samedi 28 mars 2020

Dolce vita de Juan Joseph Ollu




Je viens de refermer la couverture de Dolce vita de Juan Joseph Ollu paru en 2016 chez Annika Parance Éditeur. Je m’attendais à retrouver une ambiance tango du style Je te veux, tu me jettes et me rejettes, mais je te veux encore Je fus bien servi, au point d’en verser des larmes.

Commençons par le début. Maximilien, jeune lycéen parisien, de descendance italienne par sa mère, beau, musclé, fait du skate, boit, fait la fête, bascule les filles, se fait séduire par des femmes matures. Il aime et prend plaisir à mordre dans la vie. Toutes ses certitudes sont ébranlées par l’arrivée d’Adrien, un enseignant séduisant et mystérieux qui enseigne l’espagnol et le cinéma. Ce dernier a une prédilection pour le cinéma italien. En fin d’année académique, Maximilien se prend d’affection et de désir pour Adrien qui goûte pour un verre et pour le lit la présence de son étudiant.

À l’été, Adrien compte faire un stage en Suisse pour le silence et pour guérir d’une histoire d’amour avec Alejo que Maximilien trouvera sur sa route à Paris.

Puis en prévision de septembre, Adrien s’installe à Rome pour sa maîtrise, tout comme Maximilien s’établit aussi dans la Ville éternelle pour continuer ses études. S’ensuit un lent tango entre Maximilien qui veut s’attacher et Adrien tourmenté, toujours amoureux d’Alejo.

Ce roman mené fort habilement dépeint les tourments amoureux, la bisexualité et l’homosexualité au masculin, l’attachement aux autres et la peur de la perte des êtres aimés (famille, amoureux, amis), l’intensité de vivre.

Chaque lecteur/lectrice prendra le parti de Maximilien, d’Adrien ou d’Alejo. Tout n’est ni noir, ni blanc. La même histoire aurait pu être déclinée sur un mode hétérosexuel que c’eût été tout aussi passionnant. Ce roman ressemble à Rome dont les bâtiments ternes au petit matin prennent de teintes ocre, orange, rose sous la lumière méditerranéenne du midi. Ecco un’ottima storia di amore da leggere !

Extraits :

« Je devais découvrir par la suite que c’était chez lui une habitude. Toujours avoir un livre avec lui, ou plusieurs. Pour la littérature et les mots, bien sûr, mais aussi comme portes de sortie ou possibilités de parenthèses, d’évasion et de fuite. Et le cinéma, influençant ses actions et sa déraison. »

« Quel ennui aussi que de croire, pour certains, la souffrance, l’attente, le désir et la tourmente des sentiments ne représentaient rien d’autre qu’un cliché à fuir. Je pensai retourner au lit, mais je me secouai. Non, je n’allais pas rester là, je n’allais pas rester hors du mouvement. Je m’habillai et je sortis dans la nuit qui commençait. »

« Il arriva presqu’à l’heure. Je le repérai tout de suite ; il marchait d’un pas dégagé et je le trouvai encore plus beau que dans mon souvenir. J’avais de quoi comparer, maintenant. Plus fragile, aussi, eus-je l’impression, mais peut-être était-ce l’émotion et cette espèce de délire qui finissaient par me tourner la tête. »

© Photo, billet, sauf les extraits de J. J. Ollu,
    Denis Morin, 2020





lundi 23 mars 2020

Des mots de contrebande (Aux Inconnus qui comme moi…) de Alain Cadéo


Les Éditions La Trace offre gracieusement le livre Des mots de contrebande (Aux Inconnus qui comme moi…) de Alain Cadéo publié en 2018 en accès libre sur le site Calameo le temps du confinement.

Ce bouquin est une courtepointe de réflexions de l’écrivain sur sa vie, l’écriture, l’être humain. Cadéo contemple ses jours d’hier, de maintenant, tout en envisageant lucidement demain. Les mots se promènent à dos d’âne, de percheron ou bien sur l’échine du scribe-penseur. C’est un livre qui mérite deux-trois retours comme on revient en une destination aimée. Point d’ennui. Des bribes de sagesse et des sourires tendres sont au menu. Agacé par la bêtise humaine, il croit tout de même en la solidarité et en l’amour. Solitaire, il ne se sent pas de ce monde, même s’il y évolue au quotidien.

Une lecture essentielle avec du beau, du vrai, du sincère.

