dimanche 28 avril 2019

Mes hiers assassinés d'Alexandre Rabor




Alexandre Rabor m’a contacté via Twitter pour que je présente son roman publié en 2018 chez Librinova, Mes hiers assassinés. Piqué par la curiosité, j’ai accepté d'entrer dans le jeu pour mon grand plaisir. 

Tout d’abord, le style épuré est agréable à lire.  Je me suis dit qu’au-delà de l’apparente fluidité du texte se cachait un drame trop longtemps conservé dans un vieil album de photographies.

Puis, on fait la connaissance de Diane Lambert, fille d’un riche propriétaire terrien français. Elle se comporte en bourgeoise blasée, née la cuillère d’argent au bec. Elle aime picoler. Il y a aussi Éric, un ouvrier agricole qui claudique, mais vaillant travailleur. Diane fait des rêves étranges concernant Éric et Éric rêve aussi de Diane. Il y a Warren qui vit à Philadelphie et qui rend visite à l’hôpital à sa mère agonisante.

Toute vérité est-elle bonne à dire ?  Qui nous aime vraiment ?  Le destin se fout-il résolument de notre gueule ?  A-t-on le droit de modifier le parcours de vie des autres ?  Je ne peux en dire plus, au risque de livrer maladroitement la fin de l'histoire.

Somme toute, j’ai bien apprécié ce roman plutôt intello et j’ose espérer que ce romancier sera bientôt de retour avec un nouveau roman.

© Image, Alexandre Rabor
    Billet, Denis Morin, 2019

lundi 22 avril 2019

Les hasards nécessaires, la synchronicité dans les rencontres qui nous transforment de Jean-François Vézina




Je n’ai pas l’habitude de parler de mes lectures de psychologie. Pourquoi ne le ferai-je pas si cela est porteur de sens pour moi dans mon parcours littéraire ? Pour la période 2006-2009, je croisais souvent un passager dans le train Deux-Montagnes/Montréal qui ne cessait de me parler d’être à l’écoute des signes envoyés par la vie. J’étais amer, cynique et quelque peu désespéré. Pendant ces trois années, il tentait de me convaincre de reprendre la plume. Il me parlait des synchronicités, soit des coïncidences n’ayant pas de raisons valables mais ayant une charge symbolique dans mon vécu. Ce fut le cas un matin quand la fille de François Dompierre (le compositeur), Violaine, vint s’asseoir devant moi dans le train, ouvrit son ordinateur portatif pour continuer l’écriture d’un roman entrepris. J’ai alors repris la plume et je ne l’ai plus rangée depuis ce temps.

Quelques années plus tard, je croisai par hasard le visage de Jean-François Vézina avec une impression de déjà-vu. Il ressemble au compositeur Gustav Mahler. Je l’ai ajouté à mes contacts sur LinkedIn. J’ai échangé à quelques reprises avec cet être lumineux, psychologue à Québec, conférencier international, président pendant sept ans du Cercle Jung de Québec, animateur radio et d’ateliers, compositeur de musique électronique.

Puis, je me suis décidé à me procurer Les hasards nécessaires, la synchronicité dans les rencontres qui nous transforment, ouvrage publié dès 2001, aux Éditions de l’Homme. J’y ai retrouvé des notions telles que les coïncidences, les synchronicités, l’inconscient collectif, les rencontres providentielles dont me parlait jadis mon ami du train. J’étais en pays de connaissance. J’ai alors compris que mon être en transformation recevait ces signes comme autant de clefs pour ouvrir de nouvelles portes donnant sur de nouveaux horizons. Cet ouvrage a été mon livre de chevet ces derniers temps.  Je me suis aussi procuré d’autres titres du même auteur.

Un auteur conférencier à découvrir qui vulgarise très bien avec des exemples des concepts de psychologie  qui autrement resteraient dans l’abstraction.  Je vous recommande chaleureusement ce livre.

© Texte, Denis Morin, 2019
    Photos, Jean-François Vézina

dimanche 21 avril 2019

Entretien avec Bertrand Runtz





Bertrand Runtz, artiste dans l'âme, manie la lumière, les images, le papier, les mots. Il varie les manières de nous atteindre. Bonne découverte.


Quand on sait que vous êtes écrivain, photographe, sculpteur de livres, animateur culturel, les arts ont surgi à quelle époque de votre vie ?

