dimanche 31 octobre 2021

L'écueil des mondes de David Beaudoin

 

David Beaudoin est un doctorant en lettres à l’Université de Montréal. Ce recueil de nouvelles L’écueil des mondes fut écrit lors d’un voyage de quatorze mois. Il vient de paraître en 2021 chez Annika Parance Éditeur. Méfiez-vous de la douceur de cette couverture rose.

Pour votre information, il s’agit du neuvième ouvrage de la collection Sauvage et il porte bien ce chiffre, puisqu’en numérologie le chiffre 9 est la fin et le début. Cela correspond aussi à une gestation de projet. Bref, on est raccord avec les vies qui basculent dans les textes proposés.

Le mystère est au rendez-vous dans ce recueil et la menace ne semble jamais loin, comme si le choc des cultures provoquait des séismes et la fatalité. On nous emmène en Amérique Latine, en Indonésie, au Népal, en Inde. Des gens veulent tourner la page, fuir le passé, amorcer de nouvelles relations, séduire et être séduits. On les sent en apparence libres en voyage, dénoués de toute attache. Le passé est en apparence gommé, relégué aux oubliettes. Des nouvelles aventures s’ouvrent à l’horizon et des corps se touchent. Un éventail de possibilités s’étale devant eux. Mais connaissent-ils vraiment les personnes rencontrées ? Lors de ces déplacements à l’étranger, sommes-nous nous-mêmes ou jouons-nous un rôle plus ou moins consciemment ? Sommes-nous au meilleur ou au pire de nous-mêmes ?

La prose douce et sensuelle de l’auteur coule sur la peau telle une eau contenant des huiles essentielles parfumées. Cependant, les chutes de ses nouvelles vous giflent la gueule. Je vous aurai prévenu.e.s.  À découvrir. Vivement le prochain opus !

Extraits :

« Ils dérivèrent deux jours et deux nuits dans le brouillard et les retombées de poussière. Personne ne savait vraiment quoi faire durant cette errance. Tout à coup, les conversations avaient l’air insignifiantes. Les interactions se limitaient à quelques sourires, à des regards de soutien mutuel, et parfois à une petite tape sur l’épaule pour s’encourager. »

« Lorsqu’elle avait terminé le roman, qu’elle l’avait déposé sur sa table de chevet, Anissa Varanasi s’était juré qu’une fois adulte, elle se rendrait dans cette ville homonyme de l’Inde. En se remémorant cette promesse dans le miroir de la salle de bain, elle avait voulu tout changer, mettre fin au calvaire. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de David Beaudoin, Denis Morin, 2021


vendredi 29 octobre 2021

Je suis là de Gildas Thomas

 

Gildas Thomas est un artiste inclassable. Il occupe la scène des théâtres à titre de comédien, mais il se défend aussi très bien comme auteur. Paru en 2021 chez JDH, son titre précédent Le dilemme raconte l’histoire d’un fils qui a contaminé un père du covid-19. C’est son propre drame familial. Visiblement préoccupé, voire hanté par l’idée de la mort, il revient toujours chez JDH dans la collection Nouvelles pages avec le roman Je suis là.

La couverture terrifiante avec ce visage à la Al Pacino est l’œuvre de Yoann Laurent-Rouault, écrivain, peintre et directeur des collections chez JDH Éditions.

Cette fois-ci, imaginez un homme mature qui s’écroule subitement. On l’hospitalise, coma. Par un revers de fortune s’il en est un, Pierre le narrateur maintenant (in)conscient avait signé un papier favorable à l’euthanasie. Prisonnier de son corps, il entend les visiteurs passer dans sa chambre. Les deux fils, l’aîné le prodigue et l’autre enjoué, dénoncent l’égoïsme de leur sœur, la préférée du père, prête comme la mère à enclencher un protocole de trépas. Cette longue cérémonie des adieux à l’époux, au père, à l’ami ne se fait pas sans confidences glissées à l’oreille du patient à la clôture des heures de visite. Le malade repasse cent fois le film de sa vie, accepte ses lacunes, voit les liens d’amour qui se font ou se délient pour se renouer... L’espoir peut-il être encore au rendez-vous ?

