vendredi 27 décembre 2019

Rien d'autre que cette félicité de Nancy Huston



Nancy Huston, publie à la fois chez Leméac et Actes Sud. Elle a fait paraître en 2019 Rien d’autre que cette félicité chez Leméac.

Soyons honnêtes, je ne connaissais rien d’elle jusqu’à hier. Je savais qu’elle est une écrivaine née à Calgary, qui vit avec un écrivain à Paris et qu’elle joue du clavecin, pendant que monsieur écrit à un autre étage. Juste ça, le clavecin, ça me séduit.

Je reviens à l’objet de ce billet, dans ce livre bref mais très dense, on décrit le personnage d’Ariane qui se sait gravement malade et qui décide d’écrire une lettre à sa fille unique, non pas pour s’excuser d’être exigeante et chiante à ses heures, mais pour lui expliquer son parcours de femme, sa vie d’amoureuse, sa naissance. Le tout est entremêlé de références mythologiques : Ariane, le Minotaure, Dédale, Icare, etc.

Comme enfant, on se fait souvent de nos parents des êtres pour ainsi dire mythologiques. Ils sont à l’origine de notre monde.

Ce livre mérite votre attention pour l’intelligence de cette confidence d’une mère à sa fille.

Extraits :

« Oui, ils viennent au-dedans de nous, l’homme et l’enfant. Ils nous habitent. L’homme passe en coup de vent, l’enfant s’incruste. »

« Pour me révolter contre la passivité que m’impose le passage inexorable des minutes, j’aiguise plutôt que d’émousser la conscience que j’en ai. Je dois ruser sans arrêt pour devancer l’horloge, faire un maximum de choses ou lire un maximum de pages dans une journée… »

« Maman pensait surtout à ariadne : la merveilleuse araignée de Louise Bourgeois. Tisserande industrieuse et méthodique, patiente et puissante, femme qui rafistole, recoud, répare, rassure… Mais en m’appelant Ariane, je crois qu’elle voulait aussi me faire comprendre que j’aurais à dévider mon propre fil, à tracer mon propre chemin dans le labyrinthe du désir des hommes. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits, Denis Morin, 2019


mardi 24 décembre 2019

Nelly Arcan, de l'autre côté du miroir de Marguerite Paulin et de Marie Desjardins




Marguerite Paulin et Marie Desjardins, deux femmes de lettres et biographes québécoises ont publié en 2011 chez Les Éditeurs réunis l’émouvante biographie Nelly Arcan, de l’autre côté du miroirCe titre évoque pour moi Barbara et sa fascination pour l’amour et la mort.

Qu’en est-il lorsqu’on est jeune et rebelle ? On veut mener sa vie à sa manière sans rendre de compte à personne. On connaît la gloire et les paradis artificiels. Nelly joue (in)consciemment des personnages. Elle se veut intello et féministe, alors qu’elle arbore une beauté comme appât/apparat. Elle ne veut pas vieillir, tomber dans l’oubli. Finalement, tôt ou tard, le mal de vivre se ramasse comme Les feuilles mortes de Prévert et de Cosma. Nelly Arcan était comme Norma Jean (Marylin Monroe) qui aurait voulu qu’on la traitât en véritable artiste et non pas comme une poupée pulpeuse.

Elle aurait pu devenir une Duras du 21e siècle, si la mort n’avait pas attrapé l’oiselle en vol au bout de sa corde.

Merci aux deux biographes. Résolution 2020 : Nelly Arcan. À suivre.

Extraits :

« (Mon amie) ne comprenait pas que j’avais besoin de m’étourdir. J’ai peut-être trop bu, j’ai peut-être trop snifé. J’ai besoin de m’enivrer. J’ai un côté poète maudit. Je suis un peu baudelairienne. Je suis une fleur du mal. J’aime l’argent pour acheter du bonheur. »

« Elle aurait détourné la tête promptement. Cette fille, ce n’était pas elle. Elle avait pensé, comme sur ce divan à l’instant même à sa tante et à ses tarots. La maison de Dieu, présage de catastrophe. Une femme tombant dans le vide. L’impératrice, c’était elle. »

© Photo, texte du texte,
    sauf les extraits des biographes,
    Denis Morin, 2019

dimanche 22 décembre 2019

Chutes microscopiques de Cornéliu Tocan




Il nous arrive sur les médias sociaux de croiser des phénomènes, des gens hors du commun, des artistes, des allumeurs de phare. Dans ce cas-ci, il s’agit de Cornéliu Tocan, un jeune étudiant de 16 ans, qui traduit, écrit, illustre, s’amuse avec les mots et les concepts brillamment. Il nous propose en 2019 ses Chutes microscopiques chez Créatique, un éditeur numérique de Québec, en français, en anglais, et en roumain, en anglais + chinois, en anglais + japonais. L'édition en espagnol doit suivre sous peu.

