dimanche 24 mars 2019

Entretien avec Mireille Gagné



Cette écrivaine possède deux pôles créatifs : la poésie et la nouvelle. Aucun mot de trop pour toucher le coeur et l'esprit. Voyons ce qu'elle a à nous dire.


Comment vous est venu le goût d’écrire ?

J’ai d’abord toujours aimé beaucoup la lecture. Depuis que j’ai appris à lire, je dévore pas mal tout ce qui me tombe sous la main. Je lis presque à 100 % de la littérature québécoise. J’ai écrit de la poésie à partir du cégep. J’ai ensuite commencé l’écriture de la nouvelle à l’université et j’ai publié mes premiers recueils de nouvelles et de poésie alors que j’avais 28 ans.

Est-ce le sujet qui appelle la forme (nouvelle, poésie) ?

Ce sont effectivement les premières phrases qui me viennent en tête qui appellent la forme du texte. Si j’ai une phrase poétique, ce sera de la poésie; si c’est une idée plus conceptuelle, ce sera sans doute une nouvelle. Mais il est certain que mes nouvelles sont très poétiques et que ma poésie est souvent très narrative. Les deux formes se suivent de près.

Mireille l’écrivaine est-elle si différente de Mireille de la ‘’vie ordinaire’’ ?

Je crois qu’elles sont extrêmement différentes, car elles ne se côtoient que très rarement dans la vie quotidienne. Mais la nature les unit. C’est la passerelle entre les univers, un premier très pratique, et un second plus métaphorique.

Le territoire est très présent dans vos écrits, dans quel lieu physique ou psychologique écrivez-vous ?

J’ai deux lieux d’écriture dans ma tête. Le premier : je suis assise à l’Île aux grues au beau milieu d’un petit chemin qui mène à la grève. C’est une colline entourée de champs de trèfle. C’est un territoire que je connais très bien pour y avoir passé mon enfance. Le second : il est arrivé plus tard dans ma vie. C’est un lieu en plein cœur de la ville, à Québec, en face de Place Laurier, dans un abri d’autobus. Il est aux antipodes de ma jeunesse à la campagne, soit la ville. Il représente le quotidien effréné qui me poursuit.

Votre écriture est précise, d’une précision chirurgicale, avez-vous déjà songé aux sciences, aux mathématiques, à la musique classique ?

J’ai étudié en informatique de gestion au cégep. Malgré que je n’aimais pas vraiment ce domaine, je remarque qu’il puisait dans une de mes forces, celle de la raison et de l’équilibre. Le nombre de poèmes, la division du recueil, la conceptualisation derrière, la rythmique des mots…  Le fait qu’il ne reste jamais un mot de trop dans mes textes, cela répond à mon esprit cartésien. Je dois toutefois faire très attention de mettre en veilleuse cette caractéristique dans mon processus de création et de la faire intervenir seulement vers la fin, sinon je n’arriverais jamais à créer.

Avez-vous ou non un rituel d’écriture ?

Je n’ai aucun rituel d’écriture. Comme je travaille à temps plein et que j’ai des enfants en bas âge, je prends l’écriture quand elle passe. S’il faut que j’écrive sur une facture d’épicerie, je le fais. J’essaie de trouver un peu de temps par-ci par-là, mais quand l’inspiration arrive, c’est comme un tsunami, je dois mettre sur papier les idées sinon je les perds.

Écrire, c’est être libre. Qu’en pensez-vous ?

Particulièrement pour moi, écrire représente la liberté, car c’est le temps que je me donne pour exister en dehors du quotidien. C’est comme une vie parallèle qui se crée à mes côtés.

Avez-vous déjà songé à écrire un polar ou un scénario de film ?

J’aimerais bien écrire un scénario de film. On m’a dit à plusieurs reprises que mon écriture était très imagée. J’ai un projet potentiel avec un ami cinéaste, un retour sur mon recueil de nouvelles Le syndrome de takotsubo. À suivre…

Comment décririez-vous votre écriture en cinq mots ?