Reviendra-t-il de ce séjour entre la vie et la mort ? La famille respectera-t-elle les volontés exprimées alors que rien ne laissait présager la fatalité ? Et si une étincelle surgissait derrière le voile des paupières closes et un réveil survenait dans l’enveloppe corporelle en apparence inanimée sur un lit ?

Pour connaître les réponses à ces questions, je vous invite chaleureusement à lire ce livre qui m’a chamboulé le cœur. Bref, voici une prose pertinente, sensible, émouvante dans le même opus, bravo !

Extraits :

« Louis reprend : - Mais il dort ou il est mort, papi ?

Je reste cloué par la banalité de son propos. La mort n’a sans doute pas la même signification dans l’esprit d’un enfant de six ans que dans le nôtre, certes, mais tout de même… »

« Une caméra de cinéma montrerait assurément une salle d’attente dans laquelle les protagonistes seraient de parfaits inconnus les uns pour les autres. Je visualise très bien les regards furtifs et fuyants qu’ils échangent, les interactions muettes qui interviennent entre eux, les moues, les soupirs. Tout cela rien qu’à cause de moi, rien que pour moi. Je n’aurai jamais assez de gratitude. » 

© Photo, billet, sauf les extraits de Gildas Thomas, Denis Morin, 2021


samedi 16 octobre 2021

Dina de Felicia Mihali

 

Felicia Mihali est une femme de lettres et une universitaire polyglotte. Sa pratique scripturale est multiple : romancière, traductrice et éditrice. À titre d’écrivaine, elle est présente sur la scène littéraire au Québec et au Canada anglais. Bref, elle ne passe pas inaperçue. Elle joue de la plume comme un escrimeur utilise l’épée et le fleuret. Fouetté et touche.

Paru tout d’abord chez XYZ éditeur en 2008, voici que Dina réapparaît en 2021 aux Éditions Hashtag. Quelle émouvante surprise ! J’en suis désarçonné.

Comment décrire ce roman troublant ? Une narratrice vivant au Québec veut comprendre les circonstances de la mort subite de son amie, Dina, en Roumanie. Au bout du fil, les parents sont laconiques. On tait la raison. On atténue les circonstances. Ce sera pour la narratrice une occasion de revisiter dans son esprit le passé, le pays, les us et coutumes, les liens au village et avec sa famille, Bucarest, Timişoara, les frontières, le Danube.

Qui a tué Dina ? Dragan, le douanier serbe amoureux fou d’elle; Paul, le nouveau conjoint débonnaire; tout simplement l’usure et la violence de la vie ? Et si Dina n’était pas faite pour ce monde ?

Vous le saurez en lisant ce roman magnifique de Felicia Mihali, car les livres sont une bonne façon de voyager et de s’ouvrir à d’autres ciels.

Extraits :

« Dina avait compris ce besoin, chez Dragan, d’activer la haine du début de leur relation, de ne jamais lâcher sa proie. Il avait perdu. Même si Dina était maintenant presque sa propriété, le guerrier sentait qu’il avait été vaincu, que ce qu’il avait remporté n’était pas du tout une victoire mais la plus terrible défaite. »

« Il y avait aussi une autre Dina, qui renonçait aux guenilles de tous les jours pour s’habiller, se coiffer et même se farder légèrement. Dina révélait alors au monde une beauté d’icône byzantine : son visage était long et ovale, son nez, mince et long, ses yeux étaient profondément noirs, bordés de longs sourcils et un peu obliques… »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Felicia Mihali, Denis Morin, 2021

 

 


dimanche 10 octobre 2021

Le mercenaire de Pierre Crozat

 

Pierre Crozat, enseignant français à l’étranger, a fait paraître en 2021 aux Éditions Le Lys bleu un roman divertissant à souhait intitulé Le mercenaire.