Tout comme dans les nouvelles, les textes brefs se terminent par une chute, une fin inattendue. Cornéliu eut la brillante idée d’illustrer au début de chaque texte pour faire diversion, puis on lit jusqu’au moment de tomber sur la dernière ligne d’une police nettement plus petite pour conserver le mystère. Ensuite, une deuxième illustration appuie la chute énoncée.

L’ensemble donne un livret agréable à regarder et intéressant à lire à mi-chemin entre la poésie et la nouvelle. Ce livre est disponible sur Google Books et Google Play. Le livre est préfacé par l’écrivain Nicolas F. Paquin. L’auteur invite les blogueurs et les enseignants curieux à lui demander une copie numérique des Chutes microscopiques.

Je me demande bien ce qu’il adviendra plus tard de son parcours littéraire. Pour l’instant, je vous invite à le lire.

© Texte, Denis Morin, photo, Créatique, 2019


samedi 21 décembre 2019

Ce qu'il reste du monde de Hervé Richard




Hervé Richard me surprendra toujours. Je lis sa poésie comme si j’écoutais des chansons de Barbara avec de la tendresse et une larme à l’œil. Ça ne s’explique pas. C’est l’amour qui frisonne, qui arrive et repart. Ça ne se fabrique pas. C’est Paris, l’Allemagne parcourue en train, la Russie si lointaine. Tout se conjugue en mode adieux ou en mode retrouvailles et à le lire j’ai le cœur qui bat la chamade. Une fois de plus, je suis ému d'ouvrir et de refermer en 2019 ce recueil Ce qu’il reste du monde publié chez Édilivre.

D’ailleurs, il reprend au gré de ses humeurs, le plus souvent amoureuses, le titre à chaque poème bref comme un slogan, un leitmotiv. Chamboulé suis-je à chaque parution par la mélancolie et la sincérité. Or, je suis ce doux poète et écrivain depuis quelques années. Je vous souhaite d’en faire de même.

Mes pensées harmonieuses vont vers lui. Puisse-t-il ne jamais cesser d’écrire.

Extraits :

« Et dans un souvenir qu’il me reste du monde
Une enfance volée tout le reste est en retard
Je n’ai ce monde aimé quand il était trop tard »

« Et dans un souvenir qu’il me reste du monde
Il m’arrivait parfois de vous aimer si fort
Que saturé mon cœur dépassait de mon corps »

« Et dans un souvenir qu’il me reste du monde
Le conflit permanent de l’être et du paraître
Je suis tel que je suis et tel que je veux paraître »

© Texte du billet, sauf les extraits du poète,
     Denis Morin, 2019,
     photo, Edilivre, 2019





dimanche 15 décembre 2019

Ouvert l'hiver de Sébastien Dulude



Imaginez une maison en pleine campagne ou en forêt, ouverte, deux êtres, ou du moins un être en attente de quelqu’un d’autre. Imaginez le vent, le froid, le feu qu’on n’allume pas avec du bois vert, l’amour qui ne s’allume plus non plus. L’hiver mord la chair, la faim nous tenaille les entrailles. Le désespoir n’est jamais trop loin. Les lèvres se gercent. Les mots craquellent. Le frimas s’installe au balcon des cils.

Dans Ouvert l’hiver publié en 2015 aux Éditions La Peuplade, le poète Sébastien Dulude joue et maîtrise le chaud, le froid, le sentiment de perte, le vertige amoureux.

Lançons-lui le défi d’écrire sur les trois autres saisons.