Extraits :

« L’animal n’est vivant que libre et sans entraves. Derrière les barreaux et les carrés de nos cahiers il a déjà l’amer fumet du faisandé. »

« Je ne suis qu’un sismographe, un récolteur-cueilleur, un copiste, un moine à peine enlumineur, un analphabète récepteur au coccyx endolori par des heures d’attente sur ma chaise de bois, … mais à l’oreille musicale. »

© Texte du billet, sauf les extraits de A. Cadéo,
     Denis Morin, 2020

Promeneur dans un jardin de Cornéliu Tocan



Le confinement appelle d’une part la frustration et d’autre part la contemplation. Optons plutôt pour le sentier de la contemplation sur lequel je m’aventure par la lecture du recueil de Cornéliu Tocan intitulé Promeneur dans un jardin, paru en 2020 chez Créatique.

Le poète nous propose des haïkus automnaux illustrés. Dans une introduction et dans un glossaire, il situe cette forme poétique et il débroussaille la terminologie qui l’entoure très efficacement.

Quant aux poèmes eux-mêmes, ce sont des petits bijoux prêts à cueillir, finement illustrés, écrits avec une économie de mots et une profusion d’images comme le suppose intrinsèquement le haïku.

Puisse ce jeune poète aborder investir aussi d’autres genres littéraires tels que le conte et le roman quand le temps et les muses le pousseront plus loin dans sa quête artistique.

À découvrir évidemment !

Extraits :

Confinement
« L’araignée scella
En la mettant sous séquestre
Une mouche d’eau. »

Maturité
« Un dernier méandre
Et le ruisselet devint
Une vraie rivière. »

© Texte du billet, sauf les extraits de C. Tocan,
     Denis Morin, 2020

samedi 21 mars 2020

Pas même le bruit d'un fleuve de Hélène Dorion



Chaque livre écrit par Hélène Dorion est un événement en soi. Elle sème des instants de grâce et poursuit son questionnement sur la vie.

Dans Pas même le bruit d’un fleuve, roman publié en 2020 chez Alto, le personnage d’Hanna met la main après le décès de sa mère Simone sur des carnets, des photographies, des articles de journaux concernant le naufrage de l’Empress of Ireland, navire ayant coulé en 1914 au large de Rimouski.

Qui était vraiment Simone, cette mère distante, rêveuse et mélancolique qui notait des impressions, des pensées, des poèmes, pendant que son mari Adrien marchait avec Hanna sur la grève, en bordure du fleuve ? Connaît-on vraiment ses parents ? Ont-ils aimé avant de se marier ? Sommes-nous les enfants de qui nous pensons être issus ? Simone a-t-elle eu un destin similaire à celui de sa propre mère ? Hanna poursuit sa quête familiale et personnelle en compagnie de Juliette, une artiste-peintre, de Montréal à Pointe-au-Père.

Hélène Dorion se promène entre le passé de Simone de 1947-1952 au présent d'Hanna en 2018, de Québec à Kamouraska, etc. Les titres des chapitres sont des citations de poètes. Étant originaire du Bas-Saint-Laurent, ce sont les lieux de mes propres parents, de mes tantes, que je redécouvre.

Sans le savoir, Hélène Dorion possède une écriture qui appelle les mots, ceux des autres. Elle a cette magie dans sa prose poétique. Quand je referme un livre écrit avec autant de finesse et de cœur, j’ai juste le goût de noircir à mon tour un nouveau carnet.

Extraits :

« Ma mère n’a pas voulu parcourir le trajet de sa vie à rebours, les glaces auraient pu céder, le brouillard se lever et elle aurait perdu de vue l’horizon et la mort avec lui. Aujourd’hui, je sais que c’était d’abord pour moi que je souhaitais accomplir ce voyage. Pour passer quelques jours seule avec elle, pour le rejoindre dans son silence et qu’elle rejoigne dans le mien. »

« Simone est revenue du fleuve en grelottant, exténuée par sa longue baignade. Chaque jour, elle va ainsi à la nage, aussi loin qu’elle peut, indifférente à l’épuisement qui la gagne alors qu’elle fait face au reflux des vagues. Après avoir mis des vêtements chauds, elle redescend au salon rejoindre sa mère. Sans un mot, elle s’assoit près d’elle sur le canapé. Deux vies côte à côte… »

© Photo, texte du billet, sans les extraits de H. Dorion,
    Denis Morin, 2020

mardi 17 mars 2020

Un balcon à Cannes de Juan Joseph Ollu


Juan Joseph Ollu se ballade entre la France et le Québec. Recherchiste et traducteur, son cœur bat depuis longtemps pour la littérature. J’eus l’occasion de le croiser à deux reprises lors d’événements culturels. En le regardant déambuler avec une coupe de rouge à la main, j’entendais Oblivion d’Astor Piazzolla. Oui, je procède par intuition et association avec les gens. Je ne m’étais pas trompé…

Une fois la couverture d’Un balcon à Cannes, recueil de nouvelles paru en 2012 chez Annika Parance Éditeur, j’entrais dans un univers particulier fait d’humour, de cynisme, de gestes retenus, d’amitié, de sentiments à fleur de peau, de désir assumé, d’envolées.