D’emblée, en regardant la couverture uniquement la couverture, je m’attendais à un roman d’aventure. 

Le roman s’ouvre sur les voyages de Paul. Il y eut un séjour tumultueux à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. Il fila à l’anglaise. Par la suite, Paul, spécialisé en histoire-géographie, se fait engager au Lycée français Gustave Flaubert doté d’un buste de Balzac au Caire. Supercherie! Décidemment, la guigne le poursuit. Il se rend vite compte que son contrat d’embauche n’est pas respecté. On lui confie des classes de remplacement dans cette école à la gestion douteuse, aux postes d’enseignement sur des sièges éjectables, dans un décor de carton-pâte digne d’une série B. L’Égypte et son passé l’enivrent. Il est subjugué par le charme slave d’Anastasia, une collègue, et le regard mystérieux du serveur d’un bar où il s’attarde souvent.

Et si ce séjour oriental était trop beau pour être vrai? Pour le savoir, vous n’avez qu’à lire ce bouquin au ton dynamique et enjoué. Où Paul nous amènera-t-il dans un prochain opus? Seul le talentueux Pierre Crozat le sait pour l’instant.

Que Bastet les protège tous les deux.

Extrait :

« Devait-il suivre ses instincts d’aventurier et se rendre au plus près de la foule pour vivre les choses pleinement comme un reporter ou bien rentrer sagement à l’appartement à Maadi ? L’inquiétude et la curiosité rivalisaient en lui, un peu comme chez les chats pensa-t-il, qui devant un danger souvent ne peuvent s’empêcher de rester pour voir ce qui va se passer… »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de P. Crozat, Denis Morin, 2021


samedi 9 octobre 2021

Morceaux de mémoire de Mathieu Dubé

 

Les éditions Sémaphore font paraître en 2021 dans sa collection Mobile des Morceaux de  mémoire de Mathieu Dubé.

Ce poète est né en 1980 à Valleyfield. Il y vit aussi.

Cet album de poèmes-collages tient à la fois du recueil de poésie et du livre-objet. Le poète joue au typographe, à l’artiste visuel et au scribe. Quant au poème, il s’offre sonore et visuel. Le contenant importe comme le contenu. L’agencement des mots et le découpage sémantique semblent laisser au hasard. Pourtant, j’ai l’impression qu’il n’en est rien, que tout est soupesé, analysé, reconstruit et que l’assortiment relève aussi de la minutie de l’artiste et de sa fine observation de la condition humaine. Cette aire de jeu se divise en quatre sections :  Le rire avant toute chose / Capitale de la couleur / Fragiles architectures / Recoller les morceaux.

Sous l’aspect ludique de la forme, il y a matière à réflexion et densité. Il y a de la chair autour de l’os, des formes autour du désir, un cri freiné dans le murmure, une soif de vivre au-delà du col de bière et de ses yeux bleus. Le poète nous étale au grand jour son imaginaire pour notre grand bonheur. C’est émouvant et jouissif comme une scène ou une galerie d’art où des textes sinueux, découpés, collés, montés exposent des fragments de vie. Les mots deviennent tesselles dans cette mosaïque scripturale. Mon iris en balade a songé à Apollinaire et Cocteau.

À lire, à consulter, à vous procurer, si vous aimez la poésie et les arts visuels. Jubilation en perspective !

© Texte du billet, photos, Denis Morin, 2021


dimanche 3 octobre 2021

Entre deux mers, ballades poétiques de Ruth Benchétrit

 

En lisant le recueil Entre deux mers, ballades poétiques de Ruth Benchétrit paru en 2021 aux Éditions Le Baladin, maison fondée par elle-même, j’ai pensé inévitablement au poème Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage de Joachim Du Bellay dès les premières pages.

Si vous êtes sensible aux détails, la photo de couverture évoque en haut les eaux lumineuses de la Méditerranée et en bas les eaux froides et grises de l’Atlantique Nord.