Je vise à ce que mon écriture soit le plus possible : concise, profonde, lumineuse, réflexive, innovante.

Qu’évoque l’œuvre Hommage à Rosa Luxembourg de Riopelle ?

Cette œuvre représente pour moi la liberté, la force, le chaos et l’équilibre parfaits de la nature, la migration, la chasse, la création, mon père. C’est une œuvre magnifique, c’est un recueil de poésie en soi. On pourrait y faire des millions de lectures. Elle me touche particulièrement, car mon père a connu Riopelle alors qu’il était guide de chasse et cette œuvre me donne accès à son univers et à sa beauté.

La lumière surgit-elle au-delà de l’apparent chaos du monde, à la manière des portraits de Rembrandt ?

Je crois que pour prendre conscience de la lumière, il faut creuser dans l’ombre et dans le chaos. Alors surgit la lumière dans toute sa profondeur.

D’autres projets en vue ?

Je suis en train d’écrire un 4e recueil de poésie, sur la légèreté cette fois. Je ne sais pas encore quelle forme il va prendre, mais quelques personnages ont surgi… d’autres restent à venir. Je laisse le tout prendre forme tranquillement.

© Photo, Denis Morin, 2019
    Entretien, Denis Morin, Mireille Gagné, 2019

dimanche 17 mars 2019

Minuit moins deux avant la fin de monde de Mireille Gagné



Me voici avec le troisième recueil de Mireille Gagné intitulé Minuit moins deux avant la fin du monde, recueil publié en 2018 aux éditions l’Hexagone.

Ce livre a comme prémisse l’horloge de la fin du monde créée en 1947 par des scientifiques liés à l’Université de Chicago dans un contexte de Guerre froide.  Selon les directeurs du Bulletin des scientifiques atomistes de cette institution, à l’aube de 2018, nous étions à deux minutes avant minuit, soit la fin du monde. D’ailleurs, la poète le note bien en préambule de son recueil.

Mes impressions : Un brin d'inquiétude permanente qui plane. Une course à la montre qui débute, course contre la bêtise, la destruction des écosystèmes. L’humain n’en est pas à ses premières aberrations. La Terre se fait peler l’écorce. Les capitalistes en extirpent les pépins, mais jusqu’à quand avant les soubresauts, les contrecoups, le point de non-retour ? La poète dresse un tableau désolant, un constat de nos incohérences, de nos absurdités.

Somme tout, je ne m’éterniserai pas en commentaires ni en indéterminables discours sur la recherche d'exoplanètes. Ce recueil est un livre-coup de poing qui réveille son lecteur.  J’en recommande la lecture que vous soyez écolo et encore plus si vous vivez dans le déni de l’urgence climatique.

Extraits :
« Arpenter le fossé de l’autoroute
à la recherche d’une bouteille
portant comme message
un long silence.  »

« Les revenants continuent d’affluer
devant elle
l’horloge indique presque minuit moins deux
c’est le dernier passage pour rentrer. »

« Elle n’a pas compris d’où provenait la famille de canards
coincée sur le terre-plein entre deux voies rapides
n’a jamais su si elle avait survécu
dans le rétroviseur
les souvenirs are closer than they appear. »

« Elle ne se retourne pas
la peau reste derrière
son corps
d’une blancheur aveuglante
même les satellites captent le signal. »


© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits de la poète,
    Denis Morin, 2019

jeudi 14 mars 2019

Les hommes sont des chevreuils qui ne s'appartiennent pas de Mireille Gagné


Ce deuxième recueil de Mireille Gagné fut publié en 2015 aux éditions l’Hexagone.


Mes impressions... Le recueil est construit sur la forme du diptyque avec d’une part la proie et d’autre part le prédateur. Entre les deux, il y a une trace de sang : celui que l’on verse, celui que l’on fait verser. L’intention de la bête de vivre, de survivre, tandis que chez l’humain on va en eaux troubles, selon les enjeux éthiques, politiques, économiques, idéologiques. Ces enjeux interfèrent dans la décision de laisser vivre ou d’abattre la bête. Ces mêmes enjeux sous-tendent les rapports humains.

