vendredi 31 mars 2023

Ce que je sais de toi d'Éric Chacour

 

Ce que je sais de toi est le premier roman écrit par Éric Chacour et publié en 2023 chez Alto à Québec.

Au Caire, Tarek suit les traces de son père. Il sera médecin. Il soigne autant les citoyens à l’aise que les pauvres. Son empathie l’y pousse. Il se mariera comme bien d’autres le font par tradition et amour.

Mais qu’en est-il lorsqu’un être nous trouble, nous séduit, provoque des rumeurs à notre endroit au point de fuir vers Montréal ? Et même en exil, reste-t-on au fond toujours le fils, le frère, l’amoureux, le toubib de quelqu’un, celui dont on tait le nom lors d'un repas ?

Durant une bonne partie de la lecture, j’ai voulu deviner l’identité de la voix narratrice qui explique les tourments de Tarek le proche intime égaré dans quelques arpents de neige, sans toutefois y parvenir. Cela fait partie du charme de ce livre.

Et j’ose humblement vous dire que quand un bouquin déclenche mon envie d’écrire et m’embue le regard, c’est vraiment un excellent signe. Ce fut le cas.

Un écrivain est né. Mektoub.

Extrait :

« Je te vis dans l’embrasure de la porte. Tu sortis. Je m’approchai de toi pour te demander mon chemin. Les mots se bousculèrent dans mon esprit. Tous voulaient t’atteindre mais aucun ne sortit. Tu me repoussas violemment. Tu courais presque. Tu ne te retournas pas. Tu disparus. »

 

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait d’Éric Chacour, Denis Morin, 2023


dimanche 19 mars 2023

M., de Alain Cadéo

 

Quand les étoiles sont bien alignées, ça donne des histoires dignes d’un roman ou d’un film. Pensons à un écrivain né en la Saint-Sylvestre qui va à la rencontre d’une médiatrice culturelle ayant vu elle aussi le jour la même année et le même jour.

Puis, plus tard, l’amour ayant fait son nid et les petits ayant grandi, l’écrivain Alain Cadéo a voulu nous partager son admiration de Martine, la compagne, l’amante, la mère, l’ange gardien. Cela donne le livre M. publié en 2023 chez Les Cahiers de l’Égaré avec en couverture ce mystérieux portrait de Martine peint par Michel Cadéo, le frangin jamais trop loin.

Étant un admirateur de ce Jean-Louis Trintignant des lettres habitant dans le Var, je reconnais en ce livre son plus bel écrit. C’est émouvant à souhait et Martine le mérite si bien. L’écriture est tellement sensible que j’ai eu l’impression de lire un texte écrit par une femme. Sublime, vous dis-je !

Maintenant, passons à un double défi que je lance à l’écrivain, A) un livre de fiction à quatre mains avec son frère Michel; B) un conte inspiré de ses enfants. Je me croise les doigts à présent.

Pour M., c’est à lire absolument !

Extraits :

« Tu as me semble-t-il la texture et l’envol des grands oiseaux de mer. Tous les courants ascendants te sont favorables et mort à ceux qui ont voulu, qui veulent ou voudraient t’alourdir. »

« Et un jour j’étais là, dans le faisceau de tes phares, contre un platane bleu-vert, au cœur d’une ville. Et tu m’as vu, mais vraiment vu, au gramme près et moi je te vois toujours, vingt ans plus tard, au millimètre près, telle que tu as sans doute toujours été, telle que tu seras, telle que tu es. Et je me dis que c’est un sacré rendez-vous celui qui abolit le Temps. »

 

© Photo, billet, sauf les extraits d’Alain Cadéo, Denis Morin, 2023


dimanche 12 mars 2023

Le poids des choses ordinaires de Lise Demers

 


Lise Demers avait au préalable écrit trois romans publiés chez Lanctôt éditeur avant de se lancer dans Le poids des choses ordinaires, roman qui donnera le ton aux Éditions Sémaphore qui célèbrent justement en 2023 le 20e anniversaire d’existence.

Quatre comparses voudront cacher un événement peu glorieux de leur passé. Des décennies plus tard, la notoriété leur tombera en quelque sorte dessus. Catherine sera comédienne, Édouard son cousin sera militant, Vincent jouera le ministre et Marceau dirigera une chaire d’études sur le patrimoine. En fait, ce roman à la prose efficace et mordante dénonce les manipulateurs et les exploiteurs de notre société.

Une conférence de presse ébranlera-t-elle les certitudes et fera-t-elle tomber les masques, à l’heure où l’éminent universitaire devait être honoré pour sa longue carrière ?

Qui savait quoi ? Jusqu’où un tel tirait les ficelles ? C’est d’un machiavélisme dramatique et tordu. Je suis étonné par l’actualité de ce livre qui n’a pas pris une ride vraisemblablement.

