samedi 26 mai 2018

Peu pour tout dire de Denise Girard



Peu pour tout dire étonne par sa douceur et son ton direct.  Denise Girard s’adresse à nous en toute simplicité dans son recueil de poésie philosophique.  Chaque segment peut se lire d’une traite comme un seul poème ou peut se fragmenter en pensées à méditer à la manière d’un vin que l’on déguste.

Par le ton enveloppant et rassurant des textes, on se sent étreint par des matriochkas, ces grands-mères et ces mères russes transposées en poupées gigognes aux robes fleuries, aux tabliers couverts de taches de confiture. 

L’auteure Denise Girard transforme les mots en poésie, en chansons et en numéros d’humour.  La vie a montré à cette mère d’une enfant autiste que l’on pouvait passer sans retenue du rire aux larmes et vice-versa.

J’ai connu cette artiste par le réseau social Twitter.  Il s’avère que les enchevêtrements d’algorithmes tels Twitter, Facebook et autres sont plus que des photos de chats et la diffusion des dernières bêtises commises, puis diffusées à grande échelle. De vrais écrivains en herbe arpentent les coulisses de ce vaste théâtre virtuel.

Son écriture limpide comme une eau de source contient les soupirs d’une amoureuse de la vie qui jette l’encre (sic) sur le papier.  Puisse-t-elle recommencer bientôt l’écriture d’un second livre !

On peut retrouver ce très beau recueil de pensées à la boutique en ligne de chez Bouquinbec.

Permettez-moi de vous laisser jusqu’au prochain billet de blogue sur ces extraits qui vous donneront la teneur de son talent.  Voici :

« Si mon regard se pose, est-ce en silence qu’il se repose ? »

« Il y a des gens qui parlent tellement d’eux, que l’on finit par s’oublier. »

« Regarder au loin.  Recueillir ce besoin de se soustraire. »

« Laisser tomber la poussière pour ensuite dessiner des cœurs sur les meubles. »

« La nuit, rêver à lui jusqu’à son matin. »

© texte et photo, Denis Morin, 2018

samedi 19 mai 2018

Autre naissance de Forough Farrokhzad



Forough Farrokhzad (1935-1967) était à la fois poétesse, actrice et cinéaste.  Cette artiste secoua la poussière en Iran où on la percevait comme une femme excentrique dont il fallait taire le nom et qu’il fallait avoir à l’œil.  Elle vivait pour la poésie et l’ordinaire de la vie eut raison d’elle, puisqu’elle mourut dans un banal accident de voiture.

La notoriété lui vient (mal)heureusement surtout à titre posthume.

Les Éditions du Noroît, à Montréal, ont eu la brillante idée en 2017 de nous la faire découvrir en français, grâce aux bons de Bahman Sadighi poète, peintre et traducteur vivant maintenant à Montréal.

À travers les mots de Forough Farrokhzad, j’ai revu les destins singuliers tels que Camille Claudel et Virginia Woolf.

Dans ce recueil Autre naissance, Forough s'ennuie vraiment dans la banalité des choses et du quotidien. Par son imaginaire, elle emprunte des chemins de traverse.  Sa poésie contient tendresse, amour, désir, refus du conformisme et féminisme. 

Je vous livre un instant de contemplation sur le bord d’une fenêtre :
« Dans l’attente de la pluie d’un nuage inconnu
Le bassin de notre maison est vide
Les petites étoiles inexpérimentées
Tombent par terre de la hauteur des arbres
Et dans la nuit. »

Voici un soupçon de féminisme :
« J’ai balayé les marches du toit
Et j’ai lavé les vitres des fenêtres
Pourquoi seul le père a-t-il le droit
De rêver pendant le sommeil ? »

Et là, une sensualité qui lui serait reprochée :
« Mon amant
Est un homme simple
Un homme simple que j’ai
Enfoui
Dans le pays néfaste des merveilles
Tel le dernier signe d’une religion étrange
Dans les replis du creuset de mes seins. »

Ou bien encore une touche de mélancolie :
 « Dans une chambre à la grandeur de la solitude
Mon cœur
À la mesure d’un amour
Regarde les prétextes simples de son bonheur
Le beau déclin des fleurs dans le vase. »

Je vous recommande cette lecture pour un point de vue féminin sur le monde.  Ses poèmes écrits sont écrits en toute franchise, sans aucune censure.  Le traducteur a cru bon d’écrire quelques pages en fin de recueil pour nous la présenter et la situer dans le contexte culturel de son époque.  À découvrir.


© texte et photo, Denis Morin, 2018

mardi 8 mai 2018

Les adieux de René Lapierre




Réné Lapierre est poète, romancier et essayiste. Avec ce recueil de poésie Les adieux, publié en 2017 chez Les herbes rouges, il s’est mérité le Grand Prix du Livre de Montréal 2017.  En 2018, il était finaliste pour le Prix des libraires du Québec.

Changement de registre, je ne vous apprendrai rien en vous disant que la vie nous fait vivre des boucles, dessiner des ronds dans l’eau.  Nous sommes liés les uns aux autres que nous en soyons conscients ou non.  Aujourd’hui, je m’amuse à écrire un billet de lecture sur l’œuvre d’un homme qui fut un jour mon professeur de lettres…

En 1982-1983, je suivais un cours de littérature québécoise donné par un certain René Lapierre à l’Université du Québec à Montréal.   Nous eûmes à rédiger un commentaire sur le roman Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais, œuvre moderne mais qui m’avait tellement ennuyé vu mon jeune âge.  J’avais écrit à propos d’un personnage féminin qui avait eu plus d’une douzaine d’enfants, « elle et son troupeau d’enfants ».  J’étais dépassé du fait que des femmes du début du XXe purent accoucher en des conditions si misérables.  À son tour, il fut agacé et avec raison par mon apparente arrogance, même si je ne voulus pas jouer la provocation.

