samedi 22 février 2020

Rencontre onirique du peintre Claude Bolduc et du poète Paul Laurendeau


Claude Bolduc est un peintre autodidacte inspiré et inspirant originaire du Saguenay et Paul Laurendeau érudit linguiste, docteur ès lettres, écrivain, issu de Lanaudière, nous ont offert en 2019 un clash, un choc des titans avec Rencontre onirique.

Sans les textes, ce livre eût été un album pour table à café. Vous savez il y a des livres que l’on laisse traîner pour épater la famille, les amis, pour montrer qu’on a de la culture. Vous savez tout aussi bien qu’il existe d’autres bouquins que l’on lit, que l’on scrute à la loupe ou avec la lampe intégrée de son cellulaire. Rencontre onirique appartient à la seconde catégorie.

En France, on ne se surprenait pas de voir Jean Cocteau boire une bière en compagnie de Picasso. Donc, au Québec, on ne devrait pas ou plus se surprendre de ces tandems d’artistes versant dans le multimédia ou le multidisciplinaire.

Patrick Cady, fondateur du Musée d’art contemporain singulier de Mansonville au Québec, signe la préface. Paul Laurendeau nous explique succinctement ce qu’est la pictopoésie, d’où la création de pictopoèmes, quant à Claude Bolduc, il nous donne les grandes lignes de sa démarche et décrit certains éléments picturaux de son corpus iconographique.

Dans cet ouvrage, le poète se met au service des tableaux. Ainsi, ses pictopoèmes se désignent de la même manière que les peintures. On dépeint en images et en mots des femmes-oiseaux, des femmes nues, des démons, des anges sages ou non, des coqs, des extraterrestres, des membres de la famille, l’épouse du peintre Isabelle Larouche, autrice. Éros et Thanatos s’y contrastent. Claude Bolduc, homme de foi et de convictions, dénonce toutefois les égarements sociaux, religieux et politiques. Paul Laurendeau appuie, confirme les intuitions du premier avec un style rabelaisien, c’est-à-dire qu’il n’hésite pas à tartiner plus densément s’il le faut. Le peintre et le poète font dans la générosité et l’audace.

Le peintre fut à une autre époque le facteur du peintre Arthur Villeneuve. D’ailleurs, dans les tableaux, j’y ai vu l’inspiration de Villeneuve et de Frida Kahlo. Le poète explore aussi et s’éclate, s’amuse, tempête et émeut.

Vraiment, "de la très belle ouvrage" comme le disent les anciens au Québec. N’hésitez pas à contacter le peintre et le poète via Facebook pour vous procurer ce superbe livre d’art et de pictopoésie.


© Photo, texte du billet, Denis Morin, 2020










samedi 15 février 2020

Théo à jamais de Louise Dupré




Les drames n’arrivent qu’aux autres aurait pu penser Béatrice, cinéaste et monteuse au tout début de l’émouvant Théo à jamais de Louise Dupré, roman paru en 2019 chez Héliotrope.

Béatrice monte justement un documentaire sur les jeunes tueurs dans les écoles. Il pleut des hallebardes ce jour-là quand elle reçoit un appel de Floride lui annonçant que Karl son époux et leur fils Théo étaient à l’hôpital. Le fils était parti rejoindre son père qui devait parler devant une classe à l’université. Le fils devait en profiter pour se détendre à la plage. Mais pour quelles raisons le fils a-t-il tiré sur son père ? Théo descendu par un policier ne pourra jamais répondre.

Karl se remet physiquement, rationnalise tout, met tout sur le compte de la détresse psychologique du fils. Quant à elle, Béatrice la narratrice veut comprendre sous la forme d’un journal intime. Elle aura bien fait de se montrer persévérante dans sa quête, puisque des parcelles de réponses lui parviendront, ce qui permettra à ce couple et à la famille de mieux vivre le deuil.

Bien des scènes de ce roman m’ont remué, surtout le dépôt de l’urne de Théo en terre qui m’a tiré des larmes.

Louise Dupré nous rappelle avec délicatesse et tendresse que la lumière finit par dominer les ténèbres.

Extraits :

« Moi, mon enfance, je l’avais vécue à l’abri de l’horreur, dans l’enthousiasme de la Révolution tranquille, est-ce pour cette raison que je me sentais fragile ? J’aimais dire que, avec le temps, j’étais devenue forte de mes fragilités, mais une phrase comme celle-là sonnerait creux désormais, l’impression d’être en verre. »

« Karl m’a trouvé songeuse. Je lui ai dit que je pensais à la beauté du monde. Je voulais en effet me concentrer sur la beauté, et non sur Théo. Il fallait qu’il y ait des moments où nous ne parlions pas de notre malheur, des moments où la joie chasse la tristesse, ce serait désormais une discipline à cultiver. »



© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Louise Dupré, Denis Morin, 2020

Entretien avec Marie-Christine Arbour





Aujourd’hui, je rencontre Marie-Christine Arbour au Café-épices Bé rue Saint-Denis à Montréal par un samedi lumineux de février. Nous verrons quelles sont ses motivations liées à l’écriture.

