samedi 28 mai 2022

Arsenic et Eczéma de Alain Cadéo

 

Alain Cadéo recycle, glane des concepts, les reformule et les ressème. Des mots s’échappent portés par les vents. Le paysan-artisan peut être satisfait du travail accompli. Il nous sert cette fois-ci une pièce de théâtre intitulée Arsenic et Eczéma publiée chez Les Cahiers de l’Égaré.

En fait, Azema et Arsène parcourent le ventre d’une ville. Les collègues surnomment ces égoutiers respectivement Eczéma et Arsenic. Le premier, philosophe optimiste et réaliste du moins en apparence, est trahi par sa propension à se gratter, alors que le deuxième est plus amer qu’un citron. Bref, tout les oppose. Après avoir réparé, bricolé, débouché, rafistolé, les deux techniciens cherchent la sortie 109 pour remonter en surface. Au détour d’un passage, on se bute à un muret que l’on veut éventrer par curiosité.

Est-il bon de satisfaire à ce point sa soif de savoir ? Une rumeur émane de la brèche. A-t-on affaire aux âmes errantes des combattants emmurés, à une infestation-monstre de rats dodus ou à une créature mystérieuse ? Et si les dieux en avaient marre de cette humanité à la con responsable de tant de destruction, de guerres et de saccages ? Et si ces immortels de l’Olympe criaient vengeance ?

Pour en savoir davantage, je vous invite à lire cette pièce à deux personnages ou presque, surtout si vous pensez que les sous-sols recèlent des secrets et des êtres à ne pas déranger.

Extrait :

« ECZEMA : - N’empêche qu’on a toujours le choix. Tu peux te faire une grosse crise d’angoisse ou rester calme. Tu peux mourir en hurlant dans ton boyau plein de merde ou t’éteindre tranquille, gentiment recroquevillé dans ton p’tit coin en attendant la fin. »


© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de A. Cadéo, Denis Morin, 2022


dimanche 22 mai 2022

L'an 2222 de Alain Thibodeau

 

En 2022, Alain Thibodeau publie aux Éditions Crescendo! le roman d’anticipation L’an 2222. La lecture m’a bien étonné. D’habitude, je devine assez vite la trame et les intentions de l’auteur, mais pas cette fois-ci.

Nous sommes en un siècle de réchauffement climatique. Des projets d’exil en Antarctique sont à l’agenda des grands décideurs. Les oreillettes Bluetooth ont été remplacées par des assistants vocaux implantés dans les molaires. Les véhicules sont nettement moins polluants.

Un garçon orphelin adopté par une star des médias rêve d’un avenir autre. Jude souhaite vraiment devenir Judith. Désespérément. Cela se fera avec hormones et transplantation de l’utérus. Une docteure la conseillera pour une première grossesse avec son propre sperme d’avant. Mais Judith fera tout en son pouvoir pour ne pas être une bête de cirque montrée en heure de grande écoute par sa mère adoptive, animatrice télé si imbue d’elle-même. Puis l’amour sera aussi de la partie.

Je n’en dirai pas plus pour éviter de divulgâcher l’histoire.

Est-ce que Judith sera plus heureuse que Jude ? L’exil vers un nouveau continent est-il un jardin d’Éden ou une fuite vers l’avant ? Avec le réchauffement climatique et les tempêtes, faudra songer à nouveau à l’arche de Noé, ici, ailleurs, sur une exoplanète. Ce sera un jour dans l’ordre du possible. Je sais, j’en fais sourire quelques-uns avec ce discours alarmiste.

Néanmoins, pour l’instant, je vous invite à découvrir cette nouvelle plume.

Extrait : 

« Le bonheur de Jude était extrême ! Il réalisait pleinement que l’événement qu’il espérait de tout son coeur depuis des années était sur le point d’arriver. Pourtant, il aurait voulu sauter de joie, mais n’en trouvait plus la force, comme si toute son énergie avait servi à l’attente. » 

© Illustration, Crescendo!; texte du billet, sauf l’extrait de A. Thibodeau, Denis Morin, 2022


samedi 21 mai 2022

La roche de Jean-François Casabonne

 

Homme de théâtre, poète, écrivain, Jean-François Casabonne publie en 2022 aux Éditions Somme toute La roche. Ce texte est à mi-chemin entre un monologue et une prose poétique. Je fus dérouté agréablement par le ton spontané du texte qui mériterait d’être présenté sur scène.