Extraits :
« entre c’est ouvert
juste une couverte sur le toit
je ne chauffe pas assez »

« on se tient
immobiles et côte à côte
le vent prend ton foulard et le frôle dans mon cou »

« dessin du vent sur la neige
il me revient :
avoir déjà été enfant bien seul »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits du poète,
    Denis Morin, 2019

La leçon d'écriture de Anne Walter




La leçon d’écriture publié en 1996 chez Actes Sud par Anne Walter prend une double tournure. Cette femme de cinéma et de lettres aborde avec délicatesse et pudeur son amitié pour l’écrivain et critique Marcel Arland. Elle aborde aussi avec lui la question du style, de sa voie (voix) à définir en littérature.

Cette amitié se vit en présence l’un de l’autre et par le biais de la correspondance où Anne perçoit la part plus lumineuse de cet homme chargé d’un mal de vivre évident. Il l’encouragera toujours à puiser dans le silence, les bonnes lectures, le choix des mots son unicité.

Somme toute, un ouvrage à lire en guise de réflexion sur l’écriture et la solitude de l’écrivain.

Extrait :
« Tenir des notes, ou faire un herbier, ce n’est pas naturel : tout y mort. (…) Ce qui est émouvant reste en nous, pas besoin de notes. Et ce qui ne compte guère, autant l’oublier, se désencombrer. À nous le risque et l’inattendu, aller à l’essentiel – encore – et ne jamais prendre la pose. »

© Photo, texte du billet,
    sauf l’extrait où Marcel Arland s’adresse à Anne Walter,
    Denis Morin, 2019

dimanche 8 décembre 2019

Débâcles de Marie-Pier Poulin




On fait de petites découvertes qui brillent tels des dessins de givre et une neige nouvelle. En voici une signée Marie-Pier Poulin pour son premier roman Débâcles publié en 2019 chez Les Éditions Sémaphore.

Fait à noter que l’auteure a grandi chez les Inuit puis dans les villages à proximité des barrages hydroélectriques de la Baie James. Elle vit maintenant à Montréal.

Il était une fois le jeune agriculteur Arthur Benoît qui devint un père jésuite missionnaire dans le Nord québécois. Le religieux croise un Inuit beau, brave et fier. Celui-ci deviendra son guide et son ami. Puis le guide devient le père d’un garçon, Piari. Les jours et les nuits filent. Les igloos sont remplacés de plus en plus par des maisons de bois. Une tragédie survient : la mort des parents de Piari. Le jésuite pense bien faire en déracinant l’enfant endeuillé et en l’adoptant. Déménagement à Montréal. On vit au monastère, puis en appartement. Piari sera appelé Pierre. Il étudiera, se fera sourd aux remarques racistes, fera la connaissance d’un médecin juif qui l’encouragera à devenir médecin, tombera en amour avec une étudiante blanche. Il sera médecin, puis retournera dans son village pour y puiser ses racines et se joindre à la dissidence de certains milieux autochtones. Il redeviendra Piari.

Bref, Débâcles, ce très beau roman m’a ramené aux romans d’Yves Thériault dont Agaguk. On attend vivement le prochain opus.

Extraits :

« Lorsqu’ils rejoignirent les aînés, Saali lui présente tout le monde. À part Yugini et Nukaya, la sage-femme, Pierre ne replace personne. Pourtant, la même bienveillance se dessine sur ces visages burinés par les années. Certains s’approchent même pour le toucher. »

« Tous ces grands espaces servent à nourrir des communautés entières. Pour nous, chaque coin, chaque rivière, chaque montagne évoque un souvenir, une balise, un indice d’un danger à venir. Des ancêtres y sont enterrés un peu partout. S’ils harnachent les cours d’eau, s’ils inondent des kilomètres de nos terres, qu’adviendra-t-il de nos repères, de notre mémoire, de notre connaissance du territoire ? »

© Photo, texte du billet sauf les extraits de la romancière,
    Denis Morin, 2019



dimanche 1 décembre 2019

Entre gouffre et lumière



Éric Dubois écrit, performe, lit/vit sa poésie comme bon lui semble sur scène et en ligne.

En 2010, il publiait Entre gouffre et lumière dans la collection Accent tonique-Poésie chez L’Harmattan. Le dessin en couverture, soit un joli gribouillis de mots, est de l’auteur.