L’oiseau chute, la victime tombe dans la fosse. On se demande finalement ce qui distingue l’humain de la bête et ce, depuis la nuit des temps.

À Lascaux, on peignait et dessinait des animaux. On imprimait ses mains, gestes incantatoires pour obtenir une meilleure chasse.

S’ensuit la domestication du chat, du loup devenu le chien, du furet, des bovidés, des ovins, de la volaille. On change maintenant de décor. On passe des forêts et des plaines aux fermes-industries. La bête sacrifiée vous arrive dans un emballage en pellicule et styromousse.  Les normes d’hygiène et les rites s’ajoutent dans le processus.

Or, la poète ne condamne ni ne juge, elle capte comme une caméra et nous redonne les faits de sa fine observation.

Je défie les professeurs de philosophie et d’anthropologie du niveau collégial d’étudier ce recueil en classe avec leurs étudiants.

Si au-delà de toute vie si éphémère soit-elle, on nous incitait à la célébrer parce que la mort finit par nous rattraper tôt ou tard. Une balle perdue, le fil d’une lame ou une morsure fatale. Tout est possible.

Mireille Gagné possède une plume toute aussi percutante que pertinente.

Extraits :

« Après chaque massacre
Je nettoie les traces de sang
Il ne faudrait pas que l’on croie que c’est moi
La bête »

« Si la mort est trop lente
Donnez-moi le corps d’une hirondelle
Pour m’écraser contre votre fenêtre »

« Je connais la hauteur
Le contact rugueux de ma joue
Sur l’asphalte
Le ciel recrache
Ses cartouches vides »

« Tout commence
C’est ici que je me lève
Pour exister »

©  Photo, texte de ce billet, Denis Morin
     sauf les extraits de la poète, 2019


dimanche 10 mars 2019

Entretien avec Suzanne Myre



Aujourd'hui, nous nous entretenons avec la nouvelliste et romancière Suzanne Myre qui manie la plume et l'humour avec finesse. Voyons ce qu'elle veut bien nous raconter. 


A quand remonte votre premier texte?
À l’adolescence, j’étais folle du groupe Genesis, des histoires que leurs chansons racontaient. Je me suis mise, pour faire plaisir à une amie qui partageait mon obsession, à écrire des nouvelles d’horreur impliquant les membres du groupe. Je faisais toujours mourir Rutherford, le bassiste qu’elle préférait aux autres, dans des souffrances atroces aux mains d’extra-terrestres très imaginatifs tandis que Tony Bank, mon chouchou, sauvait les autres membres grâce à son clavier magique. Enfin, des niaiseries de ce genre dont je rougis en y pensant. Mais la première « vraie » nouvelle (d’une dizaine de pages) que j’ai écrite m’est venue après la lecture de Les aventures de Wesley Jackson, de William Saroyan. Je ne sais pas pourquoi ce roman m’a tant marqué, mais il a été le déclencheur. J’avais début trentaine. Ça parlait d’un type qui paniquait parce qu’il commençait à perdre ses cheveux. Inspiration venant d’une hérédité capillaire désastreuse. Puis j’ai adopté un chat que j’ai appelé Wesley.

Vous écrivez romans et nouvelles, qu’est-ce qui vous fait passer d’un genre littéraire à un autre?
Hum…, ce n’est pas tout à fait cela. Je me satisfaisais amplement à écrire des nouvelles, un style qui me vient naturellement. C’est après mon 5e recueil, Mises à mort que mon éditrice s’est mis en tête de me faire sortir de ma zone de confort et disons qu’elle est non seulement têtue mais aussi très intuitive. Comme de fait, mon premier roman, Dans sa bulle, s’inspirant de ma vie de travailleuse dans un hôpital, a été mon petit best-seller. Un autre roman a suivi puis je suis revenue à la nouvelle. C’est comme ça, il n’y a pas de raison mystérieuse. Je ne sais de quoi sera fait le prochain ni quelle forme il aura.