Voilà maintenant que je suis profondément troublé, choqué, secoué, ému par ce recueil.  Je connaissais l’enseignant érudit, calme, patient, mais je découvre ici un poète tourmenté qui dénonce sans aucune censure les injustices et les abus survenus ici et là, au Moyen-Âge, lors de la colonisation en Nouvelle-France, et à des époques plus récentes.  Des extraits d’archives appuient et illustrent encore davantage son propos.  Il entrecoupe le tout de réflexions sur lui-même, sa famille.

Voici quelques passages vous donnant le ton éclaté et percutant…

Un exemple de dénonciation :

« Couchés sur les petits en travers des décombres
couchés avec les morts, les soumis, les affamés.
Avec les fous que nous affolons
avec les durs, les macabres
nous brûlons. »


Un moment de spleen :

« Le malheur me pesait, mais les fleurs
sentaient bon.  Je me trouvais inhumain
de les aimer, d’aimer –
                   leur douceur, et avec elle le tourment qui me consumait. »


                Un rare moment d’accalmie :

« J’ai aussi pensé à la paix
d’une petite chapelle du XVIIIe siècle
                  dont le nom signifiait joie, ou bienfait. »


                  Un instant exaltant et créatif :

 « Alpha du Centaure A, une naine jaune
semblable au Soleil
approchait la note mi ;  la fréquence pure (632 Hz)
de l’étoile montre aujourd’hui
un spectre jonquille avec un centre blanc. »

À lire absolument, si les injustices de ce monde vous horripilent, vous donnent de l’urticaire.
À ne pas lire, si vous souffrez de dépression.

Happy end pour clore ce magnifique recueil :
« Un jour le temps
se fondit
dans le temps.
Le vide
s’illumina.  Toute matière
devint amour. »

© texte et photo, Denis Morin, 2018

dimanche 6 mai 2018

Pavane de Guylaine Massoutre



L’auteure Guylaine Massoutre collabore depuis au journal Le Devoir, déteint un doctorat en littérature québécoise de la Sorbonne et enseigne la littérature et le journalisme au Cégep du Vieux-Montréal.

Dans Pavane, recueil d’articles sur la danse, paru en 2017, aux Éditions du Noroît, la critique se fait observatrice, témoin du monde de la danse au Québec.  Son œil capture les mouvements, décode les chorégraphies, réfléchit sur les thèmes proposés par les danseurs évoluant sous les projecteurs.  Nous n'en sommes plus à la pavane, cette danse de cour du 16siècle. Des photos impressionnistes de Ginelle Chagnon appuient le propos de l’auteure.  

Elle définit ainsi son apport journalistique et poétique :  « L’observateur arpente un musée, s’arrête face au tableau du monde, la conscience éveillée par les symboles disposés, colorés, insolites, contradictoires. C’est alors que viennent les mots, signes de survie, forcés par le décor et bientôt envahis par l’association obsédante d’une culture littéraire qui lui prête son langage et l’étreint, au fur et à mesure de sa contemplation. Très active, la main transforme alors la description, la perception et le repérage en un texte en expansion. »

Elle s’interroge en fait sur le processus créatif de la danse.  Ce livre est fragmenté en chapitres : Corps, simulacres et turbulences ; Duo Danse-Désir ; Ratures et tracés ; Carnet. Énergies fossiles.  Elle arpente elle aussi à sa manière les planches des scènes.  Les mots se posent  avant de virevolter dans l’espace.  Les images se déploient à notre iris de lecteur. 

Ce recueil fut une lecture fort agréable ponctuée d’envolées et de moments de contemplation.  Je risque même d’y replonger de temps à autre.

© texte et photo, Denis Morin, 2018

samedi 5 mai 2018

L'effroyable beauté de vivre de Bertrand Runtz




Bertrand Runtz est un magicien.  Il transforme tout sur son passage.  Il saisit l’instant en photos.  Il métamorphose des livres-papier en sculptures.  Il excelle tout aussi bien à l’écrit, dans le roman et les nouvelles.

J’avais beaucoup aimé N’oublie pas de mourir, roman paru en 2014 aux Éditions du Jasmin où le personnage principal, un homme seul se voit coincé entre son père atteint d’Alzheimer et ses enfants qui cherchent à comprendre la dérive du grand-père.

Cette fois-ci, je vous entretiens du recueil de nouvelles L’effroyable beauté de vivre, paru en 2016 chez la même maison.  C’est écrit avec délicatesse et tendresse.  Dans la nouvelle, La GS bleue, une veuve contemple la voiture, objet transitionnel (à la manière de la madeleine de Proust), que son mari aimait tant conduire.  Là, dans la nouvelle Les sucres, une femme répète presque par mimétisme un geste posé par sa grand-mère, soit de subtiliser des sachets de sucre blanc au restaurant pour les glisser dans son sac à main.  Comme dans un tableau de Marcel, un peintre, presque un clochard, accueille les chats errants et se lie d’amitié avec une jeune femme sur le point de devenir sa muse.

Somme toute, courez chez votre libraire pour commander ce recueil composé de nouvelles qui sont autant de mini-films attendrissants, sans verser dans la mièvrerie.  J’adore.


© texte et photo, Denis Morin, 2018