dimanche 28 mars 2021

Vilaines femmes

 

Il y eut un jour l’élection d’un président arrogant et machiste à Washington qui traitait de ‘’vilaines’’ les femmes qui ne se conformaient pas aux standards normatifs.

Dès novembre 2016, de l’autre côté de l’Atlantique, la maison écossaise 404Ink et des autrices écossaises et anglaises ont tenu à lui donner la réplique avec Nasty Women, essai qui fut publié en 2017. Et comme le hasard fait si bien les choses, Miruna Tarcau, la directrice littéraire des Éditions Hashtag, se retrouva en mars 2020 coincée en Écosse, à cause des mesures sanitaires. Elle fit des recherches sur des parutions et lut cette livre qui la remua par sa pertinence. Elle prit entente avec la maison 404Ink.

Par la suite, la maison Hashtag, qui a une ligne éditoriale similaire à sa cousine 404Ink, a pris le relais. Felicia Mihali et Miruna Tarcau ont traduit en français cet essai avec brio. Le livre Vilaines femmes est  paru en 2021 avec le défi de présenter des témoignages sortant des sentiers battus à l’aube du 21e siècle.

En résumé, voici. Elles en ont marre de jouer les filles cool, sympa et parfaites. Elles veulent prendre leur place au soleil, être elles-mêmes pour ne plus subir de discrimination à cause de la couleur de peau, d’un nom étranger, de l’orientation sexuelle, d’un retour à des pratiques anciennes, de l’obésité ou d’un handicap.   

Bref, ce livre est lumineux ! Je vous le recommande chaleureusement ! 

Extraits :

« Le monde est un endroit dangereux en ce moment, mais pas aussi dangereux qu’une vilaine femme avec un stylo en main et une histoire à raconter. Ces voix qui disent nos vérités ne peuvent être bâillonnées et certainement pas noyées. » 

« Ma mère et moi, nous travaillons ensemble, fouillant dans le passé pour trouver ce qu’on peut et inventant le reste. Au cœur de notre livre, on retrouve la notion que les péchés se transmettent d’une génération à l’autre, et le fait de briser ce cycle est difficile, mais possible… Les femmes peuvent changer le récit de leur vie. » 

« Je ne suis pas belle, tranquille et dévastée par la souffrance comme une héroïne dans un drame shakespearien; je ne suis pas une Ophélie qui s’étend doucement sur les eaux de la rivière avec ma tourmente, il n’y a ni bravoure ni grand symbolisme dans les difficultés que je traverse… »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits, Denis Morin, 2021


samedi 27 mars 2021

Marées d'espoir, Les onze vies d'Ariane

 

En 2019, Ruth Benchétrit, poète et réviseure linguistique, lança l’idée d’un roman à relais lors d’un Café littéraire que j’anime pour l’association Toulèsarts de Saint-Eustache.

Écrire à quatre mains est déjà un défi. Alors imaginez quand plusieurs mettent la main à la pâte. Cela exige talent et rigueur. Le projet fut habilement coordonné par Ruth Benchétrit, assistée de Martine Gaudaire, également réviseure linguistique.

C’est ainsi qu’est né le projet de Marées d’espoir, Les onze vies d’Ariane. Le nombre onze correspond au total d’auteurs et d’autrices. Le personnage d’Ariane, essuyant un refus amoureux, voyagera de la Gaspésie vers l’Europe (Angleterre, Irlande, Italie). Cela donne un petit bijou où ces onze voix forment une chorale. On nous chante à l’unisson une romance pleine de surprises.

Le clou du projet résulte en onze épilogues, au gré des plumes.

Pour ma part, j’ai ajouté mon grain de sel en signant la préface.

Ce roman, agréable à lire, est paru en octobre 2020 aux Éditions Le grand fleuve. Il est disponible en contactant ruthie132@hotmail.com ou à la boutique en ligne de BouquinBec.

Un grand projet collectif et une belle découverte qui s’offre bien en cadeau.