À qui votre humour caustique plaît-il le plus ?
Oh, il faudrait demander à qui de droit ! Aux ricaneux, je suppose, à ceux qui se reconnaissent dans mon auto-dérision, ma moquerie, mon ironie. Ceux qui sont trop politiquement corrects pourraient tiquer, ils craindront peut-être de briser l’émail de leurs dents car certains de mes textes les font grincer.  Ceci dit, si on rit en me lisant, il ne s’agit pas que de cela, un rire. Se cache dessous quelque chose de grave. L’humour vient souvent par et avec une pointe de désespoir, chez moi.

L’humour, est-ce une arme pour se défendre contre la vie ?
Contre ? Dans la vie, je dirais. Je n’ai pas eu une enfance dorée, même si, quand j’étais dedans, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait, contrairement à mes frères et sœur plus vieux que moi. Nous avons tous développé une sorte d’humour, bizarrement. Alors j’imagine que oui, c’est un moyen de survie, pour se foutre de la gueule aux dents acérés d’un destin au sein duquel on doit se dépatouiller pour passer au-travers et se rendre jusqu’au bout. Dans mes livres, je n’essaie pas d’être drôle. Si je le suis, c’est à mon corps défendant, comme une seconde nature (ou une première, plutôt) qui émerge spontanément. Ceci dit, je le sais, quand c’est drôle et je m’en réjouis car rire en lisant, c’est aussi jouissif que pleurer. Les pages en gondolent, d’une autre manière.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Assurément le quotidien et toutes les choses ordinaires qui le composent, les gens, leurs prétentions et leurs difficultés à juste être, les tics, les lubies, la bêtise humaine, la sottise, les mauvais traits de caractère, les situations inusitées, dérangeantes. Plus jeune, j’étais motivée à écrire à partir d’expériences déplaisantes qui s’étaient produites dans ma vie, c’était mon matériau de prédilection. Les meilleurs exemples en sont Le cabanon, Le peignoir, La réception, Sept jours six nuits, entre autres histoires de fou. C’est moins le cas. Quoique derrière chacun de mes textes se cache quelque chose qui m’appartient. Seuls ceux qui me connaissent peuvent le ressentir, ou le deviner mais en général, je déguise bien ça.



Avez-vous l’impression d’avoir tout dit ?
Au moment de répondre à cette question, oui. Demain, ce sera peut-être une autre affaire. On pourrait affirmer que tout ne sera jamais dit mais il ne s’agit pas de cela, plutôt d’avoir juste envie d’exprimer, encore. Et c’est ça pour moi, l’écriture, un moyen d’exprimer  ce qu’il me presse de communiquer. Il me semble parfois que ma paresse de me mettre « au travail » est plus forte que mon besoin. Je suis et ai toujours été tiraillée par cette nécessité d’écrire. J’affirme que je peux très bien vivre sans écrire (pour me justifier de ne pas le faire et de vaquer à des niaiseries pour remplir le vide) mais dire pourtant que je ne suis jamais aussi heureuse que lorsque j’ai un projet en cours. Il me répugne de me forcer à m’y mettre, j’attends « le bon moment », parfois je suppose que je le laisse passer, trop occupée à être vautrée devant une série télé, ce délicieux poison maudit. Je me dis qu’il reviendra et que je saurai le saisir. C’est une idée trop optimiste pour la pessimiste que je suis. L’incubation est souvent longue.

Selon vous, les femmes ont-elles encore à se battre en littérature ?
Je ne me sens pas très concernée par ce genre de question, car je ne  pense pas à la littérature. Mais si je dois y répondre, je dirais que non, elles ont autant leur place que les hommes, des voix aussi fortes sinon plus. Ou alors je suis ignorante et elles se battent au sang.