Eh bien voilà une question bien innocente qui appelle néanmoins une réponse quelque peu indiscrète… Ayant connu une scolarité désastreuse, de surcroît affligé de dysorthographie, je n’en ai pas moins éprouvé très tôt le violent désir d’écrire ! Mais pour les raisons précitées, cela me semblait totalement inaccessible. Ma vie de jeune adulte elle-même n’était qu’un brouillon confus et désespérant… 
Et puis voilà que je me mis à la photographie qui me semblait facile, ou du moins à ma portée, ne nécessitant ni orthographe ni grammaire… Clic Clac ! Et pourtant… C’était méconnaître l’origine même du mot photographie : écrire avec la lumière.
Un peu plus tard, croisant par hasard au bord du trottoir un petit bonsaï mort et desséché, j’eus l’idée de le replanter dans un livre ouvert en deux aux pages vierges.  C’était l’automne et je découpais de minuscules feuilles d’arbres dans des pages de texte. Ce serait à elles, en tombant, que reviendrait le privilège d’écrire le livre, puisque je pensais ne pas en être capable moi-même …
Une fois de plus, je tournais autour de l’écriture, comme un homme en plein désert chercherait une source où sauver sa vie.
Les années passèrent. Peu à peu par je ne sais quel miracle, à croire que les égarements eux-mêmes se fatiguent, je parvins à remettre de l’ordre dans ma vie. Le temps était venu.
J’écrivis mon premier livre.

Que vous procure l’écriture ?

Le sentiment d’exister véritablement. Dernièrement, préparant un atelier d’écriture autour du thème « Slogans », m’est apparu cette évidence qui a dû crever les yeux de bien d’autres avant moi : Dans littérature, il y a rature…
Comme une injonction ! Et c’est exactement cela pour moi « lire ses ratures » jusque dans l’invention même d’autres destins, d’autres personnages en apparence radicalement différents de soi, et pourtant…

Avez-vous choisi le roman et la nouvelle ? Ou sont-ce eux qui vous ont choisi ?

Je ne sais qui a choisi qui, mais en tous cas j’aime à dire que je ne cherche pas à raconter des histoires à mes lecteurs… Mais plutôt à leur faire partager un moment d’émotion, heureux ou malheureux, par-delà la page. Je n’ai d’autre ambition que de donner à mes lecteurs quelques nouvelles du monde, leur donner à entendre un peu de l’écho des battements du cœur des hommes. Alors oui, la nouvelle plutôt que le roman! Même si j’en ai écrit trois. D’ailleurs, ils auraient tous pu être sous-titrés, roman de nouvelles…

Avez-vous un rituel d’écriture ?

Auparavant oui, j’aimais écrire dans les cafés bruyants et enfumés, particulièrement les tabac PMU avec leur lot de parieurs invétérés qui misent sur la casaque de tel cheval après de savants calculs qui sont aux mathématiques ce que sont à la science l’alchimie et la recherche de la pierre philosophale…
Il y avait toujours un type dans un coin, les lunettes sur le bout du nez, plongé dans son journal de turfiste que les autres surnommaient « Le Professeur » et dont ils quêtaient les bons tuyaux…
Oui, j’aimais disparaître derrière ce rideau de fumée, m’isoler dans ce brouhaha confus qui finalement me permettait de me concentrer davantage que le silence, avec quand même de temps à autres les exclamations de joie ou de dépit des parieurs qui suivaient une course en direct sur l’écran de télé…
Mais aujourd’hui plus personne ne fume dans les cafés.
D’ailleurs, je ne fume pas, j’ai arrêté il y a 30 ans… Je n’ai plus besoin de ce brouhaha anonyme pour me sentir faire partie de l’humanité.
Aujourd’hui, j’écris dans le silence…

Écrivez-vous inspiré ou grâce à un cadre très structuré ?

Les deux à la fois, du moins je l’espère.
Je ne me mets jamais devant ma feuille en attendant l’inspiration. J’écris toujours avec une idée bien précise en tête même s’il peut survenir que cela évolue en cours d’écriture. Parti me promener vers un lac, j’arrive parfois en bord de mer… L’inspiration est une comme une beauté soudain entrevue au détour d’un paysage connu.

À quel renoncement vous contraint l’écriture ?

Tout simplement parfois « à vivre ».
Il y a dans l’écriture ce paradoxe de prétendre raconter la vie alors même que l’on s’isole chez soi, coincé derrière l’écran et le clavier de son ordinateur tandis que dehors le soleil brille et vous fait de l’œil tant qu’il peut. Sans doute est-ce pour cela que je n’écris pas autant que je le devrais, le soleil est si doux…

Y a-t-il encore des pistes inexplorées ?

