dimanche 20 juin 2021

Souffles avant de Geneviève Catta

 

La vie nous envoie des clins d’œil et fait en sorte que nos mots trouvent un écho chez une autre. Par hasard, Geneviève Catta et moi, nous avions écrit sur nos blogues respectifs un poème relatif au deuil d’un proche disparu. Ce même jour, nous nous sommes salués, puis depuis ce temps, nous nous suivons l’un l’autre en écriture. D’habitude, elle écrit de la poésie. Mais cette fois-ci, elle ose dans le recueil de nouvelles Souffles avant paru en 2021 chez Le lys bleu.

Dans Chat ris, va, ris!, un félin est montré dans différents contextes liés à l’histoire de l’art. C’est amusant. Dans Candidat 38, un violoniste virtuose n’évolue tout de même dans les normes sociétales. Dans Cavale et Corde raide, la trahison est toujours possible.

Je n’expliquerai pas tout. Ça devient embêtant de trop en dire. On doit conserver à un livre sa part de mystère. Geneviève Catta aborde en nuances les thèmes de la mort, de l’absence, du désir retrouvé, de la solitude. On sourit, on est ému. C’est fin, subtil, humoristique, un brin cynique, résolument en harmonie avec la vie.

Vivement, un nouvel opus, mais un roman cette fois-là ! Je lui en lance le défi.

Extraits :

« Il y a bien plus que les lettres et les mots. Il y a le blanc. Le blanc, c’est ce que les mots ne disent pas. Pareil en photo. Pareil de ton côté de la vie. Pas pareil du mien depuis. »

« Leurs gestes sont aisés, dégagés – ce sont les premiers que l’on apprend, seul, après être parti du nid familial; les mêmes que l’on désapprend quand l’autre emménage avec nous, et que l’on réapprend encore quand on le quitte ou qu’il part. Toujours, ils retrouvent leur trame désarmante. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de G. Catta, D. Morin, 2021


mercredi 16 juin 2021

Entretien avec Alain Cadéo

 

Chez les artistes, on veut toujours départager l’humain du créateur comme s’ils étaient deux jumeaux inséparables. Je me suis entretenu virtuellement avec Alain Cadéo, un écrivain français dont j’apprécie l'intelligence, la sensibilité et la pertinence. Il eut l’amabilité de répondre à mes questions sur l’écriture et la vie. Ses réponses nous amènent sur des sentiers de montagne, loin du bruit. Martine, son épouse, fut en toute discrétion la cheffe d’orchestre. Je lui en suis reconnaissant.

Je vous connais par Mayacumbra, Des mots de contrebande, Confessions, il y a toujours un soli(d/t)aire dans vos histoires… C’est vous, par transposition ?

Merci déjà à vous pour vos questions.

Merci aussi pour le « d » et le « t » de ces deux mots aux apparences antinomiques et qui pourtant peuvent parfaitement fonctionner ensemble.

Nos rêves ne sont-ils pas bien souvent des îles que nous souhaiterions parcourir avec tous ceux à qui nous pourrions être utiles et qui eux-mêmes nous pousseraient à voir mieux, plus grand, plus beau, plus loin.

Duras disait qu’elle devait s’isoler, se retrancher du monde, en être l’observatrice. Qu’en pensez-vous ?

S’isoler, observer, et à la fois être « au cœur du Monde » comme le fut cette gueule cabossée de Cendrars… L’être paradoxal est un sauvage parfois apprivoisable. 

Vous habitez l’écriture ou est-ce l’écriture qui vous possède ?

Il y a bien possession, et vous devez en savoir quelque chose… Je l’ai souvent écrit. Les Mots sont en apparence chiens dociles qui, lorsqu’ils prennent le dessus, deviennent meutes de loups carnassiers.

Et puis, ce qui me plait lorsque je pense ou que j’écris, n’est pas ce que je maîtrise mais ce qui me surprend. Le Charme (carmen, au sens fort de l’enchantement) du langage, c’est cette part de tout un inconnu qui débarque entre vos doigts, comme un cadeau qui vous est fait, si riche et si puissant, que vous ne pouvez que tenter de le partager.

