dimanche 30 septembre 2018

Tu es Julie de François-Xavier Liagre


Je suis lent parfois dans mes choix de lecture.  Il m'arrive de voir un titre passer, puis quelques mois, voire des années plus tard, ressentir un empressement à me procurer le livre en question.

L'auteur François-Xavier Liagre, informaticien et adepte des arts martiaux, a publié en 2008 aux Éditions Marchand de feuilles le recueil de nouvelles intitulé Je suis Julie.

Ce prénom se décline à toutes les sauces, surtout douces-amères et sanguinolentes.  Parmi les variations, il y a Julie que l'on aime, celle que l'on déteste, que l'on envie, à qui l'on en veut, à qui on écrit, que l'on assassine par préméditation, que l'on tue par accident.  

Dans ce recueil, mes nouvelles préférées sont Prière de faire suivre écrite par un enfant qui se confie et Correspondance. Pour cette dernière nouvelle, un comité de lecture voit ses membres fondre comme neige au soleil,  à la suite des nombreux refus essuyés par un écrivain en herbe.

Excellent recueil pour les lecteurs de polar et de suspense. Cœurs sensibles s'abstenir.

Voici trois extraits qui vous donneront le ton de son écriture :

« Une des choses les plus pénibles avec Julie, c'est son talent pour faire sortir de leurs gonds les gens de son entourage.  Pour leur faire oublier la retenue, l'empathie, la bonne éducation.  Et délivrer la bête. »

« Jamais je ne pourrai me libérer de son emprise si je ne parviens pas à me débarrasser d'abord et avant tout de ces yeux qui me surveillent et me jugent. »

« Je vais à nouveau vivre sous ton regard, pouvoir me noyer dans le ciel de tes yeux.  Tes beaux yeux bleus, que j'ai essuyés quand tu me les as rendus.  Que j'ai lavés de leurs larmes de sang.  Et que je tiens dans le creux de ma main, pour toujours. »


© texte du billet, photo, Denis Morin, 2018


samedi 29 septembre 2018

Puzzle de Jocelyne Langlois




Vraiment, Jocelyne Langlois est une écrivaine prolifique.  Elle vient de faire paraître en septembre 2018 toujours aux Éditions de l'Apothéose un polar intitulé Puzzle

Une prostituée meurt et plus tard, Jacinthe, une jeune femme amoureuse, meurt aussi.  Y a-t-il un lien entre ces deux morts en apparence suspecte ?  Le mari et le frère de Jacinthe investigueront et apporteront les clefs de l'énigme à l'enquêteur Thériault.  Dans cette quête, ils seront aidés par Ginette Lesage, une femme très intuitive.  Je n'en révèle pas davantage sur ce roman qui est un ''page turner'', c'est-à-dire un roman qu'on ne veut ni que l'on peut mettre de côté.  Je vous préviens...  Danger, à éviter comme livre de chevet, car vous risquez de passer une nuit blanche.

Jocelyne Langlois maîtrise très bien son intrigue et possède une plume à l'Américaine. On ne s’ennuie pas du tout. Le rythme est soutenu.  La psychologie des personnages est très fine. Elle décrit très bien le Québec des années 1930 à 1981.   D'ailleurs, Puzzle ferait un très bon film.

Est-ce que Jocelyne Langlois écrira d'autres polars ?  Je le souhaite.  À suivre.  

Jouer avec le feu de Jocelyne Langlois


Jocelyne Langlois est peintre, poétesse et romancière.  Elle vient de faire paraître, en septembre 2018, aux Éditions de l'Apothéose son recueil de poésie Jouer avec le feu.  Il est à noter que l'ouvrage est illustré magnifiquement par elle, y compris le superbe phénix en couverture.

Dans ce recueil, on y perçoit de l'humour, de la tendresse, de même qu'une femme qui accepte de plus en plus les dons reçus de la vie.  Elle s'assume pleinement.  Jouer avec le feu, c'est aussi la capacité de Jocelyne de se renouveler, de retomber sur ses pattes après les innombrables contrariétés qui peuvent survenir au fil des jours.  La poétesse reformule, joue avec les mots, la température et la mythologie.  Cela donne une lecture savoureuse que je vous recommande chaleureusement.