Le poète s’y livre sans fausse pudeur. L’amour, l’ennui, l’anonymat des citadins dans les tours d’habitation, le souhait d’être (re)connu, l’obsession de l’écriture depuis l’enfance, tous ces thèmes y sont abordés, grâce à une écriture dépouillée. Les poèmes se lisent d’une traite ou en double lecture… On saute des vers. Cela double la compréhension de son monde.

Bref, il suscite ma curiosité, ce qui aura comme conséquence que je devrai lire d’autres œuvres de ce poète.

Extraits :
« Comme d’une balle perdue
d’une arme
Écrire n’est pas abstrait
la fibre du papier
Et pèse de son poids d’hommes et de femmes
boit l’encre »

« Las comme le jour
il attend
Nous croyons au lendemain
au porche des églises
Il est un peu de nous un peu de moi
la sébile bien en évidence
Tu t’en iras le cœur léger l’ignorant
il fait l’aumône aussi d’un regard
Tu es plein toujours plein
il n’a que son ombre
De bonnes intentions
près de lui comme un chien fidèle. »

© Photo, billet,
    sauf les extraits du poète,
    Denis Morin, 2019

Entretien avec Stéphane Lefebvre



Par un samedi frisquet et ensoleillé de novembre, nous nous sommes rencontrés pour discuter d’écriture et de la vie dans un café, puis nous avons marché pour nous remplir les poumons d’air frais. Voici l’essentiel de cet entretien avec Stéphane Lefebvre, auteur des romans Infidélités et Quelque part en Occident.

Comment en êtes-vous venu à l’écriture de romans ?
C’est la faute de cet ami que j’appelle « Super héros » (afin de préserver sa réputation) qui un jour, a osé briser une tradition amicale vieille de plusieurs années, en ne se pointant pas à notre souper annuel. Le lendemain, j’écrivais mon premier paragraphe, et pendant plusieurs années, j’ai emmerdé ces mêmes amis avec des histoires abracadabrantes.

Après la lecture de vos romans Infidélités et Quelque part en Occident, je vous ai perçu comme quelqu’un de provocateur et curieux. Ça vous me ressemble ?
Oui, un peu. La provocation permet de susciter des questionnements, de réveiller les gens, tandis que la curiosité est, je crois, une qualité essentielle pour s’ouvrir aux autres.

Suivez-vous les gens dans la rue comme le fait Jean-Pierre, personnage de votre deuxième roman ?
Non. Mais j’aimerais bien si je pouvais trouver un peu plus de temps.

Vos personnages sont des nomades, pourquoi ?
C’est trop facile de rester chez soi.

Avez-vous songé à d’autres formes d’écriture pour vous exprimer ?
Non. J’aime bien le roman, ça me convient.

Dans quel contexte écrivez-vous ?
L’écrivain est en mode 24/7, il n’arrête jamais… il est toujours à l’affut ! Mais, une fois que j’ai cumulé la matière brute (idées de toutes sortes) et imaginé les principaux événements de mon histoire, je dois trouver la solitude et le temps nécessaire pour m’installer devant mon ordinateur. J’ai donc besoin de tranquillité.

Seriez-vous capable d’écrire à quatre mains ?
Non.

Êtes-vous un écrivain qui cherche à distraire ou à faire réfléchir les lecteurs ?
Les deux. Je crois qu’il faut faire réfléchir autant que possible. En même temps, il est essentiel que la lecture soit une distraction, un loisir. Il ne faut pas s’obliger à être lourd et à se prendre au sérieux… je trouve cela snob et inconvenant. Après tout, ces romans que je propose ne sont que des histoires inventées !

Est-ce que l’écriture vous donne un éclairage particulier sur la vie ?
Bien sûr. L’écriture permet de réfléchir et de prendre un certain recul.

Quels conseils donneriez-vous à de nouveaux auteurs ?
Bof… je n’ai pas vraiment de conseils à donner, je trouve ça un peu prétentieux de donner des conseils en littérature. Mais bon, je vais être bon joueur : écris pour ton plaisir et surtout, fais-le sans attente !

Pourquoi écrit-on ?
Permets-moi de paraphraser Mario Vargas Llosa : « pour exprimer une révolte pacifique contre le monde réel ».

Décrivez-vous en cinq mots ?
Observateur, patient, curieux, voyageur, libre.



© Entretien et photos,
    Denis Morin, Stéphane Lefebvre, 2019