Vous gambadez un pied dans le roman et un pied dans la prose poétique, cela tient-il dans votre capacité de jouer avec la vie ?

Cela tient surtout à mon incapacité d’être dans une narration purement réaliste. Je ne suis qu’une flopée de sensations, un galimatias d’impressions que je m’efforce de dompter.

Je ne « gambade » pas, je boîte ou cours comme un dératé. Je ne joue pas, non, je m’en vais, vers l’hospitalité des âmes qui partagent. 

Je vous soupçonne d’être fasciné par une autre forme d’art… la peinture, la danse, le cinéma…

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas être fasciné par tous ces êtres qui, avec leurs pauvres moyens d’humains, tentent toujours de transcender, de dépasser la raison ordonnée, les tristes limites qui nous sont imposées ? Chacun à sa manière enrichit notre esprit. C’est la meilleure définition du Pluriel Singulier. 

Comment se vit la genèse d’un nouvel opus ?

C’est un éclair dans le brouillard. Le problème ensuite est de garder le rythme de la foudre et de ne pas s’ensevelir dans les sables mouvants de la facilité.

Qui a le dernier mot, l’écrivain ou le personnage ? 

Mais enfin Denis, les deux sont les mêmes ! Saint ou crapule, empereur ou taulard, nous ne sommes que les transporteurs de l’entière Humanité.

Vous êtes chien ou chat ? Thé ou café ? Eau plate ou pétillante ?

Je ne suis rien et je me fais à tout. 

Quelle part de votre vie est consacrée à l’écriture et à tout ce qui l’entoure (édition, promotion, etc.) ?

Toute ma vie est consacrée à l’écriture. Ce qui n’est pas bon. On y perd pied. On a le cul entre deux chaises, entre le plein et le vide, funambule sur une corde usée qui menace de rompre à chaque pas franchi.

Plus vous gagnez en maturité et plus vous renouez avec l’enfance et son émerveillement. Vrai ou faux ? Ou l’intervieweur est d’une telle naïveté ?

Ne pas confondre naïveté et quête de limpidité. Et ce n’est pas une histoire d’âge. Comment ne pas désirer la pure intensité de ce regard des tout-petits, sans calculs, sans orgueil, sans fausse séduction, uniquement mû par la curiosité et cette capacité à s’émerveiller.

J’ai un rêve que je vous livre comme ça… J’aimerais bien que l’écrivain et acteur Vincent Giudicelli (Corse par sa mère) lise vos textes sur scène ou pourquoi pas l’acteur italien Alessio Boni qui fait des soirées de poésie. Est-ce que vos livres pourraient être traduits en italien ?

Je suis heureux que vous rêviez…

Décrivez-vous en cinq mots au maximum…

Un seul suffira : chercher.

 

© Photos, Martine Cadéo. Entretien, Alain Cadéo, Denis Morin, 2021

 















dimanche 13 juin 2021

Au nord de ma mémoire de Mattia Scarpulla

 

Mattia Scarpulla cultive le mystère. On sait de lui que c’est un intellectuel de haut calibre s’intéressant à la danse, aux lettres et aux langues. Il est né à Turin, puis il a transité par la France et la Belgique avant de venir s’installer au Québec.

Tout récemment, il a publié le fulgurant roman Errance chez Annika Parance Éditeur et il a codirigé le recueil collectif Épidermes chez Tête Première. Nous le retrouvons ici dans Au nord de ma mémoire, dans la collection Sauvage, toujours chez Annika Parance Éditeur. 