Bien sûr, autant qu’il me reste de livres à écrire !

On écrit mieux, heureux ou malheureux ?

Plus jeune, pareil en cela à de nombreux poètes et romanciers, je me figurais que pour mieux écrire il me fallait plonger corps et âme dans des mondes artificiels. Mais après avoir bu plusieurs fois la tasse, au risque de me noyer, avoir éclusé mes fantasmes jusqu’à la lie, je me suis rendu compte que pour moi, en tous cas, rien ne valait la franche lucidité.
Et je crois bien qu’il en va de même pour le malheur, avec cette nuance qu’il faut sans doute l’avoir expérimenté au moins une fois pour espérer parler véritablement au cœur des Hommes.
Aujourd’hui le bonheur me va bien, je ne lui ferme pas la porte. Je l’accueille les bras ouverts.

Si l’écriture n’arrangeait pas tout…

Non, l’écriture n’arrange pas tout. Est-ce d’ailleurs son rôle ?
J’aime à « penser » qu’il faut d’abord commencer par « panser » sa vie avant que d’écrire. Mais il n’y a pas de règle générale, chacun trouve son chemin. Mais pour donner un exemple concret, mon premier roman « Amère » est très autobiographique, il parle de la mort de ma mère et du renoncement en quelque sorte de mon père, l’enfant que j’étais, perdu et ballotté au milieu du désastre.
Eh bien, sans rentrer dans les détails de peu d’intérêt, j’ai fait tout un travail personnel de vie avant que de me lancer dans l’aventure de l’écriture. Afin de pouvoir me dégager de moi-même alors que j’allais pourtant être mon propre personnage… Il faut de la distance à soi pour espérer toucher à l’universel.
Sinon il y a le risque que l’écriture ne soit qu’un pansement sur une plaie toujours vive, un cautère sur une jambe de bois. Ce qui n’empêche pas de magnifiques livres, souvent âpres, d’exister, mais réparent-ils pour autant leurs auteurs ? Pas sûr…
Pire encore, à vouloir se réparer par l’écriture, on risque de basculer dans le mièvre, ces livres qui vous font du bien à la mode, et qui pour ma part me désolent profondément…
La littérature doit racler l’os de l’humain, creuser le beau comme le laid, être chair palpitante sur la page. Dans « émotion », il y a « mot » et je ne crois pas que ce soit un hasard.

Comment Bertrand l’homme discret cohabite-t-il avec Bertrand l’artiste ?

Les deux vont de pair, j’aime à croire qu’il faut avant tout être l’artiste de sa propre vie. Nous la façonnons autant qu’elle nous façonne… Et l’œuvre, s’il doit y avoir œuvre, sera peut-être le souvenir que nous laisserons derrière nous autant que les preuves tangibles que sont les livres, les photographies, les sculptures…
J’essaye d’être à la hauteur de ce que je prétends être. J’essaye…
Car bien sûr, du moins dans mes écrits, j’ai la faiblesse coupable de me présenter sous mon meilleur jour…

Quels seraient les cinq mots pouvant vous décrire le mieux ?

1.     Optimiste
2.     Pessimiste
3.     Lucide (afin de toujours essayer de trouver la voie la plus juste et équilibrée entre les deux premiers cités)
4.     Nostalgique (afin de nourrir l’avenir avec le meilleur du passé et non afin de m’enfermer et me recroqueviller dans le passé…)
5.     Amoureux (définitivement)

D’autres projets ?

Trop pour une seule vie, d’autant plus que celle-ci est déjà bien entamée... Mais cela n’est pas grave, j’espère bien mourir en laissant une foule de projets inachevés !
Ces derniers temps, entre autres, aller au bout d’un recueil de poème dédié à la muse qui est entrée dans ma vie lorsque je m’y attendais le moins. Heureusement, même désespéré, j’avais les bras ouverts…

*

L’or des étoiles
                      

Tu es le chemin et le but,
La soif et l’eau de la source,
La poussière de l’attente et l’or des étoiles

Je suis en route, ne l’oublie pas.

© Bertrand Runtz - Poème pour Melle C.


