De plus, la fin m'habite toujours avant de commencer un roman. L'écriture devient donc une sorte de pont à construire, à imaginer, qui reliera ces deux éléments.

La littérature-jeunesse vous intéresserait-elle ou pas ? 

Dernièrement, et pour la première fois, l'idée m'a traversé l'esprit. Puisque j'ai deux fils qui adorent la lecture, j'aimerais peut-être, un de ces jours, publier un livre qui leur plairait, auquel ils pourraient s'identifier, et qui aborderait certains défis qu'ils doivent affronter au quotidien.

Que serait un instant de grâce en écriture ?

Lors de la réécriture, après plusieurs essais infructueux, lorsque je réussis enfin à trouver la justesse d'un mot ou d'une phrase et à transmettre l'émotion ou l'image que j'ai en tête. Puisque j'ai tendance à retravailler beaucoup mes textes, et parfois maladivement, ces instants de grâce, où la musicalité et la précision me satisfont, m'apportent un sentiment de plénitude, de grande satisfaction.

Écrivaine du silence ou de la musique de fond ?

Surtout du silence, je dirais. J'ai tendance à déclamer à voix haute mes textes lors de la réécriture; la sonorité et le rythme de mes récits étant au cœur de mon processus d'écriture. Cela peut sans doute s'expliquer par le fait que j'ai fait beaucoup de théâtre dans le passé : avoir le bon rythme, l'intonation, et respecter la fluidité d'un texte dramatique sont au cœur du travail de comédienne. Naturellement, j'appréhende l'écriture de la même façon. Toutefois, si l'envie me prend d'écouter de la musique au début du processus, j'écoute de la musique classique, plus précisément des pièces de piano, instrument que j'affectionne beaucoup.

 

© Entretien, Denis Morin, Karine Geoffrion; portrait, Louis Geoffrion; photos des livres, Denis Morin, 2021.

     


vendredi 2 avril 2021

Le ciel était fait de verre de Alexandre Rabor

 

Alexandre Rabor est un romancier indépendant français. J’ai eu le plaisir de lire et de commenter par le passé ses romans précédents : Mes hiers assassinés, Le vent emporte les hurlements, Le bleu des capricornes.

Cette fois-ci, il nous revient en 2021 avec Le ciel était fait de verre. Comme à son habitude, il écrit une romance mais teintée d’un soupçon de suspense et de magie. Ce roman se divise en trois parties : Victoire, Alice, Lara, soit les trois femmes de cette famille. La première était danseuse étoile mariée à un archéologue, la deuxième avocate ayant épousé un médecin, puis la troisième danseuse de ballet. La fatalité s’abattra sur cette famille. Mais si l’anneau des sept druides ramassé lors de fouilles sur un site celte pouvait changer le cours des événements ?

Je n’en dirai pas plus sur ce roman fort agréable à lire. Pour votre information, Alexandre Rabor est présent sur les réseaux sociaux et il tient aussi un blogue consacré à la littérature.

Un bon livre de détente à découvrir et un écrivain sympathique à encourager.

Extrait :

« Ce qu’elle ne savait pas était que même quand l’avenir paraissait bouché, même quand les océans ne semblaient n’être remplis que de larmes, même quand le ciel ne semblait n’être fait que de verre, une lueur d’espoir pouvait éteindre la nuit. » 

© Texte du billet sauf l’extrait, Denis Morin, 2021; photo de couverture, Pixabay