Je soupçonne Lise Demers, autrice et éditrice, d’être très lucide. Et ça lui sied si bien.

À lire pour Lise Demers. À découvrir aussi la poésie de Gilles Hénault, tout comme le catalogue de cette maison qui favorise la littérature à caractère social.

Extrait :

« Les mollusques n’en veulent pas de ta vérité. Ils désirent la tranquillité, la paix des loisirs et des voyages organisés, la tendreté des steaks sur BBQ, une automobile d’entretien facile et de bonnes émissions de télévision l’automne et l’hiver. Ils ne tiennent surtout pas à entendre parler de problèmes. Ils élisent le gouvernement pour qu’il les règle et ils me donnent carte blanche pour que je les camoufle par des amusements. »

 

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de Lise Demers, Denis Morin, 2023

 

 

 


dimanche 5 mars 2023

Femme fleuve de Anaïs Barbeau-Lavalette

 

Lire du Anaïs Barbeau-Lavalette relève de la surprise et de l’étonnement. On est sous l’emprise d’une écriture épurée et envoûtante. J’avais beaucoup aimé La femme qui fuit (sur sa grand-mère maternelle, Suzanne Meloche, poète et peintre) et Femme forêt. Voici qu’elle récidive toujours chez Marchand de feuilles avec Femme forêt.

Ce roman oscille la fiction et la biographie. Donc, nous nageons pour la troisième fois dans la bio-fiction. Le fleuve, c’est bel et bien le fleuve Saint-Laurent où la narratrice se choisit et vit des parenthèses sentimentales et sensuelles avec un peintre installé sur une île obsédé par le bleu, celui des eaux, celui du ciel. La narratrice revient tôt ou tard vers son homme et leur fille.

Ce livre traite du désir assumé au féminin, des êtres aimés comme autant de conquêtes et de paysages qui s’ouvrent à notre iris, des liens qui se nouent et se dénouent, de la vie qui s’écoule en eaux des rivières qui filent vers des envies d’estuaire.

L’horizon, c’est l’homme derrière soi. L’horizon, c’est aussi l’homme vers qui on va. Les amours sont plurielles et intenses. Aucun temps pour le regret. Tout est assumé.

À lire évidemment.

Extraits : 

« Tu m’as déjà dit que, pour peindre une vague, tu devais la voir comme une apparition. Épouse le regard de l’enfant sur le monde pour bien l’écrire, pour bien le peindre. Pour le vivre neuf. » 

« Il ne s’agit pas d’un coup de foudre. Il s’agit d’une rencontre. Elle ne s’explique pas; elle est une texture poétique qui s’empare de nos corps. »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits d’Anaïs Barbeau-Lavalette, Denis Morin, 2023


Les larmes du désert de Alain Maufinet

 

Alain Maufinet possède un style qui séduit le gamin et l’adulte en moi. Dans ce nouvel opus Les larmes du désert paru en 2023 dans la collection Magnitudes chez JDH, l’auteur nous sert une autre ambiance comme dans Le chant des brisants sorti antérieurement dans la même collection. D’ailleurs, j’ai déjà écrit un billet sur ce roman qui m’avait beaucoup plu.

Voici que Ronan, un Français de condition moyenne rêveur et nomade dans sa tête, décide qu’il est temps pour lui de visiter les confins sud du Sahara. Sahel, il arrive. Il débarque au Mali en bon touriste naïf qui se voit kidnapper par un groupe. S’agit-il de militaires corrompus ou des trafiquants prenant leur revanche par la cocaïne sur les pays impérialistes ? Sera-t-il exécuté faute de paiement d’une rançon ? Et si cet homme devait être sauvé par Yasmine, une femme mystérieuse, cette amazone qui gère sa vie ?

L’intérêt de ce roman réside en ces deux niveaux de lecture. Vous avez une histoire d’aventure à la Bob Morane. Ça bouge et ça décoiffe, puis finement notre auteur nous susurre des réminiscences. Voilà que Ronan repense aux femmes de sa vie. Ces femmes le hantent et il accepte cette mélancolie. Les images et les ambiances collent à son esprit comme autant de cartes postales de villages d’antan visités et de lieux abandonnés. Et si on était sauvé par l’amour ?

Un roman à lire absolument. Le roman d’action avec un filigrane le roman d’amour. Bravo, on adore !

Extrait : 

« Ronan attend un développement qui ne vient pas. Il doit se contenter de légendes anciennes qui épousent des histoires modernes. Elles ressemblent à celles d’autres peuples sous d’autres cieux. Yasmine s’immobilise pour le fixer. Elle s’approche à le toucher. La flamme mauve de son regard l’enveloppe. »

 

© Couverture du livre de Yoann Laurent-Rouault, texte du billet, sauf l’extrait de Alain Maufinet, Denis Morin, 2023