mardi 1 février 2022

Chaque seconde est un murmure de Alain Cadéo

 

Alain Cadéo est un magicien des mots. Il transforme tout sur son passage. J’envie son aisance et cette apparente fluidité. L’expression du verbe est à la fois musicale et poétique. On se fait son théâtre et son cinéma. À un certain passage, j’ai pensé à Claude Sautet avec son film Les choses de la vie mettant en vedette Romy Schneider et Michel Piccoli.

Dans Chaque seconde est un murmure paru en 2015 chez Mercure de France, le jeune Iwill après un accident se met à errer sans but, en peine de la perte de Catherine, son amour. Il va Iwill (Je ferai, Je serai, avec sa volonté de jeune homme entêté, déjà paumé) sur les routes. À Luzimbapar, il est accueilli par la mystérieuse et sensuelle Sarah, le sympathique et colossal Laston et leur meute de chiens féroces. Elle cultive des arbres fruitiers, lui creuse une montagne. Ce couple vit en  autarcie, hippies écolos. 

Sarah remet un cahier de comptabilité que Iwill devra remplir. Ses inspirations littéraires lui proviennent le plus souvent en rêve qu’éveillé. Bref, il tarde à le remplir ce cahier aux colonnes et aux lignes presque vides. De rares feuillets témoignent de sa fascination pour ces deux geôliers si hospitaliers. Iwill veut partir, mais comment peut-on quitter quand le passé vous taraude comme une montagne à gruger, que les hôtes sont si charmants et que des cerbères montrent les crocs à l’approche des limites de la propriété ?

On peut lire subtilement dans ce cahier dont on doit noircir les pages la discipline requise pour écrire un livre, une œuvre qui se tienne à travers le temps.

Et si la vie n’était qu’un songe tel un itinéraire à traverser ? Et si l’on fuit inévitablement la famille pour mieux définir son être et sa destinée ? Iwill ne maîtrise en fait pas grand’ chose. Il s’en remet au temps qu’il fait, à Sarah qui incite à la confidence et à Laston bien content d’avoir un compagnon de corvée. Force est de constater que l’auteur tire bien les ficelles de ce huit clos. La nymphe, le baraqué et le maigrelet évoluent en parallèle. Les cordes s’entremêlent parfois volontairement selon les scènes qui se jouent devant nous comme des étreintes échangées juste avant l'aube.

Vous ai-je dit que l’écriture d’Alain Cadéo est envoûtante et onirique à souhait ?

Extraits :

« Merci Sarah pour ce cahier noir. Toutes ces pages de jour, de nuit, de vie, de mort, à étaler sur la mie grasse du papier. Je peux sauter des lignes, je peux y courir ventre à terre ou m’y traîner comme un escargot, faire du mot à mot… »

« Je suis grand, bègue, roux et pudique et votre gentillesse à tous les deux me touche et me bouleverse mais, c’est plus fort que moi, j’ai des fourmis dans les jambes, j’ai besoin de me lever comme Lazare. »


© Photo, texte du billet, sauf les extraits d’A. Cadéo, D. Morin, 2022


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