© Photo, texte, Denis Morin, 2021

 

 


samedi 20 mars 2021

Poésie, images et plume de Ghislaine Lavoie et Élise Bilodeau

 

La poète Ghislaine Lavoie et la photographe Élise Bilodeau viennent de faire paraître en mars 2021 un très bel album intitulé Poésie, images et plume

Dans le cas de livre du genre, je me demande toujours si c’est la photo qui a inspiré le texte ou si le poème a provoqué le capture des paysages. Je note une grande complicité entre les deux artistes. C’est indéniable.

Quant aux textes célébrant la vie, l’amour, les saisons, l’eau. On y décèle aussi un grand amour pour le Québec avec ses forêts et son fleuve tranquille. J’entends aussi les chants des anciens portés par la brise l’été et la poudrerie en hiver. Les lignes tracées me renvoient inévitablement aux chansons de Gilles Vigneault et Félix Leclerc. 

Mon père, ce taiseux, s’il était encore de ce monde aurait dit que c’est vraiment de la belle ouvrage ! J’aurais abondé et j'abonde dans le même sens. 

Je vous invite à contacter les deux artistes sur Facebook, si vous souhaitez vous procurer ce très beau livre parfait pour une table à café.


Extraits : 

« Il existe un chemin ouvrant le cœur des arbres

Vers la vie qui attend

Tout là-bas doucement

Ce chemin est à nous est à vous est à moi

Rejoignez mon bonheur si vous passez parfois »

 

« Chaque matin

Je réinvente ma naissance et l’existence

Survivant de multiples naufrages »

 

« Mots je vous rends l’offrande des saisons

Mots du ciel au présent cueillis mûrs à la branche du vent

Mots étangs tous gorgés de lumière tous d’avides élans… »

 

 

© Photo et billet, sauf les extraits de G. Lavoie, Denis Morin, 2021

 


dimanche 14 mars 2021

Éloi et la mer de Karine Geoffrion

 

Tout récemment, en mars 2021, je vous ai présenté du superbe roman La valse de Karine Geoffrion que je vous ai décrit comme étant ‘’de l’orfèvrerie’’.  En règle générale, quand j’aime une plume, je parcours le corpus littéraire afin d’en connaître un peu plus sur l’imaginaire de l'artiste.

Je remonte en 2015 avec Éloi et la mer, roman publié chez Les Éditions Sémaphore. Ce livre fait vibrer les cordes de l’intime. Madeleine est une femme entre deux rives, entre deux eaux. Elle ne sait plus où elle en est. L’onde calme de surface est brouillée. Elle voit trouble depuis qu’elle picole un peu trop. 

Elle aimait Jean, mais maria Richard. Ce mariage bat à présent de l’aile. À cela, s’ajoute fiston Éloi qui a décidé d’aller étudier à Rimouski, ville en bordure du fleuve Saint-Laurent, que les gens de l’est du Québec appellent poétiquement la mer.

Durant l’absence de son mari en voyage d’affaires, elle s’entiche d’Antoine, un jeune peintre qui a l’âge de son fils.

Jusqu’où ira-t-elle pour obtenir de la tendresse et de la considération ?

Fait à noter que ces deux romans ne contiennent aucune réplique. La narration est réalisée à la troisième personne comme une caméra qui capte à la fois les scènes et les tourments.

En bref, fascinante lecture; style juste; aucune ligne ni à ajouter, ni à retrancher.

Extraits : 

« Dans l’attente de l’approbation maternelle, Éloi n’était plus qu’un gamin de dix ans coupable d’une bêtise terrible, impardonnable. Elle était devenue si blême lorsqu’il avait prononcé le mot départ… Et semblait si fragile appuyée là, face au mur ayant recueillir sa surprise, ses deux mains enfoncées dans le comptoir sombre qui la soutenait, qui l’empêchait de s’effondrer. »