© Entretien, Denis Morin et Bertrand Runtz, 2019
    Photo de tête, Bertrand Runtz
    Photos des livres-sculptures, Bertrand Runtz

Entretien avec Cédric Pignat





J'ai eu la joie de croiser ce brillant écrivain suisse via le réseau social Twitter. Il se spécialise surtout dans la nouvelle. Je vous laisse faire sa rencontre. Bonne découverte.

A quel âge avez-vous commencé l’écriture ?
Vers 10 ou 12 ans, sous la forte influence des westerns de Sergio Leone. Ma maman a eu la gentillesse de dactylographier ce premier roman, intitulé Le col et le carabine, que je relis avec beaucoup de tendresse. Ensuite et pour quelques années, l’envie est restée larvée, corsetée par les études, limitée à des esquisses et à des fragments ; c’est surtout à l’approche du diplôme que j’ai pu donner forme à mes premières nouvelles et prendre part aux premiers concours. 

Avec-vous l’impression que c’est la vie littéraire qui est venue vers vous ?
Il y a certainement une bonne part d’inné, un intérêt, une sensibilité que mes parents, beaucoup de livres et quelques maîtres ont su nourrir ; en tout cas, une curiosité, un goût de toujours pour la langue et pour les histoires, donc pour la littérature.

Est-ce que la lecture nourrit l’écriture ?
Cent fois oui, mais encore faut-il digérer les livres lus. Je crois beaucoup à l’empreinte que laissent les livres, peut-être surtout les lectures de jeunesse. Beaucoup d’auteurs ne lisent à l’évidence pas assez, ou alors uniquement dans leur genre de prédilection, dans une zone de confort qui les flétrit. En résultent des livres qui, d’un an à l’autre, se ressemblent tristement. Or il faut lire, lire de tout et lire intelligemment, lire les maîtres, lire et relire, lire lentement pour mieux comprendre, pour reproduire et créer ; et bien sûr il faut écrire et jeter.

Ecrivez-vous inspiré ou discipliné ?
Dans le meilleur des cas, c’est une transe, une frénésie. Mais, la vie étant ce qu’elle est, il n’est pas inutile de s’astreindre à un certain horaire. Et puis, lorsque l’échéance approche, le travail devient discipliné à l’extrême.

Quels sont vos auteurs préférés ?
Je reste un amoureux désespéré du XIXe français et russe : Flaubert, Balzac, Gautier, Baudelaire, Mérimée, Maupassant, Husymans, Zola, Tourgueniev, Tolstoï, Dostoïevski… En vrac et plus largement, je dois mentionner Racine, Beaumarchais, Anouilh, Ionesco, Simon, Mishima, Tanizaki, Simenon, Steinbeck, Brautigan et Larry Brown. Et puis les génies qu’on oublie trop mais qui, par leur aisance, par leur humilité, sont de remarquables maîtres qui placent la barre très haut : Allais, Dac, Desproges et Dard, pour ne citer qu’eux. Pour notre époque, je citerais surtout Pierre Jourde et Richard Millet.

Ecrire un roman vous demande-t-il le même souffle qu’écrire un recueil de nouvelles ?
J’ai consacré quatre ans, soir après soir, à mon premier roman (D’Écosse, Éd. de l’Aire) et, pour des raisons familiales, je ne me relancerai pas dans un tel chantier avant dix ou douze ans. Pour l’heure, les nouvelles sont pour moi bien plus qu’un passe-temps : un art à part entière, bien qu’il n’intéresse pas grand-monde en francophonie. C’est pour moi l’occasion de jouer avec les règles et les usages, d’explorer sur le moyen terme des genres et des formes variées. Reste que je caresse quelques projets de courts romans ; l’un ou l’autre devrait prendre forme dans les prochains mois.

Vous arrive-t-il de vivre des instants de grâce en écrivant ?
Chaque jour, pour ainsi dire. Le mot, la virgule, la rocade qui achève la phrase ou le paragraphe. C’est parfois une coupure, souvent une suppression. D’un coup, il n’y a plus rien à changer, et c’est un petit feu d’artifice.

Comment conciliez-vous vie familiale, boulot d’enseignant, d’écrivain, de responsable d’une revue littéraire romande ?
Le même exemple revient souvent : comme Carver, on compose. On vole de petits moments, on gratte sur le sommeil et on renonce à publier beaucoup. Je n’aimerais pas vivre de ma plume, sans doute parce que je vis d’une activité (l’enseignement) extrêmement vivifiante, stimulante, où chaque jour diffère du précédent. Seul chez moi, je deviendrais fou, ou pire : suffisant. La rareté du temps m’oblige à aller à l’essentiel et m’interdit la paresse. Dans quelques semaines, je renoncerai à la direction de la revue, ce qui me permettra d’écrire davantage.