En voici deux extraits :

« Un poème habite un arbre, déçu
Coincé entre la sève et l'écorce biscornue
Il attend toujours et depuis
Le grand amour de sa vie
Un auteur humble, doué et sage, à la plume d'amour
Qui un jour recevra de lui mille vers inspirés en retour. »

« Redescendue sur terre, j'aperçois quelques arbres ployant sous le fardeau de ce manteau devenu trop lourd.  J'invente le mot neigitude pour désigner l'amour de la neige. »

© texte de ce billet, photo, Denis Morin, 2018




D'une mer à l'autre de Beatrix Delarue et Lorraine Lapointe


Le destin nous trouve des frères et des sœurs au-delà de nos propres familles.  Ce fut le cas de Beatrix et de Lorraine.

La première est française. Elle enseigne aux petits, dessine, prend soin de ses enfants et de son mari, aussi mystérieuse et secrète qu'une Isabelle Huppert en dehors d'un plateau de tournage.

La deuxième est québécoise. Elle écrit, dessine et crée des personnages depuis l'enfance.  Elle est exubérante et sympathique, quelque peu Bécassine parfois lors de ses sorties de scène. Elle est l'ange gardien de ses proches.  Vous aurez compris que ces deux poétesses devaient se rencontrer, toutes complémentaires qu'elles le sont en écriture que dans la vie.

En 2015, elles éditaient chez Edilivre, le recueil de poésie D'une mer à l'autre, oeuvre hybride à deux voix.  Lorraine y occupe le premier segment, alors que Beatrix tient le deuxième.

On y parle de souvenirs, d'amours transies, de tendresse, de retrouvailles, d'ancêtres, de marins disparus en mer, d'enfants qui jouent sur une plage de sable.

Mon opinion, la voici.  J'aime ces mots de femmes qui (se) racontent par le biais de personnages d'aujourd'hui et d'hier.  Puissent-elles nous revenir bientôt !

Voici Lorraine :
« Là-bas sur la berge, cette femme l'attend,
Yeux bleus de mer calme, sa robe aux quatre vents
Elle semble pleurer au son doux de la vague...
Lui, le marin sur une autre rive divague. »

Voici Beatrix :
« Puis j'ouvrirai la cage et son trésor d'espoir
Vers la mer nous irons, au loin les mascarades !
Du songe de l'aube ou jusqu'au songe du soir
Jeter notre chagrin et toutes les charades. »



© billet, photo, Denis Morin, 2018



Le plâtrier siffleur de Christian Bobin


Christian Bobin est un écrivain caméléon que j'adore.  Il est caméléon en ce sens que sa palette d'écriture va de la philosophie à la poésie en passant par la biographie.

Il y a une vingtaine d'années, je lisais la très touchante vie du Poverello d'Assise, Le très-bas, écrite par Bobin.

Cette fois-ci, je vous présente un livret intitulé Le plâtrier siffleur publié en 2018 aux Éditions Poesis.

Dans ce recueil, l'écrivain se questionne sur l'humain déshumanisé par l'avoir et la technologie.  Il s'émeut de l'herbe qui ondoie sous le vent, de la poésie qui n'appartient pas juste aux artistes, mais aussi et surtout à une mère qui borde son enfant la nuit tombée ou au plâtrier siffleur en train de gagner son pain.  Bref, il associe contemplation et poésie. Il donne l'exemple d'Emily Dickinson qui, de sa chambre, écrivait et saisissait le monde par ses mots.

Christian Bobin le fait aussi avec brio.  À lire pour la tendresse et la douceur du regard sur la vie.