Quels sont vos auteurs préférés ?
Il y a plutôt des livres préférés! Je lis toujours le nouveau Amélie Nothomb, curieuse de voir si celui-là sera meilleur ou moins bon car comment assurer une qualité égale quand on publie une fois l’an ? (Je suis jalouse à mort de sa productivité). J’aime les auteurs américains, sans les privilégier. Mais je lis de tout, je choisis au hasard, dans les multiples bibliothèques publiques. Ainsi, je tombe sur des trésors. Tout de suite me vient L’ours est un écrivain comme les autres de William Kotzwinkle.  Réveillez-vous monsieur! de Jonathan Ames. Ces deux se moquent des egos d’écrivains et de l’édition, j’adore ce thème et, en plus, ils sont hilarants. Je n’ai pas d’auteurs de prédilection, je ne peux dire que j’ai tout aimé de quelqu’un (mis à part Patrick Dewitt dont j’attendrai toujours avec impatience le prochain à paraître). Par exemple, j’étais morte de joie en lisant Cataonie, de François Blais, réjouie en lisant Rivières et montagne mais je n’ai pas aimé ses autres livres. J’ai adoré American Housewifes, de Helen Ellis, des nouvelles grinçantes avec lesquelles je me suis sentie des affinités. J’ai aimé l’essai de Fred Dubé,  Une pipée d’opium pour les enfants, c’est un bon chialeur, drôle avec ça, judicieux. 20 bonnes raisons d’arrêter de lire, de Pierre Ménard. Etc. Bon, j’aime ricaner quoi. Mais je lis aussi des choses sensibles et sérieuses. Heather O’Neill. Je devrais noter tout ce que je lis et aime car j’ai tendance à oublier. Mais il faut que je m’amuse en lisant (comme en écrivant), je suis un public difficile.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Un roman, un recueil de nouvelles ?
Sur rien, j’attends que la pomme tombe de l’arbre et j’espère être là pour la cueillir. Je suis assise sur les lauriers d’une nouvelle qu’on m’a commandée sur le thème des chats, qui paraîtra cet été dans la revue XYZ. Je savoure, en quelque sorte, la joie de sentir que j’ai fait un bon texte. Cela me prend du temps pour récidiver. Je l’ai dit plus haut, je m’éparpille en toutes sortes d’activités le plus souvent futiles, sûrement pour échapper à l’affreuse obligation de m’asseoir devant mon ordi et de briser la page blanche et donc ma procrastination légendaire, mon manque de confiance aussi. Je ne crois jamais que je serai capable de (re)faire quelque chose de bon. C’est ainsi. Il est possible que je ne me prenne pas assez au sérieux, moi et l’écriture, et la littérature en général, que je ne mets pas au-dessus d’une autre forme artistique.

Avez-vous un rituel d’écriture ?
Non. Je trouve ça têteux, de parler de rituels. Je pourrais faire une nouvelle mordante sur les rituels d’auteurs! Ça fait si chic de parler de rituel… J’écris quand j’écris, ça arrive n’importe quand mais il faut juste que je pose mon derrière au bon endroit. Bon, d’accord, j’aime le faire de jour, avec un breuvage chaud. Café le matin, thé l’après-midi, eau bouillie avec du citron sinon. Je grignote des choses friables en tapant sur mon clavier si bien qu’à un moment donné, certaines touches ne répondent plus, encastrées dans les  miettes jusqu’à  la racine. Il n’y a vraiment rien de spécial à dire quant à un rituel sacré. Mais, visualisons des vêtements mous, rien de serré à la talle, une posture qui n’a rien de digne. Et ma chatte Coquette ailleurs que sur mon clavier, que sur moi, loin de ma vue car elle est une irrésistible distraction.

© Photo, Eve-Maude, TC
© Entretien, Denis Morin, Suzanne Myre, 2019






samedi 9 mars 2019

Les oies ne peuvent pas nous dire de Mireille Gagné



Native de l’Isle-aux-Grues, la poète Mireille publiait en 2010 aux éditions l’Hexagone le recueil de poésie Les oies ne peuvent pas nous dire. Les textes sont concis, précis, sans mot superflu. On va directement aux images et aux émotions.