Ecrivez-vous avec un horaire bien établi ?
J’écris quand tout le monde dort, avec un pic d’activité, hélas, entre minuit et deux ou trois heures ; et puis beaucoup de mots, de phrases et d’images qui surgissent au gré des lectures et des distractions, qui atterrissent sur des feuilles volantes et des marque-page et qui souvent se perdent.

La littérature suisse romande se positionne-t-elle de la même façon que les autres littératures de la francophonie ?
On a beaucoup écrit sur l’existence et les caractéristiques de la littérature romande, et je serais bien incapable de livrer une conclusion pertinente. Qu’il suffise ici de rappeler qu’on aurait tort d’ignorer des auteurs tels que Charles Ferdinand Ramuz, Charles-Albert Cingria, Corinna Bille, Blaise Cendrars, Gaston Cherpillod, Raymond Farquet ou Jacques Chessex.


© Entretien, Denis Morin et Cédric Pignat, 2019
    Photo de tête, Cédric Pignat
    Photo du roman D’Écosse, Éditions de l’Aire

mardi 16 avril 2019

Elle de Martine Roffinella





Un corpus littéraire, ça se débute habituellement par des poèmes écrits à l’adolescence, puis par un roman publié ou non. En 1988, Martine Roffinella publia son roman Elle aux Éditions Phébus. Lors d’une émission de la mythique émission Apostrophes de Bernard Pivot, ce dernier l’encensa, soufflé par la force du livre.

Comme vous pouvez le constater, je découvre des livres en différé, ce qui ne me dérange pas le moins du monde.

Ce roman fut si apprécié qu’il fut réédité en 1999 par la même maison. La photo du haut vous montre l’édition originale et celle du bas la réédition.

Une étudiante adolescente voit entrer une enseignante pour un cours de français vêtue d’un élégant tailleur rose.  C’est la culture, la lumière, la grâce qui apparaissent à ses yeux. Pendant trois ans, l'étudiante retiendra ses gestes, contiendra ses regards. Mais elle surveillera l'enseignante en bordure du préau, tout près de l’entrée de l’école. L'étudiante voudra des leçons particulières pour mieux comprendre, mieux rédiger. Toutefois, l’enseignante ne sera pas dupe du jeu au bout d'un certain temps.

Ensuite, l’étudiante devenue femme se manifestera, exprimera son désir à l’enseignante menant une vie rangée auprès d’un homme et de leur enfant. L’enseignante tentera de résister…

Peut-on parler d’amour et de désir au même niveau entre deux individus ?  Qui aime le plus ? Qui souffre le plus ? Aimera-t-on sans (se) détruire ? L’une vouvoie pour prendre du recul, alors que l’autre plonge dans cet amour-là tête première.

Martine Roffinella savait déjà avec ce premier roman comment décrire avec brio les tourments du cœur et du corps.  Hugo, Duras, Yourcenar savaient parler de l’amour, mais elle aussi. Roffinella, un must !

Extrait :
« Non, je t’aime, encore plus qu’avant. Un vrai amour qui dure. Comme dans les romans. Avec des pleurs, des rendez-vous manqués, des âmes qui se consument, et toujours un qui aime moins fort que l’autre, qui finit par se lasser de l’amour de l’autre. Elle réplique, je ne me lasse pas de vous. Mais vous m’effrayez avec votre grande passion… »

© Texte du billet,
    sauf extrait de l’écrivaine,
    Denis Morin, 2019

vendredi 12 avril 2019

Elles m'attendaient... de Tom Noti




En lisant le titre Elles m’attendaient…, roman de Tom Noti, publié en 2019 aux Éditions La Trace, je me suis dit qu’il s’agissait de l’histoire d’un marin ayant une femme dans chaque port. Je songeais à la chanson Amsterdam de Jacques Brel.  J’avais tout faux. Le romancier m’a bien eu.

Ce roman s’ouvre sur le bonheur de Max, ouvrier, et d’Halley qui se marient surtout pour le meilleur, puis survient la naissance de Rosie, cette enfant lumineuse prénommée d’après la chanson préférée de la maman. Tout semble bien parti pour cette famille en apparence sans histoires. Mais il en sera tout autrement, puisque le passé revient hanter Max. Doit-on rester ou partir, quand la vie nous pèse trop ?  Peut-on être tourmenté sans faire souffrir les êtres aimés ? À quoi correspond l’image d’un père convenable ?

