dimanche 30 juin 2019

Isaac de Léa Veinstein



Léa Veinstein, spécialiste de l’œuvre de Kafka, femme de radio (France Culture et Arte Radio), sera commissaire en 2020 d’une exposition au Mémorial de la Shoah. Mais pour l’instant, elle part à la recherche de son arrière-grand-père Isaac. Juste un prénom, biblique de surcroît. Il fut hazan, c’est-à-dire chantre d’une synagogue à Neuilly-sur-Seine durant l’Occupation.

Par Isaac paru est 2019 chez Grasset, elle replace cet ancêtre dans le casse-tête familial et brise le silence. La généalogie et l’histoire connaissent des zones de mystère.  Léa Veinstein fait œuvre de mémoire et de réparation avec brio.

Sa sœur, lors d’une cérémonie, prononça un discours au cours duquel elle dit : « Pendant que les bruits de bottes nazies retentissaient dans Neuilly, la voix d’Isaac retentissait ici. »

Voici un livre touchant sans tomber dans le pathos sur les racines, la famille, l’identité, le judaïsme.

© Photo, texte, Denis Morin 2019

Charly, mon père de Diane Boudreau


Diane Boudreau, pédagogue, peintre et poète, nous livre par ce récit biographique publié en 2018 un pan de son histoire familiale. Charly, mon père nous raconte avec délicatesse et respect le parcours de ce taiseux qui se voyait ingénieur, mais qui fut fonctionnaire et de sa famille. On apprend peu à peu à connaître cet homme aimé tant par ses enfants que par ses neveux et nièces.

Diane s’est longtemps perçue comme étant la déception de son père, car n’ayant pas le don des mathématiques comme les autres de sa fratrie.

Permettez-moi de souligner qu’à travers les lignes et les mains posées sur l’épaule de sa fille quand elle dessinait, j’y ai plutôt perçu l’étonnement et la joie contenue d’un père qui comprit que sa fille ferait sa vie autrement en la dessinant, en la créant à sa guise. L’enseignement sera son gagne-pain, puis la poésie et la peinture seront ses moyens d’expression. Il dira plus tard à juste titre à un cousin : « J’ai une fille écrivain. Celle-là, elle s’émerveille ».

Diane aura surtout hérité de l’intuition du père et de la solitude, ce besoin d’être baignée dans le silence. Ce tempérament méditatif la prédispose tout naturellement à l'écriture et à la peinture.

Somme toute, c’est de la belle littérature composée avec l’intelligence du cœur et de l’esprit. Pour ceux et celles qui souhaitent se procurer ce bel hommage, vous pouvez lui écrire tout simplement à diane_boudreau@videotron.ca .

Extrait :

« Magnifiquement chantés par Félix et Vigneault, ces gens de mon pays me fascinaient par leur beauté, leur vérité, leur bonheur contagieux. Je les reconnaissais. À force d’en parler avec élan et conviction, voilà que je leur ressemblais… Je me sentais des leurs. Et ce jour-là, pour la première fois, papa a pris ma main dans les siennes, l’a tenue doucement, juste avant que je quitte, sans prononcer un mot. Il avait l’âme en paix. Était-ce à cause de cette parcelle de lumineux qu’il percevait enfin chez la deuxième de ses filles ? »

© Photo, texte,
    sauf l’extrait de l’autrice,

    Denis Morin, 2019

lundi 24 juin 2019

Plus haut que les flammes de Louise Dupré




Quand je pense à Louise Dupré, me viennent à l’esprit la discrétion, la douceur, le raffinement chez cette femme de lettres québécoises. Elle s’est méritée après la parution en 2010 aux Éditions du Noroît du recueil de poésie Plus haut que les flammes le Grand Prix Québecor du Festival International de la Poésie et le Prix du Gouverneur général.

Ce recueil fut écrit à la suite d’une visite avec son mari au site d’Auschwitz-Birkenau. La poète prend un certain recul par le recours au tu, comme si elle était la réalisatrice d’un film qui capte une femme troublée par ce camp de la mort et, en simultané, une femme présente à son petit-fils qui veut rire, chanter, parcourir des livres de contes et danser au matin sa vie en devenir.

Louise Dupré sait montrer avec doigté et force la part d’ombre et la part de lumière chez l’humain. Elle ne censure rien, mais sait préserver les enfants des horreurs du monde qu’ils découvriront bien assez vite. L’espoir naît tout de même à la fin du recueil par les bras tendus de cette femme au bambin qui veut se nourrir de tendresse et de joie.

Une autrice (poésie, roman, théâtre, nouvelles, essai) à découvrir ou à redécouvrir, si ce n’est déjà fait…

Extraits :
« À Auschwitz, on exterminait des enfants
qui aimaient caresser
des troupeaux de nuages
leurs petits manteaux
les robes
et ce biberon cassé
dans une vitrine »

« Et tu redresses les mots
sous tes paupières
afin que l’enfant
près de toi
apprenne à gravir
une à une les marches
de ses rêves »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits d'autrice,
    Denis Morin, 2019




samedi 15 juin 2019

Ma dévotion de Julia Kerninon



Julia Kerninon, fabuleuse écrivaine, a fait paraître en 2018 aux Éditions du Rouergue, en France, et en 2019, chez Annika Parance Éditeur, au Québec, le roman Ma dévotion.