La poète aux origines hispano-marocaines nous prend par la main et nous fait voyager avec le safran et la fleur d’oranger par des lieux exotiques et par les cycles de sa propre vie. D’ici et d’ailleurs, sa valise repose tout près en vue du prochain voyage. Son regard fixe l’horizon, appelé par la nostalgie et l’errance. À cette mélancolie, elle ajoute la couleur de l’espièglerie et du jeu dans certains textes.

Sachez que cette autrice (poésie et nouvelles) est impliquée en culture au sein de l’organisme de poésie Toulèsarts de Saint-Eustache dans les Basses-Laurentides. Elle y anime le Dimanche en poésie, activité où un.e poète invité.e vient présenter ses œuvres.

Bref, à découvrir et à lire si vous aimez une écriture où l’intelligence et le cœur sont assis à une même table.

Pour de plus amples informations, n’hésitez pas à poser vos questions.

Extraits :

« Nulle âme ne contemple

Rivière sous brume éthérée

Loin de ma maison »

 

« Au crépuscule d’un soir d’été

Sur le sable des souvenances

Les flâneurs en bord de mer

Au fil de l’eau vagabondent »

 

« À l’ombre des senteurs de mon enfance

Néroli Citrus tout en radiance

Fleur d’oranger blanche et parfumée

Aux pétales lisses et veloutés »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Ruth Benchétrit, Denis Morin, 2021

 


samedi 2 octobre 2021

Les réveillés de l'ombre d'Alain Cadéo

 

Alain Cadéo se fiche éperdument d’un anathème, même si proféré par Cervantes, géant de la littérature hispanophone, voire mondiale.  Il est de ces artistes qui rebondissent là où on ne l’attendait pas. Méfiez-vous de son air d’enfant sage sous sa chevelure de neige. Dans Les réveillés de l’ombre paru en 2013 chez Édition La Correntille, on débarque sur une île imaginaire du Midi avec un moulin occupé par un chevalier maigrelet d’un autre temps et son serviteur grassouillet.

Vous aurez deviné qu’il est question de Don Quichotte et de Sancho Panza. Le maître fut tiré de son gisant et le serviteur d’un mètre de terre où poussent l’ortie et des herbes folles broutées par le descendant d’un âne, mort de chagrin des siècles plus tôt.

Nos deux amis téméraires découvrent le 21e siècle obsédé par l’image et la rareté des idées profondes. Don Quichotte croise une serveuse qui fait battre son cœur et stimule sa libido. A contrario, Il rencontre un enquêteur aux desseins sombres qui ne lui inspire rien de bon. Nos deux comparses reprendront-ils leur itinéraire ou s’ancreront-ils sur cette île ? Vous le saurez à la lecture...

Pour se procurer un exemplaire de cette pièce, on s’adresse sur les réseaux sociaux à Alain Cadéo ou à Martine Cadéo.

Pour visionner, la pièce sur YouTube, on clique sur ces liens suivants :

Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=iy0IKUeB2tI

Extraits de 20 min. : https://www.youtube.com/watch?v=vTOf4OHILco

Version intégrale : https://www.youtube.com/watch?v=1f3hmMd5HoE

Bonne lecture ! Bonne écoute !

Extraits :

DON QUICHOTTE : — On y perd son grec ou son latin, son hébreu, son turc et en bon castillan aimant richesse de langage, je ne trouve là que petit vocabulaire acide et cru, sans images, sans lyrisme qui, nous le savons, est le sel de la pensée.

DON QUICHOTTE : — Il n’empêche que ces gens entreprennent mille choses, en voient dix mille et plus et ne finissent rien. Pas un pour comprendre que la patience est la plus belle des vertus. Il leur faut tout, tout de suite ou ils trépignent comme enfants gâtés, qui, ceci dit entre nous, mériteraient petites bastonnades.


© Photo, texte du billet, sauf les extraits de Alain Cadéo, Denis Morin, 2021