Le personnage de Max nous laisse un indice. Écoutons-le : « Rosie, ta maman, c’est elle, l’être à part. Elle vient des étoiles et moi, j’ai poussé dans un caniveau. J’ai tenté d’être à la hauteur, à la hauteur de cet amour… »

Tom Noti décrit avec grâce et sensibilité aussi bien le bonheur qui donne des ailes que le malheur qui pèse comme une chape de plomb. Il glisse toujours le mot juste pour décrire les états d’âme. Il porte la délicatesse au point de permettre à Max, à Halley, à Rosie de nous livrer leur point de vue, ce qui étoffe ce très beau roman.

Bref, un romancier sympathique, talentueux de Grenoble, en France, qui sait raconter des histoires.  Puissiez-vous ajouter Elles m’attendaient… à votre liste des prochains bouquins à vous procurer.

© Photo, texte, sauf l’extrait,
    Denis Morin, 2019

mardi 9 avril 2019

Félix Leclerc : l'alouette en liberté de Christian Quesnel


L’illustrateur Christian Quesnel vient de faire paraître en mars 2019 aux Éditions de l’homme Félix Leclerc : l’alouette en liberté. Il s’agit d’un livre hybride qui emprunte à la fois à la bande dessinée pour la forme et à la biographie pour son contenu. L’illustrateur et auteur fait maintes références aux œuvres de Félix. On sent la pertinence du propos et le travail soigné dans la recherche. Beaucoup des illustrations sont des aquarelles créées d’après des photos d’archives.

Martin Leclerc, le fils aîné de Félix, signe une brève préface au tout début de l’album.

Ce livre sera le cadeau idéal tant pour des gens au soir de leur vie qu’à leurs petits-enfants qui découvriront les temps d’avant et la culture québécoise.

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

dimanche 7 avril 2019

Blaise ou la Symphonie inachevée de Josette Hersent


La littérature est une rose des vents qui nous pousse, nous dirige dans toutes les directions si on reste ouvert aux voyages de l’imaginaire. Ainsi, une de mes abonnés sur Twitter que je suis également, Josette Hersent, une poète normande enclenche un jour une conversation.

Nous nous sommes demandés si nous avions des points en commun, à part une certaine réserve sur les réseaux sociaux. Bref, nous n’étalons pas nos vies respectives du matin au soir. Elle s’intéresse à la question du deuil, moi aussi. Lors d’une brève recherche, je vois poindre le prénom Blaise. Je lui confie que je suis né en la fête de Saint Blaise de Césarée. Nous avons donc en commun : Blaise, elle le sien, moi le saint.

Puis j’ai plongé dans ce recueil Blaise ou la Symphonie inachevée paru en 2009 aux Éditions du Chameau, à Dozulé, en France.  Elle nous décrit son Blaise, fils sympathique et cordial avec tous et chacun, musicien talentueux, citoyen impliqué en politique, cet homme élégant, doux, beau. Blaise, ce garçon altruiste se préoccupait de la cérémonie des adieux, du moment où on laisse sa mère, sa sœur si complice, sa nièce avec qui il ne jouerait plus au piano à quatre mains.

Sa mère, ayant porté ce fils si aimable, nous le rend en partageant par touches délicates des moments de vie. Par sa plume, Blaise, du moins, son souvenir, respire, évolue, de l’autre côté du miroir, comme le chantait Barbara.

Si ce recueil est un cri de douleur après la perte du fils chéri, il est surtout un très lumineux hommage à un être superbe, trop tôt disparu.

Extraits :

« Je voudrais t’offrir ma place de cinéma
Dur de faire sans toi des choses aussi banales
Ce sont ces instants de vie qui font le plus mal
Je regardais ce siège… tu n’y étais pas. »

« C’est une photo que ma main, dans un geste…
Spontané, s’est trouvée attirer à frôler
Et du reflet de ton image qui me reste
Mes doigts ne peuvent aisément se détacher. »

« Ce garçon, ce bébé, tu ne l’as pas pleuré
Chaque étape de vie le faisait évoluer
Quand tu ne le « voyais » plus, pourtant il était…
Et mon âme, aujourd’hui, elle, ne t’a pas quitté. »


© Photo, texte, sauf les extraits de la poète,
    Denis Morin, 2019