Narcisse tente de retirer une grosse pierre du sol. Mais au fait, par cette roche, ne serait-ce pas justement son rapport au monde, sa place, ses liens avec les autres qu’il veut (dé)nouer ? Il effectue un retour en arrière sur son père-cheval basque, sa mère, le faux-vrai-père. Même un test d’ADN ne résout pas tout.

Si vous aimez le théâtre et si le questionnement sur les origines vous interpelle, ce texte est pour vous. 

Extrait :

« T’sé, des fois, à ton insu, la vie t’met l’nez dans c’que tu savais même pas qu’tu portais déjà, comme un bulbe de pensée qui éclot au moment voulu dans l’champ d’ton cerveau. Donc, premier coup d’pelle. J’fesse une roche à peu près trois pouces de creux dans l’sol… »


© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de JF Casabonne, Denis Morin, 2022


samedi 14 mai 2022

Papy le peintre amoureux de Claude Desjardins

 

Il était une fois un journaliste culturel des Laurentides qui prit le soin d’écouter la voix enjouée de Clément Gravel, artiste peintre. De ces moments de vie partagés en est sorti le récit biographique Papy le peintre amoureux signé par Claude Desjardins aux Éditions de l’Ours qui dort.

Ce livre au valu à M. Desjardins le prix Pauline-Vincent 2021 à titre d’écrivain émergeant par l’association des Auteurs des Laurentides.

En 2016, un homme âgé est séparé de Pauline, sa tendre épouse. Celle-ci est hospitalisée. Elle a l’idée de lui offrir tout de même un ‘’nécessaire’’ créatif, des pinceaux. Ce cher Clément se met à peindre en suivant son instinct. Les jours qui suivront seront récompensés par le rire de sa belle à la vue des tableaux peints durant la nuit.

Depuis la décès de sa compagne, Clément continue de peindre ses émotions. L’amour, la famille, la tendresse, le désir sont autant de sujets de création que de réflexion. 

D’ailleurs, les toiles du peintre se lisent avec le cœur. L’observation est de mise. Nul besoin de cataloguer sous une étiquette ou une école. On y lit ce que l’on veut bien y lire. De plus, il n'est jamais trop tard pour créer et révéler aux autres un potentiel insoupçonné. Bravo, M. Gravel !

Et moi, je lis dans ce livre et dans ses toiles : « Je ne suis que de l’amour ! »

Et pour les plus curieux d’entre vous, des peintures de Clément Gravel sont exposées au Musée National des Beaux-Arts du Québec d’avril 2022 au début janvier 2023.

Somme toute, un peintre à découvrir et un auteur à la plume élégante aussi à lire !

Extrait :

« Toujours il se raconte volontiers, avec générosité. Son vocabulaire est riche et coloré, sa rhétorique est limpide. Mais parfois il s’emballe. Il passe allègrement du coq à l’âne, ouvre une parenthèse et la referme, s’étonne de s’entendre dire une chose et puis l’autre. Il parle avec entrain puis, tout d’un coup, on le sent qui s’égare. Il lève le pied en se déportant tout doucement sur la voie d’accotement, comme si l’émotion venait de former un embâcle dans son récit. Plongeant au cœur de lui-même, il est tout juste revenu à l’essentiel : « Avec Pauline, tout était beau. »


© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de C. Desjardins, Denis Morin, 2022

 


dimanche 8 mai 2022

Donnez des ailes de Danielle Dussault

 

Danielle Dussault réussit très bien comme à son habitude dans le style intimiste. Son carnet Donnez des ailes paru en 2022 dans la collection Brève chez L’instant même ne fait pas exception à la règle.

