dimanche 19 juin 2022

L'Homme qui veille dans la pierre de Alain Cadéo

 

Il est toujours plaisant de lire un inédit, un livre qui sera présenté au public le 18 août 2022. C’est le cas avec L’Homme qui veille dans le pierre (L’âme de Mayacumbra) de Alain Cadéo aux Éditions La Trace. Il s’agit de la suite de Mayacumbra dont je vous ai déjà parlé.

Or, vingt ans plus tard, Jeanne demande à son autre fils, Augustin, peintre reclus, de se lancer sur les traces du disparu. Elle pressent qu’une surprise providentielle niche en pleine jungle. En bon fils obéissant, Augustin quitte la France pour ce hameau perdu dans un creux humide, au pied d’une montagne vrombissante cracheuse de feu.

Oh ! Découverte ! Théo eut le temps de connaître Lita, d’être père de Maria, jeune femme mystérieuse aux yeux verts comme ceux du défunt. À son tour, Maria est la mère de Lina, cette gamine qui nommera son grand-oncle ‘’grand-père’’.

Ce roman à la prose si poétique contient deux niveaux de lecture : le récit d’un cadet qui marche dans les pas de son aîné et le journal intime d’un homme que la gamine lira plus tard. Au fond, ces deux niveaux forment déjà les contours en rouge et en noir de peintures rupestres que le peintre se plaît à dessiner par pur ravissement.

Solstice, un grand gaillard métisse, offrira à Augustin les cahiers de son frangin qu’il conservait par devers lui pour plus tard et qu’il remettrait au moment propice, sachant que la vie est constituée de cycles, de départs et d’étonnants retours.

Solitaire, Augustin tissera des liens avec les résidents de cet étrange lieu qui considèrent Théo à titre de protecteur. D’ailleurs, les villageois racontent parfois entendre sa voix au travers de sa geôle de lave refroidie, percevoir la robe grenat de Lita descendre par un sentier escarpé et ouïr le braiment du fidèle Ferdinand.

Mayacumbra et L’Homme qui veille dans le pierre sont à lire évidemment.

Extraits :

« Lis, glisse et passe. Laisse-toi porter par ce radeau de phrases. Ne nage pas à contre-courant. Soit, tu brûleras tout, soit tu mettras dans un tiroir ce paquet d’impressions que tu ressortiras un jour, plus tard. Derrière toute musique qui nous est familière, au-delà d’un tableau que l’on connaît par cœur, foisonnent mille détails qui remontent à la surface. On appelle cela le temps de la décantation. »  

« De moi, mort enfin, on ne trouvera peut-être que cela : une suite de pages craquantes, jaunies comme autant de mues, de chrysalides… Et puis rien, que le vent, qui portera très loin, plus haut encore, l’aile de mon sourire… Mon sourire, pour toi Lita, mon émeraude, mon secret du bout du monde… »   Théo

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Alain Cadéo, Denis Morin, 2022

 

 

 

 


lundi 6 juin 2022

La constellation des origines de Johanne Bilodeau

 

Johanne Bilodeau, artiste-peintre, se lance dans l’aventure de l’écriture avec La constellation des origines, roman publié en 2022, chez Le bout du mille. La couverture avec cette chaise et ce tableau dans le tableau est Désir et regret, une œuvre de l’autrice elle-même. Bravo, superbe entrée en matière.

Mauve, peintre, veille sur sa mère Éléonore, ancienne artiste ayant cessé de créer. Elles vivent ensemble à Pointe-aux-Trembles, au bout de l’île de Montréal, à portée de rivière et de fleuve. Les promenades quotidiennes la plupart du temps en silence entre mère et fille seront l’élément déclencheur d’une introspection et d’une quête des racines.

Mauve, larguée par le mari et voyant leurs quatre filles gagner en autonomie, s’interroge sur ses origines françaises, micmac, acadiennes, irlandaises, franco-américaines. Tous ces ancêtres sont les fibres qui la composent. L’errance, le départ, le retour, l’enracinement et le déracinement font partie du vécu des prédécesseurs comme du sien. Par eux et par elles, Mauve définit son essence et ses liens avec le monde.

Johanne Bilodeau alterne la narration omnisciente (à la troisième personne) à la narration au Je, cela donne des éclairages différents. On passe ainsi de la clarté diffuse d’un sous-bois à la lumière vive d’une clairière. Tout n’est pas à trancher au couteau. Chaque décision majeure d’un.e ancêtre eut inévitablement un impact sur la destinée de l’entourage immédiat; impact qui se répercutera jusqu’à la descendance plus ou moins lointaine.

La constellation des origines est l’itinéraire d’une artiste avec ses envolées, ses coups de pinceau, ses temps d’accalmie, ses doutes et ses instants de grâce. Ce roman contient une bonne dose de prose poétique qui fait du bien tel un thé au jasmin réconfortant et parfumé. Il y a une certaine parenté dans le style avec Hélène Dorion.

Vivement de nouveaux opus. Une nouvelle plume à lire.

Extraits :

« Sur le manteau de la cheminée, un jouet antique interpelle la flâneuse. Celle-ci lève le nez et l’observe, gardant entre eux une certaine distance. Le petit cheval berçant auquel il manque les deux bascules appartenait à son parrain Ozias. Mauve se souvient du jour où elle a décidé de faire sien l’objet de bois. »

« Puis, à bord d’une légère embarcation en bois sculpté, je dessine les contours de mon habitat. Sur les eaux limpides des canaux de l’archipel, des traces persistent de mon passage. Sillons mémoriels, écumes des souvenirs, lignes de vie, tous participent à l’élaboration de la Constellation vivante des origines. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Johanne Bilodeau, Denis Morin, 2022