Ouvrons le livre. Dans L’affaire de la rose en chocolat, je suis agacé par une jeune femme blasée, une emmerdeuse de première classe, cherchant à voler la vedette durant la fête d’un ami. Puis AF2224 où l’écriture de l’écrivain me subjugue avec cet homme qui trompe son copain mais qui lui revient après un voyage. La dérobade évoque le questionnement d’une jeune femme qui se compare à ses copines, qui jauge son histoire d’amour et l’ennui déjà présent si tôt dans sa vie. La lettre nous montre le trajet d’une homme la nuit dans Paris. Il réfléchit sur les lettres, l’amour. Il porte en lui le mépris de lui-même et l’espoir. L’appartement, c’est l’amour qui se lit, se vit et se délie comme un lit défait par trop d’attente, par trop de non-dits et d’amertume. Un balcon à Cannes est la pièce de choix du recueil. Il y a une femme qui retrouve un ami de jeunesse endeuillé par un amoureux. Tendresse, amitié, bienveillance, spleen et sensualité sont au rendez-vous dans cette dernière nouvelle qui ferait un si beau film.

J’écoute justement le violoncelliste Stjepan Hauser jouer Oblivion le temps d’écrire ce billet.

Vivement Ollu et vivement Piazzolla.

Extraits :
« Nous étions bien ensemble, bien sûr, mais il ne nous serait pas venu à l’idée de changer le cours de nos vies. Il n’était pas question d’amour ou de passion à long terme. Nous avions décidé de rentrer séparément, afin qu’à Rome même, tout soit fini, et que ce qui s’y était passé y reste, avec en mémoire des souvenirs secrets et étanches. »

« Au moins, il s’est réfugié dans une vie qui lui ressemble, faite de légèreté, de réclusion, mais aussi de plaisirs nocturnes, de littérature. Il s’est offert toutes les apparences du bon pour y couver son malheur. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de J. J. Ollu,
    Denis Morin, 2020




dimanche 15 mars 2020

J'ai de mauvaises nouvelles pour vous de Suzanne Myre




En 2012, les Éditions Marchand de feuilles publiaient J’ai de mauvaises nouvelles pour vous de Suzanne Myre. J’aime tellement l’humour, les réflexions, les propos drôles et parfois acerbes de cette écrivaine que je prolonge l’attente en étalant la lecture de ses œuvres. Elle me met le sourire aux lèvres et ça vitamine une journée.

Je ne ris jamais en lisant. Il n’y a qu’elle et France Boisvert qui réussissent à le faire, ce qui est un tour de force.

Ce recueil de nouvelles aborde avec intelligence vive et auto-dérision les thèmes suivants : relations de couples, le lien à la mère étouffante et névrosée, les amoureux parfaits qui gravissent les montagnes et qui méditent, l’amoureuse qui se déprécie sur son apparence, la communication, l’écriture, les chats. Ma nouvelle préférée s’intitule Sept jours, six nuits, soit le séjour en Estrie d’une Montréalaise en peine d’amour dans un chalet miteux.

Je tiendrai ma langue pour ne pas dévoiler l’effet-surprise de certaines chutes, mais disons que je recommande fortement la lecture de ce livre, tout comme les autres œuvres de Suzanne Myre. Une écrivaine incontournable !

Extraits :

« Il médite, mon chum. Ça passe avant tout, comme tout ce qui le concerne. Mes besoins primaires peuvent attendre. Depuis que tout a commencé, j’ai dû comprendre bien comme il faut que sa "quête de vérité" allait surpasser ma quête d’affection, en importance et en intensité. »

« Jamais vous n’avez demandé, ni même souhaité, devenir écrivain. Ça vous est tombé dessus comme ça, comme une punition. Il existe, vous en êtes convaincue, de meilleures façons de vivre sa vie que de se terrer dans un coin d’appartement à espérer la saloperie de muse. »

© Photo, texte du billet, sauf les deux extraits de S. Myre,
    Denis Morin, 2020


mardi 10 mars 2020

Asphyxies de Sébastien-D. Bernier



Issu du monde du théâtre (dramaturge, comédien, metteur en scène), Sébastien-D. Bernier nous propose en 2020 chez Les Éditions Sémaphore, Asphyxies, un roman de science-fiction, dont certains aspects avaient été abordés dans sa pièce La dernière mise, pièce primée deux fois.