En voyant la couverte, j’ai songé à une geisha ou bien encore à une femme aux prises avec un cauchemar récurrent. Le titre ne saurait être plus énigmatique, vous en conviendrez avec moi.

D’entrée de jeu, nous dirons qu’il s’agit d’un audacieux et superbe roman à une voix, Helen, femme de lettres, qui tombe nez à nez à Londres sur Frank Appledore, illustre peintre, son meilleur ami et son ancien amoureux.

Ce sera l’occasion pour elle de se remémorer leur parcours de Rome, à titre d’enfants d’ambassadeurs, puis la cohabitation à Amsterdam. Helen a connu le mariage avec un architecte et l’exil à Boston, puis il y aura la Normandie, les échecs amoureux, les mensonges, la douleur du deuil, son propre effacement pendant de longues années pour l’évolution artistique de Frank.

Ma dévotion est par essence un livre féministe. Nous sommes en présence d’une femme structurée et intellectuelle et d’un homme plus bohème qui doit sa réussite au dévouement de celle-ci, mais elle a fini par se choisir elle-même, affranchie d’une dépendance et de son besoin de toujours veiller sur l’autre.

L’écriture de Julia Kerninon est limpide comme eau de source et surtout ça vous foudroie le cœur. Du grand art !!!

Extrait :
« Tu voudrais sans doute me demander comment je vais et me donner de tes nouvelles, mais il y a vingt-trois ans que je pense à toi tous les jours de ton absence, alors tu ne vas pas parler, cette fois, Frank. C’est moi qui vais parler, et moi seule. Je vous tout te raconter, ici et maintenant, debout dans la rue, je vais te raconter toute notre histoire depuis le début, parce qu’il faut que je l’entende, moi aussi. Je ne me lasse pas de te regarder, Franck perdu et retrouvé. Laisse-moi commencer. »

© Photo, billet, sauf l’extrait de l’autrice,
     Denis Morin, 2019

mardi 4 juin 2019

Orénoque d'Hervé Richard



Hervé Richard, poète, romancier et traducteur français vivant en Allemagne, nous revient avec un recueil de poésie intitulé Orénoque publié en 2019 aux Éditions Edilivre.

Cet ouvrage possède le cachet du journal intime et d’une subtile déclaration d’amour. Le style me rappelle la prose et l’univers d’Yves Navarre, de même que la mélancolie des chansons de Barbara.

Je me sens à l’aise dans ses mots comme on renoue avec un ami, un amant de retour après un long voyage. Douceur, sensibilité, sensualité, tendresse, intelligence sont au rendez-vous dans ce recueil qui mérite d’être lu et relu.

Voici un écrivain à découvrir.

Extraits :
« Une envie de torpeur et d’Orénoque en fleurs
Des singes affublés de canopées heureuses
Des fièvres des forêts des lianes tueuses
Une envie de torpeur et d’Orénoque en fleurs. »

« Laisse les mots aller à ceux qui vont attendre
Qui cherchent à l’horizon un signe du destin
Et puisque le réel est tombé en chemin
Laisse les mots donner ce qu’ils ont de plus tendre. »

« Quel est ce pays que tu ne peux atteindre
Posé entre deux feux à la lisière de nous
Tu peux fermer les yeux si tu veux et sans craindre
T’avancer doucement et te perdre à mon cou. »


© Billet, sauf les extraits de l’auteur,
    Denis Morin,
    photo, Edilivre, 2019

dimanche 2 juin 2019

Une activité respectable de Julia Kerninon




Il était une fois une gamine (et plus tard s’ajouta une petite sœur) et deux parents nomades ayant les mots et les livres en vénération.

Il y avait aussi cette jeune femme qui voulut voler de ses propres ailes hors du foyer familial, hors des repaires de la France et qui trouva refuge à Budapest. Elle travailla dans les bars, fréquenta le centre culturel français (car la France finit toujours par vous rattraper tôt ou tard), elle lut des romans et elle écrivit de longues heures ses propres romans.

Elle voulut écrire, c’est-à-dire verser l’onde des phrases.  Ce fut d’abord sur une machine à écrire offerte enfant par les parents.  Un jeu. Un jeu de patience avec les lettres et les mots. Au fil des années, lire était (s’)inspirer et écrire le fait d’expirer le souffle, de livrer la vie, de donner sens à sa vie.

Ainsi, Julia Kerninon dans Une activité respectable, récit autobiographique paru en 2017 aux Éditions la brune au rouergue, trace dans ce récit le parcours d’une écrivaine en herbe.

C’est tout simplement magnifique ! J’en suis bouche bée.

Extrait :
« J’écris à cause du vieil homme triste qui, dans un dancing à Birmingham, a sorti pour me le montrer un morceau de papier de sa poche, un morceau de papier très ancien, abîmé, qu’il a déplié délicatement avec ses mains moites, et c’était une lettre que le poète irlandais Seamus Heaney lui avait écrite quand il avait dix-neuf ans pour lui dire qu’il avait du talent. Il n’arrivait même plus à pleurer, il l’avait trop fait. Il semblait avoir épuisé ses réserves de larmes. J’écris à cause de la petite Lilly dans l’Hôtel New Hampshire de John Irving, quand elle dit : « Je ne suis pas la femme de chambre, je suis un écrivain. »

© Photo, texte du billet,
    sauf la citation de l’écrivaine
    et de John Irving, 2019