Chez les artistes, on veut toujours
départager l’humain du créateur comme s’ils étaient deux jumeaux inséparables. Je
me suis entretenu virtuellement avec Alain Cadéo, un écrivain français dont j’apprécie
l'intelligence, la sensibilité et la pertinence. Il eut l’amabilité de répondre à
mes questions sur l’écriture et la vie. Ses réponses nous amènent sur des
sentiers de montagne, loin du bruit. Martine, son épouse, fut en toute
discrétion la cheffe d’orchestre. Je lui en suis reconnaissant.
Je vous connais par Mayacumbra, Des mots de
contrebande, Confessions, il y a toujours un soli(d/t)aire
dans vos histoires… C’est vous, par transposition ?
Merci déjà à vous pour vos questions.
Merci aussi pour le « d » et le « t » de ces deux
mots aux apparences antinomiques et qui pourtant peuvent parfaitement
fonctionner ensemble.
Nos rêves ne sont-ils pas bien souvent des îles que nous souhaiterions
parcourir avec tous ceux à qui nous pourrions être utiles et qui eux-mêmes nous
pousseraient à voir mieux, plus grand, plus beau, plus loin.
Duras disait qu’elle devait s’isoler, se retrancher du monde, en
être l’observatrice. Qu’en pensez-vous ?
S’isoler, observer, et à la fois être « au cœur du Monde »
comme le fut cette gueule cabossée de Cendrars… L’être paradoxal est un sauvage
parfois apprivoisable.
Vous habitez l’écriture ou est-ce l’écriture qui vous possède ?
Il y a bien possession, et vous devez en savoir quelque chose… Je l’ai
souvent écrit. Les Mots sont en apparence chiens dociles qui, lorsqu’ils
prennent le dessus, deviennent meutes de loups carnassiers.
Et puis, ce qui me plait lorsque je pense ou que j’écris, n’est pas ce
que je maîtrise mais ce qui me surprend. Le Charme (carmen, au sens fort de
l’enchantement) du langage, c’est cette part de tout un inconnu qui débarque
entre vos doigts, comme un cadeau qui vous est fait, si riche et si puissant,
que vous ne pouvez que tenter de le partager.
Vous gambadez un pied dans le roman et un pied dans la prose poétique,
cela tient-il dans votre capacité de jouer avec la vie ?
Cela tient surtout à mon incapacité d’être dans une narration purement
réaliste. Je ne suis qu’une flopée de sensations, un galimatias d’impressions
que je m’efforce de dompter.
Je ne « gambade » pas, je boîte ou cours comme un dératé. Je
ne joue pas, non, je m’en vais, vers l’hospitalité des âmes qui partagent.
Je vous soupçonne d’être fasciné par une autre forme d’art… la
peinture, la danse, le cinéma…
Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas être
fasciné par tous ces êtres qui, avec leurs pauvres moyens d’humains, tentent
toujours de transcender, de dépasser la raison ordonnée, les tristes limites
qui nous sont imposées ? Chacun à sa manière enrichit notre esprit. C’est la
meilleure définition du Pluriel Singulier.
Comment se vit la genèse d’un nouvel opus ?
C’est un éclair dans le brouillard. Le problème ensuite est de garder
le rythme de la foudre et de ne pas s’ensevelir dans les sables mouvants de la
facilité.
Qui a le dernier mot, l’écrivain ou le personnage ?
Mais enfin Denis, les deux sont les mêmes ! Saint ou crapule, empereur
ou taulard, nous ne sommes que les transporteurs de l’entière Humanité.
Vous êtes chien ou chat ? Thé ou café ? Eau plate ou pétillante ?
Je ne suis rien et je me fais à tout.
Quelle part de votre vie est consacrée à l’écriture et à tout ce qui
l’entoure (édition, promotion, etc.) ?
Toute ma vie est consacrée à l’écriture. Ce qui n’est pas bon. On y
perd pied. On a le cul entre deux chaises, entre le plein et le vide, funambule
sur une corde usée qui menace de rompre à chaque pas franchi.
Plus vous gagnez en maturité et plus vous renouez avec l’enfance et
son émerveillement. Vrai ou faux ? Ou l’intervieweur est d’une telle naïveté ?
Ne pas confondre naïveté et quête de limpidité. Et ce n’est pas une
histoire d’âge. Comment ne pas désirer la pure intensité de ce regard des
tout-petits, sans calculs, sans orgueil, sans fausse séduction, uniquement mû
par la curiosité et cette capacité à s’émerveiller.
J’ai un rêve que je vous livre comme ça… J’aimerais bien que
l’écrivain et acteur Vincent Giudicelli (Corse par sa mère) lise vos textes sur
scène ou pourquoi pas l’acteur italien Alessio Boni qui fait des soirées de
poésie. Est-ce que vos livres pourraient être traduits en italien ?
Je suis heureux que vous rêviez…
Décrivez-vous en cinq mots au maximum…
Un seul suffira : chercher.
© Photos, Martine
Cadéo. Entretien, Alain Cadéo, Denis Morin, 2021