À quand remonte votre envie d’écrire, pour ne pas dire votre besoin d’écrire ?
À 11 ans, après un voyage en Amazonie, j’ai voulu m’exprimer. Ce voyage fut un choc.

Le voyage un choc ?
C’était en 1977. J’ai failli mourir dans la jungle. Utop est mon roman qui traite de ce voyage. Nous étions à cinq jours de la civilisation. Nous nous déplacions en pirogue. À l’époque, j’avais 11 ans et j’ai écrit 10 pages. Ce fut l’élément déclencheur.

Écrivaine du silence ou de la cohue ?
Je fonctionne très mal dans le bruit. Je ne peux écrire dans le bruit d’un café.

Dans Moi, Hercule et dans PsychoZe, il y a Christian et Marie-Christine. Vos doubles en quelque sorte ?
Oui, il y a une projection dans les personnages. Ce serait une partie plus audacieuse.

Est-ce qu’une écrivaine vit nécessairement en marge du monde ?
Dans mon cas, oui. Il y a des écrivains plus sociaux, mais je suis plus en retrait.

Par choix ?
Par tempérament.

Dans Drag, un roman, vous allez vers un milieu plus marginal…
Je me suis retrouvé à Vancouver et j’ai réalisé que ma voisine était un drag. J’étais fasciné par lui ou par elle. Donc, dans ce roman, j’ai exploré cet univers.

À quel moment écrit-on ?
Entre 10 h et 14 h, je m’installe et j’écris. Si c’est très prenant, je poursuis en soirée.

Y aurait-il des thèmes que vous souhaiteriez aborder ?
Pas vraiment. Je viens de terminer un roman sur un transgenre dans les années ’80-’90. C’est un projet en vue d’édition.

Dans PsychoZe, on passe du roman psychologique et on va vers le polar. Seriez-vous intéressée par le polar ?
Ce serait mon prochain projet. Ce genre a été longtemps considéré comme une sous-littérature, de la paralittérature, du roman de gare. J’aimais beaucoup Agatha Christie dont j’ai lu les romans entre 10 et 12 ans.

Selon vous, est-ce que les femmes sont bien représentées en lettres ?
Il y en a beaucoup, mais les lit-on autant que les hommes. Je me questionne à ce sujet. Au Québec, elles sont plus respectées qu’en France.

Est-ce dû à la culture ?
Dans un cours de littérature, une prof disait qu’on pensait que les hommes traitaient des sujets universels et que les femmes traitaient de sujets plus marginaux et personnels. Il y a eu évolution. Le sexisme est plus présent du côté de la France.

Et votre rapport aux réseaux sociaux ?
Je suis absente des réseaux sociaux.

Pourquoi ?
Je ne me sens pas à l’aise.

On revient donc au silence…
Oui, tout à fait.

Comment vos lecteurs vous trouvent-ils ?
C’est le travail de l’éditeur au niveau de la promotion. Elle fait les versions papier et électronique.

Comment avez-vous découvert sa maison ?
Par hasard, j’ai rencontré une Française qui m’a parlé d’Annika Parance et d’un inédit de Marie Cardinal.

Y a-t-il d’autres formes d’art qui vous intéressent ?
J’aime l’art, mais je ne visite pas les musées. Je suis plutôt intéressée à la littérature.

Les idoles ?
W. G. Sebald, c’est un écrivain allemand. Proust.

Pour Proust, c’est un brin de nostalgie ?
Oui, en effet.

Vous sentez-vous dans la bonne époque ?
Je sens que j’aurais aimé être écrivaine dans les années ’60. Américaine, en anglais de préférence.

Parce que plus de liberté ?
Oui. Il y avait le mouvement Beat avec Kirouac, Allen Ginsberg.

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de vous ?
La marginalité. Elle a parlé de la marginalité.

Donnez-moi cinq mots qui vous décrive ?
Excentrique, sensible, travaillante, discrète, mystique.

Puisse cet entretien inciter les gens à vous découvrir et à vous lire. Merci.


© Texte, photo, Denis Morin, Marie-Christine Arbour, 2020





jeudi 6 février 2020

Conservez comme vous aimez de Martine Roffinella



Martine Roffinella nous revient en 2020 avec le savoureux roman Conservez comme vous aimez aux Éditions François Bourin.