Mes impressions… Le fleuve Saint-Laurent passé Québec s’ouvre tel un oiseau qui déploie ses ailes. L’entonnoir s’élargit et les marées surviennent. C’est dans ce décor bucolique au climat rigoureux qu’elle a grandi, à l’école des saisons, bercée par l’eau, les vents, la voix de sa mère, la présence de son frère, la chorégraphie des oies.  Enfant, elle s’imaginait en devenir une.

Un jour, son père chasseur et guide de chasse ému lui offre comme cadeau une oie. La gamine ne sait pas si elle doit l’accepter ou la refuser, ébahie par la mort qui a frappé un si bel oiseau. Nature morte.

Le sang macule le plumage blanc. Les oies se mettent en pots. Les oies se mettent en mots. La vie ressort toujours vibrante à tire d’aile. Dans ce recueil, s’opposent la femme qui porte l’enfant et l’homme qui abat l’oiseau comme gagne-pain.

Mireille se revoit courant dans les herbes hautes, les joncs, file l’anguille, s’agite un cormoran. La voix de sa mère lui parvient au loin. L’enfant veut les battures, les berges, le spectacle des oies. Juste les oies, toutes les oies pour elle.

L’enfant se sait insulaire, isolée au milieu du fleuve. Parfois les cieux deviennent incertains comme une eau trouble, une encre, puis les vents chassent les nuages ou bien encore soufflent la neige en poudrerie. Le duvet cristallin des flocons est alors avalé par le fleuve.

En lisant ce merveilleux recueil de Mireille Gagné, j’avais en tête L’hommage à Rosa Luxembourg de Jean-Paul Riopelle, cette effervescence céleste en plongée et en contre-plongée. Par les mots de la poète, je vois et j’entends les oies. La nuée se déploie dans l’azur. Le passage des oies devient des esprits, des âmes, des fragments d’éternité pour l’enfant rêveuse. En fait, tout provient du ciel et tout y retourne, sauf celles abattues par le père, l’oncle et les hommes du village. L’immensité devient décor, engouement, saveur du terroir, occasion de méditer avec ces oiseaux qui se mêlent aux nuages et au rivage.

Ce recueil me laisse tout simplement dans le ravissement.

Extraits :
« La banquise s’incruste en courtepointe
je glisse entre les mailles
usée sous les coutures
si minces que les ongles passent au travers
si fragiles que les pensées s’étirent jusqu’au sol
il n’existe pas de reprisage au point de croix »

« Le vent déchire la toile
du bout de l’aile
brise l’horizon
mon père étire son cou
ses pieds basculent jusqu’à l’aube
le temps est venu pour la migration des âmes
si j’arrivais à volet je laisserais mon être se soulever »

« Les hommes plantent leur tête
à marée basse
une âme souffle mes cheveux
quand le printemps s’habille de vert
mon père chasse l’éternel »

« Le poids du monde dans son bec
sur mes épaules
l’oie
appelle la migration
à grands coups d’ailes
au-delà des nuages
je sens chavirer l’horizon »

© Photo et texte du billet,
     sauf les extraits de la poète,
     Denis Morin, 2019

mercredi 6 mars 2019

Entretien avec Martine Roffinella





Entretien avec Martine Roffinella

Aujourd'hui, nous nous entretenons avec la grande écrivaine Martine Roffinella, découverte en 1988 par Bernard Pivot sur le plateau de l'émission Apostrophes pour le roman Elle.  Depuis ce temps, elle poursuit sa route avec audace et brio.