Ce livre-ci ramène le ton de confidence que nous avions dans Les ponts de Prague dont je vous ai parlé en début d'année 2022. 

Ce carnet ressemble à un journal intime où l’écrivaine nous cause du centre culturel Les Récollets. L’immeuble a connu diverses vocations dont celle maintenant de résidence d’auteurs. Tout près, il y a le parc Villemin, aimant pour citoyens du monde. De sa chambre, Danielle Dussault entend les rumeurs de la Ville-Lumière. À quelques minutes de marche, s’écoulent les eaux tranquilles du canal Saint-Martin et s’anime la Gare de l’Est.

Dans ce microcosme, elle erre et se recentre. Elle ne cherche pas à épater la galerie, mais à être. D’ailleurs, ce livre se lit comme une respiration. On inspire et on expire, au gré des ciels changeants, du gris des toits, du bruissement des feuilles. Parfois, les mots accourent à la porte de l’ancienne cellule monacale transformée en studio-scriptorium. Tantôt, la promenade dans Paris remet les idées en place. Par contre, la femme et l’artiste ne sont jamais en décalage horaire.

Si pour vous lecture et introspection vont de pair, ce livre est pour vous. 

Extraits : 

« Dans la cours des Récollets j’aperçois des gens qui célèbrent la nomination du grand écrivain. Brume d’un rêve solitaire. Être enfin reconnu. Les verres s’entrechoquent. Conversations animées. Le bonheur dévale sur son visage. On peut vouloir participer à la parfaite illusion de la gloire. Mirages d’une vie. »

« Le paradoxe de l’écriture : vouloir rejoindre les autres, devoir s’isoler pour le faire. Sortir de l’enfermement et renaître de ses cendres. Comme le phénix. Je me consume si bien qu’il ne reste plus rien à brûler.

« Ne reste plus que ce carnet comme une eau vive que je voudrais vous offrir. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de D. Dussault, Denis Morin, 2022


dimanche 1 mai 2022

Les noces de la plus grosse femme au monde et de l'homme-serpent de Louis-Philippe Hébert

 

Pour ceux et celles qui ne le connaîtraient pas, Louis-Philippe Hébert est poète et éditeur fondateur des Éditions de la Grenouillère. Il s’est mérité le Prix du Gouverneur général pour Marie Réparatrice, le Prix du Festival de poésie de Montréal avec Vieillir et le Grand prix du FIPTR avec Le livre des plages.

À présent, le voici qui effectue un retour, en 2022. Roulement de tambour. Il récidive cette fois-ci avec Les noces de la plus grosse femme au monde et de l’homme-serpent. Dans ce cirque poétique, défilent une galerie de personnages tous étranges à leur façon. Ceux-ci sont en même temps objets de curiosité malsaine pour public en mal de divertissement et centres d’intérêt artistique et ludique.

Par conséquent, le cirque est en quelque sorte un laboratoire d’étude de la condition humaine existant bien avant ces téléréalités à la con pour pétasses insignifiantes et bellâtres musclés. Ces êtres en milieu de piste attirent les regards, attisent le rire et l’étonnement, mais ils analysent aussi l’attitude des spectateurs, échantillon représentatif de la société.

Le poète s’amuse de ce vaudeville qu’est la vie par exemple quand un dompteur de fauves sur une table d’opération confond le personnel soignant avec des lions et des tigres voulant le dévorer. Parfois, l’existence prend des allures de tragi-comédie, au gré des sourires, des pleurs et des grincements de dent.

Si vous aimez l’humour fin et que vous avez de l’esprit, ce recueil est pour vous.

Extrait :

« Ton nom sort de sa bouche, mon amour

comme la petite mousse sur le bord de la bassine

quand ta mère faisait des confitures

une petite mousse rouge pleine de bulles

s’échappe de sa bouche

l’avaleur de sabres fait des bulles avec son sang

ce n’est pas un spectacle attendrissant »

 

© Photo, texte, sauf l’extrait de J.-Ph. Hébert, Denis Morin, 2022