« Soulagée d’avoir évité un autre refus, elle ne perçut pas la pointe d’hésitation dans la voix d’Antoine, et s’élança d’un pas hardi vers le fond de la pièce. Son repas commandé, possédée par le désir de s’ancrer auprès de lui, de ne jamais le quitter, elle se positionna face au chevalet, son corps vibrant incliné vers la toile déjà amorcée. Antoine, par politesse, entretint la conversation jusqu’à ce qu’elle reçoive son plat, puis, impatient de reprendre son travail il se remit à peindre en silence. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de K. G., Denis Morin, 2021

 

 

 


dimanche 7 mars 2021

Épidermes

 

Épidermes paru en 2021 aux Éditions Tête première, sous la direction de Sophie-Anne Landry et Mattia Scarpulla, est un recueil collectif de nouvelles et de poésie avec la participation de Alain Beaulieu, Jean-Paul Beaumier, Fanie Demeule, Anne-Marie Desmeules, Natalie Fontalvo, Ariane Gélinas, Nicholas Giguère, Sophie-Anne Landry, Stéphane Ledien, Marie-Ève Muller, Anne Peyrouse, Mattia Scarpulla, Miruna Tarcau, Alex Thibodeau. 

Les auteurs et autrices s’adressent à l’esprit, mais aussi au cœur du lectorat. On réfléchit sur le corps, la perception, les sens, l’image sociétale, la sensation, la sensualité. Ça décoiffe agréablement. Déjà que la superbe couverte annonce une secousse sismique. 

Des poèmes bien émouvants ponctuent le livre, formant des traits d’union et des points de suture entre les nouvelles. 

Les thèmes abordés sont les suivants :

une femme est invitée à une kermesse dans la campagne irlandaise… ;

une jeune d’un milieu marginal se cherche au cœur d’une histoire d’amour avec un compagnon jaloux;

un homme consomme violemment des prostituées;

une intervenante en santé mentale éprouve une empathie trouble à l’égard des usagers;

une femme exilée à la campagne devient objet de curiosité;

une détective est hantée par une présence;

une jeune femme d’un futur assez proche entretient un rapport viscéral avec la structure d’un pont;

un couple connaît des tensions, à cause d’un couple d’amis marginaux, revenus meurtris d’un projet de coopération internationale;

un homme se soigne, alors que son frère se meurt;

un adolescent obèse vit le rejet et le harcèlement;

une danseuse sourde expérimente le retour de l’ouïe, grâce à un implant cochléaire;

une jeune femme se fait dire par un conjoint qu’elle mourra jeune à la lecture d'un pli cutané sur son ventre;

la dure cohabitation d’une amante, d’une chatte et de l’amoureux mal lavé, selon le félin. 

Ce collectif va dans la trame de l’existence et n’est pas une lecture de divertissement. Ça chamboule les neurones et les émotions. Longue vie à cette maison qui innove et à ses auteurs et autrices.

Extraits :

« y faut te calmer

même sous la lumière vieillissante de fin de journée tu la vois

ta tache de naissance en forme d’explosion

ta supernova

confirmation visuelle

pis au centre en plein cœur de ton soleil mourant

la petite goutte de sang »

                                              Natalie Fontalvo

« des mûres

jutent sous mes ongles

je traverse une haie

jusqu’à toi

déshabillée

un chapelet de billes translucides

dégringole des branches

tu glisses ta main

sur ton visage

barbouillé

je ne distingue pas

le fruit

de sa grappe »

                                          Anne-Marie Desmeules

« La séance est terminée. Je prends une grande respiration. La lumière m’éblouit. Je n’entends plus le chien aller et venir derrière la porte. J’ignore le nom qu’elle lui a donné. Rotule ? Tibia ? Péroné ? Je parierais qu’il y a des chirurgiens qui nomment leur chien Bistouri, ou Sarcome dans le cas des oncologues. De grands caniches royaux. Sarcome, au pied ! Bistouri, va chercher, mon chien, va chercher. Évidemment, les chiens n’en font qu’à leur tête, et ce n’est pas moi qui vais les blâmer. »

                                                Jean-Paul Beaumier

© Photo, texte du billet, sauf les extraits, Denis Morin, 2021