1.       Pourquoi et pour qui écrivez-vous ?
C’est une fonction vitale, pour moi. Comme respirer, s’hydrater ou s’alimenter. Impossible d’échapper à l’écriture. La question du « pour qui ? » ne se pose donc qu’après le premier jet, que je ne contrôle jamais, puisqu’il s’agit d’une sorte d’opération corporelle obligatoire. Cette interrogation est d’ailleurs souvent liée à la possibilité de publier le texte ou pas – c’est la voix des éditeurs que j’entends à mes oreilles (car eux décident, finalement, ce qui est digne ou pas de parvenir jusqu’aux lecteurs). Au fur et à mesure des versions du texte, il faut alors se rapprocher de la lisibilité par le plus grand nombre. Parfois je ne cède pas à cette obligation quasi commerciale, et cela donne ensuite de très faibles ventes (pour ne pas dire inexistantes). Mais j’ai besoin, de temps à autres, de cette liberté d’expression-là.

2.       À quand remonte votre premier texte (jugé littéraire) ?
J’ai publié mes premiers poèmes en revue vers l’âge de 14 ans, et c’est à 18 ans que j’ai expédié mon premier manuscrit chez les grands éditeurs (il y a donc 40 ans). Ce roman s’intitulait « La Marge ». Quelqu’un chez Gallimard m’a encouragée à poursuivre dans cette voie. J’ai écouté le conseil mais n’ai jamais été publiée par cette prestigieuse maison.

3.       Est-il plus facile d’être femme écrivain maintenant qu’à l’époque de George Sand ?
Je l’ignore, car il me semble que les préjugés sont encore bien présents (mais insidieux). Il y a peu, alors que je me permettais un avis sur une question littéraire, un auteur-homme m’a taxée d’un « Ma petite Martine » dans sa réponse qui laisse très clairement apparaître un sexisme persistant. Les femmes de lettres semblent encore être trop souvent perçues comme « inférieures » à leurs collègues masculins.

4.       Comment définiriez-vous vos univers dans vos romans et vos récits ?
Je travaille depuis toujours sur l’humain dans ses déplafonnements multiples, ses dérèglements, ses obsessions, ses excès, ses errances – tout ce qui fait ses différences et ses formidables imperfections. Ainsi j’ai consacré plus de dix ans et plusieurs ouvrages à l’exploration des relations de soumission/domination (« Le Fouet », « Love », « Rien entre nous », « Camisole-moi »). Avec « L’Impersonne » j’ai débuté un nouveau cycle, qui explore au fond la solitude dans tous ses états – jusqu’à l’aliénation.

5.       Est-ce que le roman devient un double de vous-même ?
Je me suis amusée à ce jeu-là une seule fois, dans « Lesbian Cougar Story », où la narratrice s’appelle en effet Martine Roffinella et est écrivaine. Cette petite supercherie m’a permis d’aller assez loin dans l’autodérision.
Sinon, j’aime que mes romans créent une troisième personne en fait – en plus de mon double et de moi-même. Ce n’est pas le lecteur non plus, mais tout simplement l’œuvre. Qui est dans ce cas une personne à elle seule.

6.       Si vous étiez mécène, pour quels auteurs ouvririez-vous un musée ?
Guillevic – selon moi un immense poète. Mais en fait, comment choisir ? J’aime passionnément la littérature ! Il faudrait dans ce cas un musée pour tou.tes.s les écrivain.e.s talentueu.ses.x qui ne parviennent pas à se faire connaître auprès du public, et qui en souffrent beaucoup. Oui, créons un musée des au.trices.teurs VIVANTS !

7.       Quel est votre modus vivendi en écriture ?
Je n’en ai pas. Comme ma première éditrice Jane Sctrick me l’a conseillé alors que j’avais à peine 30 ans : « Ne vous forcez jamais à écrire, attendez que ce soit au bord des lèvres. » J’attends donc que ce soit « au bord des lèvres ». Soit c’est un cahier de brouillon qui recueille ce premier flot qui vient généralement d’un seul coup, soit je tape directement sur le clavier de l’ordinateur. Je n’ai ni codes ni règles, c’est le texte qui décide : je ne fais qu’obéir.