Imaginez un Québec en 2093 où l’azur tourne au brun sépia, où des citoyens désabusés et désargentés sont payés par un État interventionniste pour prendre soin de personnes âgées centenaires, où des caméras, des systèmes de détection, des androïdes et autres créatures vous surveillent et gèrent vos vies. Le silence est une denrée rare, quasi inexistante, avec les hologrammes constants qui diffusent des publicités gouvernementales et de sociétés pharmaceutiques.

Cette année-là, Patrice Lajoie sorti de prison s’installe chez sa sœur Régine et son beau-frère Charles. Il n’a qu’en tête de porter des lunettes conçues pour jouer à des jeux illégaux en ligne. Surpris par Terminal 037, Régine et Charles devront par mesure de rachat sociétal s’occuper de Stéphanie Dumont, âgée de 117 ans, qui aime le beau, les arts et les chansons qu’elle chante pour embêter le trio. Les deux garçons gagent sur la fin de vie de leur nouvelle pensionnaire En dépit de l’écart d’âge, Stéphanie et Régine développent une certaine complicité, mais Régine verra sa compassion la consumer à petit feu. Jusqu’où peut-on s’oublier pour prendre soin des autres ? Peut-on mettre des limites pour éviter les abus de toute sorte ? Quel prix a le dévouement ?

Ce roman décoiffe, ébranle les certitudes. Il nous fait réfléchir aussi sur les aidants naturels ou non qui prennent soin des personnes âgées ou handicapées. À l’heure du politiquement correct et de l’emprise progressive de l’État, où la liberté d’expression peut être muselée, ce roman déconcertant et pertinent dépeint la société occidentale dans laquelle pourrait vivre demain les enfants de maintenant.

À lire, si vous aimez la science-fiction, la philosophie et les enjeux sociaux. J’ai très apprécié.

Extrait :

« Régine trouve injuste d’être traitée ainsi, uniquement parce qu’elle n’a pas officiellement dénoncé les joueurs. Si son frère avait au moins été condamné à quelques mois de confinement dans la dimension 22, elle aurait reçu sa peine avec une once de satisfaction. Or, le voilà assis à côté d’elle, ni complice ni récidiviste, jouant les premiers de classe, en espérant que Terminal 037 prenne note de son "étonnante réhabilitation". »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de l’auteur,
    Denis Morin, 2020

mercredi 4 mars 2020

Mayacumbra de Alain Cadéo



Je ne connaissais pas Alain Cadéo. C’est le romancier Tom Noti qui m’en parla le premier, puis Martine, l’épouse du premier s’est mise à me suivre sur Twitter. Le tout résulte maintenant en une agréable rencontre littéraire avec Alain Cadéo, écrivain au cœur de poète depuis une quarantaine d’années.

Dans Mayacumbra, roman publié en 2019, aux Éditions La Trace, Alain Cadéo nous décrit un bled perdu sis dans une quelconque cuvette humide au pied d’un volcan qui gronde de temps à autre. Des marginaux et un policier, féru de chasse à l’ibis, y vivent. Un jour, Théo alias Loco s’installe presqu’au sommet pour avoir la paix. Ce poète solitaire n’a que pour seul compagnon son âne Ferdinand. Parfois, Lita, sa flamme indigène, et Solstice, un contrebandier noir, viennent le visiter par amour et amitié. Puis, les animaux se comportent étrangement et un muet soigné par les marginaux du coin joue au tueur. Qu’est-ce qui chamboule tout à coup tant le rythme quotidien des bêtes et des hommes ?

Par le personnage de Théo, on se pose les questions suivantes : Peut-on se retirer du monde ? L’harmonie peut-elle se dénicher dans le danger potentiel que représente un volcan ? Devient-on tôt ou tard le paysage dans lequel notre regard puise sa contemplation ?

Ce long roman avec ses descriptions si belles est la lente introspection d’un être à la recherche d’un enracinement, malgré la précarité de la vie, de sa vie.

À certains moments, je me suis que je lisais ce livre avec le même ravissement qu’en lisant L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono. Instants de grâce assurés.

Extrait au sujet des solitaires :

« Tout devient signe. On parle haut et fort sans s’en rendre compte, on marmonne comme un gosse qui se raconte des histoires, on commente ce qu’on ressent, on traduit comme on peut le langage des sources, des pierres et des oiseaux, celui des fleurs et des nuages. On compte sur ses doigts le temps d’une rafale de vent, on multiplie par trois le temps entre l’éclair et le tonnerre… »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait d’Alain Cadéo,
    Denis Morin, 2020