En voyant les plats pastels dans une palette de couleurs agréables et douces, je me suis dit que j’allais lire une histoire de gens esseulés qui se réunissent pour de la vente de contenants en plastique et autres matériaux. Je n’avais pas lu la quatrième de couverture.

Puis dès les premiers paragraphes, j’ai senti le tapis me glisser sous les pieds ou plutôt je me suis senti emporté par le dérapage de Sibylle, rédactrice publicitaire aux portes de la cinquantaine qui travaillait jusqu’à l’arrivée de Capucine, Princesse Commerciale, une blondinette vaniteuse et ambitieuse, dans une boîte de publicité dirigée par P.Y., un égocentrique qui se tamponne les narines avec de la neige et qui utilise abusivement d’un franglais irritant.

Sibylle connut ses heures de gloire avec son slogan Conservez comme vous aimez à la suite d’une campagne pour une gamme de contenants en plastique allant au frigo et au congélateur, slogan que la nouvelle recrue de la boîte trouve trop proustien. Cette dernière revampe le concept par un J’aime, je conserve. Reléguée aux oubliettes, Sibylle développe des manies qui tournent à l’obsession, ce que l’on qualifierait de trouble obsessionnel compulsif. Elle vérifie ses phares de voiture, elle resserre ses robinets, elle s’assure de l’étanchéité de ses 101 plats mis au congélateur, etc. Elle est suivie par un Papa-Psy qui lui prescrit des cachets anxiolytiques ou autres. Il menace de la faire interner, si elle ne réprime pas l’expression de certaines envies. Sibylle écrit même à un commissariat pour attirer l’attention sur elle. Selon toutes les apparences, elle est devenue barjo, folle à lier ou presque.

Ce roman questionne beaucoup la société occidentale du ‘’consommez et jetez’’, d’éphémérité, de course au pouvoir, de vanité. Nous vivons dans une prison des apparences où les personnes authentiques se font broyer par une concurrence impitoyable.

Durant la lecture, j’imaginais Isabelle Huppert en Sibylle, Thierry Lhermitte en patron despotique et Léa Seydoux en Capucine. Je me suis fait mon cinéma et c’est le propre des histoires bien ficelées que de provoquer la réflexion et l’évasion. (Pour ma photo, j’ai opté pour des plats allant au four. Je me suis amusé simplement avec l’harmonie des couleurs.) Je fais aussi exprès de ne pas mettre d'extrait, puisque je souhaite piquer votre curiosité.

Pour le reste, je n’en dirai pas plus. Voici un roman psychologique à découvrir !

Vivement Martine Roffinella !


© Photo, texte, Denis Morin, 2020

mercredi 5 février 2020

Tshinanu de Namum et d'Ysengrim



Quand un membre des Premières Nations et un caucasien, tous deux Québécois, s’allient en création, ça porte de beaux fruits, ça donne des envolées d’outardes pour le plaisir de notre iris. Nous sommes vraiment à une confluence. Denis Thibault alias Namun et Paul Laurendeau alias Ysengrim nous proposent Tshinanu (nous autres). 

Le peintre a peint ses toiles dans un style Woodlands (peinture légende ou peinture médecine) des êtres vivants, humains et animaux. Aux origines des temps immémoriaux, la lumière fut, les images apparurent, puis le vent, la pluie, l’eau ruisselant au museau des bêtes et au bec des oiseaux. Puis, les mots s’écrivent comme des inscriptions sur l’écorce des bouleaux, sur une berge de rivière, sur une neige matinale. Le verbe accompagne chaque tableau. On ne tombe pas dans le ton des Fables moralisatrices de La Fontaine, soit l’adaptation des antiques Fables d’Ésope, illustrées à la Gustave Doré.

Ce livret vibre. L’humain évolue aux côtés du castor, de l’aigle, de la ouananiche, du caribou, de l’ours et du loup.

Je ne peux que vous en recommander la lecture de ces pictopoèmes. Pour s’en procurer un exemplaire, faites tout simplement signe à Denis Thibault et à Paul Laurendeau via Facebook.
Bonne exploration ! Ravissement garanti !

Extraits :

« Il y a longtemps, les animaux parlaient aux hommes
Et ils leur écrivaient aussi, avec leurs pas
Dans la neige et dans la mousse. En somme
C’était des temps où on ne se taisait pas. »

« Admettons-le, il y a de quoi être assez fier
Qu’en cette rivière des harmonies
Histoire et Nature cogitent et s’associent
Dans une sorte de grand canot légendaire. »



© Photo, texte, sauf les extraits de Paul Laurendeau,
    Denis Morin, 2020