8.       Quelles sont vos influences ?
A mon âge (bientôt 58 ans), je suis dégagée de toute influence, sur ma voie propre et singulière. Plus jeune, je me sentais proche de Duras. Cela se sent d’ailleurs peut-être un peu dans mon premier livre « Elle », paru alors que j’avais 26 ans. Mais très vite, j’ai entendu ma propre musique qui ne ressemblait à aucune autre. J’avais en tête de créer un nouveau genre littéraire, où il serait possible de visiter plusieurs strates d’écritures romanesques (ce que j’ai d’ailleurs tenté avec « L’Impersonne »). Finalement, quel orgueil de ma part !

9.       Donnez-nous cinq mots qui vous résument.
Passion. Ténacité. Colère. Susceptibilité. Générosité.

10.     Êtes-vous une solitaire solidaire ?
Oui je pense l’être – et c’est en ce sens que j’invite très régulièrement sur mon Blog : http://martineroffinella.fr d’autres écrivain.e.s et artistes à venir parler de leur travail et présenter leurs œuvres. C’est une forme de solidarité active. Qui trouve un bel écho sur les réseaux notamment.

11.     Si je vous dis Duras, Sagan, Beauvoir, Yourcenar… Avec quelle écrivaine célèbre avez-vous des atomes crochus ou vous sentez-vous apparentée ?
Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne me sens apparentée à personne. J’aime passionnément les écrivain.e.s que vous citez – j’y ajoute l’immense Virginia Woolf, que je vénère. Mais de là à y être apparentée, non. Raison pour laquelle, sans doute, je suis dans une immense solitude depuis toujours.

12.     Des projets ?
Oui, un roman social qui me tient très à cœur : « Conservez comme vous aimez », et qui paraîtra en janvier 2020 aux éditions François Bourin.


© Photo, Martine Roffinella
© Entretien, Denis Morin, Martine Roffinella, 2019

dimanche 3 mars 2019

L'été de la carotide de Michel X Côté



Michel X Côté est natif de Rouyn-Noranda. Ce bachelier en arts a été tout d'abord impliqué dans le milieu des arts visuels entre autres à titre de commissaire d'expositions promouvant les arts des Premières Nations.  Il s'est fait aussi parolier d'artistes dont le groupe Abbittibbi, Richard Desjardins, Karen Young, Michel Faubert, Claire Pelletier.

Il est toujours envoûtant et déroutant de commenter un recueil de poésie tel que L'été de la carotide, sa troisième parution aux Écrits des Forges. Allons, osons lire et pagayer entre les lignes.

Le poète-marcheur a chaussé ses bottes de cent lieues. Il parcourt les saisons à Kanehsatake/Oka, en bordure du lac des Deux-Montagnes. Il observe. Son regard retient, puis il transpose la réalité par des mots empreints de pudeur et des éclats de couleurs vibrantes dans ses oeuvres picturales. Il se sait traversé par le temps, par l'usure des jours. Son coeur opéré le lui a rappelé, mais il se sait surtout reconnaissant d'être vivant et créatif. La vie lui donne un second souffle. La poésie du poète-marcheur, badaud seul ou promeneur du chien, se fait forte, libre, libérée de la majuscule et de toute ponctuation, à l'image du lac des Deux-Montagnes qui étale sa blanche étendue en janvier et qui arbore la bleue en juillet.

Pas besoin de se rendre à Paris ou à Saint-Paul de Vence pour croiser des perles poétiques, on en déniche tout près de Montréal. Un poète à découvrir.

Extraits :

" comme un renard fou
de solitude se jette
sous les roues j'aurai su
trop tard juste avant le blast
que l'amour me suivait à la trace "

" je bois le thé des premiers bourgeons
je relis l'hiver dans le texte
les cendres de décembre font un pain amer
sous l'aile migratoire de l'outarde
des fleuves livrés au feu se lèvent
je garderai de ce monde
le reflet de la lune
dans une goutte de rosée "

" le monde ne retrouve ses aubes
qu'à travers ses manques
reste la vérité
paradoxale du poème
résister à l'anéantissement
en n'affirmant rien "

" sur mon lit de papier
je ne désigne plus le monde
que par l'extase "


© Photo, texte, Denis Morin, 2019,
    sauf les extraits du poète