Je vous laisse sur quelques extraits :

« Habiter poétique le monde ou habiter humainement le monde, c'est la même chose. »

« Le monde est rempli de visions qui attendent des yeux.  Les présences sont là, mais ce qui manque ce sont nos yeux.  Qui la voit cette petite fougère prise dans une branche épineuse ? Le vent la connaît, le vent lui parle. »

« Pendant le Seconde Guerre mondiale, il y a un homme qui ne se soucie pas explicitement de la guerre, c'est Matisse. Il entre dans une période de grande simplicité de la peinture et des couleurs, il rejoint la source enfantine de la peinture. Je crois que cet homme-là, par son travail, parce qu'un des effets de la peinture est de nous prendre le coeur et de le laver, a résisté contre le monde enténébré aussi bien que ceux qui prenaient les armes. »


© photo, billet, Denis Morin, 2018

vendredi 14 septembre 2018

Fenêtre sur cour, Anamorphoses de Serge Roy, illustrations de Fernand Emond



Le titre évoque un être humain, en l’occurrence le poète Serge Roy qui observe la vie, la sienne, à la fois acteur et témoin de sa destinée.

Il arrive comme parachuté dans un milieu qui ne lui ressemble pas.  Il grandit.  Il note bien vite l'hypocrisie des grands et le moule de l'école.  Puis l'adolescent découvre les tourments du corps et du cœur.  On abuse de lui, on le blesse, on lui promet mer et monde, on lui triche, on le déçoit, on le trahit.

Par la suite, il devient un adulte, fait sa vie, gagne son pain, enseigne, vit l'amour avant d'affronter la maladie.  Il s'en sort finalement épuisé mais vainqueur.

Ce magnifique recueil est fait d'instants délicatement illustrés par Fernand Emond, conjoint du poète.  À l'image de la vie, ce livre est tissé d'ombres et de lumières.

En voici un extrait :
« Liberté oubliée sur ce chemin qui me frappe
Suis-je ce bambin inapte ?
Hyperactif, on me demande d'être lent
Mes projets féconds oublient ce camp
Le temps de bouger, se confier arrive
Suis omnibulé par cette dérive
Le printemps des trois fois vingt sonne le glas
Ouverture, soins et pensées m'éloignent de cet état
Quand le temps des huîtres aura tinté
Je m'engouffrerai dans cette saine liberté.  »

Édité à compte d'auteur en 2016 chez Les carnets de Dame Plume, on peut se procurer ce recueil en contactant le poète à valetdameroy@gmail.com .

Puissent le poète et son compagnon illustrateur nous revenir à nouveau dans un autre ouvrage.  J'aime.


© photo et texte, Denis Morin, 2018

lundi 3 septembre 2018

Le coureur de froid de Jean Désy



Jean Désy aurait pu très bien vivre à Rome ou à Florence à la Renaissance, vu sa polyvalence.  Il est médecin, écrivain (roman, poésie, récits de voyage), philosophe.  Ce poète dans l’âme pratique la médecine dans le Nunavik, terme inuit désignant le Grand Nord du Québec.

Pour ce livre publié en 2001 chez XYZ éditeur et réédité en 2018 chez Bibliothèque Québécoise, ce roman se veut la quête de Julien, médecin soignant au Nord, têtu et résilient comme un Breton, appréciant les grands vents et le froid comme sa grand-mère Innu (Montagnaise).  Il est amoureux d’Eva, une jeune femme, mais tout se bouscule quand celle-ci lui dit qu’elle veut un enfant de lui.  Julien décide alors de partir avec son traîneau pour se rendre au Sud du Québec rejoindre sa fille Marie.  Sur son long parcours, il aura à se battre pour survivre pendant des semaines. 

Pourtant, il aura comme compagnon de pérégrinations un renard qui lui fera trouver en temps opportun un troupeau de tuktu (caribous) et la cabane d’un poète ermite.

« J’ai marché vers le village innu en sachant bien que ma vie et ma mort ne valaient ni plus ni moins que chaque cristal de neige qui s’écrasait sous mes pas, qui disparaissait, et qui réapparaîtrait, dans six mois, sous forme d’une goutte d’eau. »

À lire évidemment.