On touche ici à la poésie. L'absence de ponctuation libère la lecture et confère contre toute attente du rythme aux textes. Mattia dénonce le musèlement des citoyens et nos vies codifiées. Il s’interroge sur la communication facile ou opaque entre les êtres. Fasciné par les corps et les mouvements, à l’instar de Rodin, il fragmente et assemble les membres. Il chorégraphie les intentions, les départs et les retrouvailles. Loin d’être une âme en peine, je perçois le citoyen du monde qui embrasse la vie et les liens humains dans toute leur complexité. Il est Turin, Paris, Brest, Bruxelles et Québec. Il cumule en lui ces villes comme autant de strates, d’expériences, de souvenirs dont ses mots sont empreints. J’entends ses pas au musée, je le vois traversant le temps et les places, chargé du poids de l’amour et de l’exil. Il est d’ici et d’ailleurs. Grazie mille per quest’opera. Ti voglio bene. 

© Photo, texte du billet, sans les extraits de Mattia Scarpulla, Denis Morin, 2021 

Extraits : 

« Des caméras tout autour continuent à épier notre intimité   on reste des heures à tourner en rond   debout assis allongés    lentement      rapidement       la sueur s’échappe se fondant dans les objets les murs » (p. 17)

« Les livres brûlent dans la bibliothèque   les vitraux explosent      les cendres étouffent les gorges de leurs bourreaux    les pages crient pendant que les mots s’effacent avec les histoires   les pierres en chute libre écrasent les passés » (p. 45)

« À mon arrivée en ville on me donne l’adresse d’un bureau où on me demande ma date de naissance où on sort une liste de mes amis d’adolescence    je ne me souviens pas d’eux  je dois les contacter   il faut apprivoiser une vie sociale »  (p. 117)

 

 


samedi 5 juin 2021

Confessions ou les spams d'une âme en peine de Alain Cadéo

 


Alain Cadéo aurait pu être un dandy d’un autre temps, pris dans les jeux de la séduction et de l’ego, ou bien un existentialiste amer au ton désabusé. Or, il n’en est rien. Cet écrivain d’un âge certain est encore vif comme un gamin espiègle et tendre.

Dans Confessions ou les spams d’une âme en peine paru en 2021 aux Éditions La Trace arrive en un temps opportun. Je m’explique. Ce livre avec sa jaquette chic et monacale reposait élégamment sur une pile d’ouvrages à lire. À la fin mai, un cousin a décidé qu’il en avait marre de cette vie et ma mère âgée ébranlée par son départ est allée le rejoindre pour le consoler.

L’écrivain qui qualifie ce nouvel opus d’essai m’a offert sans le savoir son personnage attachant de Gaspard Staccato en guise de compagnon de deuil. Cet homme envoie des messages à quelques correspondants anonymes qui peu à peu font sa connaissance. On lui répond chaleureusement ou froidement. Fait à noter que le terme italien staccato fait référence aux notes qui se jouent détachées, contrairement au terme legato pour des notes liées entre elles dans l’exécution. Justement, ce cher Gaspard trop lié vraisemblablement par son ancienne condition humaine apprend peu à peu à s’éloigner des humains.

Cette œuvre de fiction à la prose poétique et si fine plaira à tous, peu importe nos croyances. J’ai senti Gaspard pris dans une salle d’attente, dans une sorte de purgatoire où il se questionne et où il nous interpelle sur le sens de la vie, de la mort, sur nos liens, sur la dureté des communications entre les gens.

Je referme ce livre avec gratitude envers l’écrivain et son Gaspard Staccato. Bref, c’est du baume pour le cœur et l’esprit !

Extraits :

« L’époque où je vécus ? C’est bien tout le problème. Je suis ancien comme une pierre et neuf comme aujourd’hui… et chaque jour recommencé. »

« Tu m’as dit Mariam ce qu’il fallait que j’entende. Personne ne me l’avait jamais dit. C’est si simple pourtant. « L’agité transcendant » comme tu l’appelles, n’a plus besoin de remorquer ses caravanes de remords. Il est temps de rompre le dernier fil de ce grand cerf-volant qu’est mon âme. Mon ombre au goût parfumé de tilleul t’enlace avec respect. C’est, ce sera mon ultime baiser de plénitude. »

 

© Photo, texte du billet sauf les extraits de A. Cadéo, Denis Morin, 2021