samedi 24 août 2019

Cardinal Song de Vincent Giudicelli





Au moment de me procurer Cardinal Song, le titre me faisait penser à la musique et à une boussole dont on a besoin pour se guider et obtenir par le fait même des repères.

Ouvrons la couverture de ce premier roman écrit par Vincent Giudicelli, écrivain, comédien et critique musical, et publié en 2017 à Montréal chez Annika Parance Éditeur. Ce superbe livre est construit à la manière d’un road movie. Ça bouge et ça déplace de l’air. Tout tourne autour du déracinement et du besoin d’enracinement des êtres.

Un narrateur hérite de ses parents d’une propriété dans le 11e arrondissement à Paris. Il s’y ennuie. La routine de la classe moyenne. Ce n’est pas pour lui. Il préfère les rumeurs du Périphérique à la tranquillité balisée, encadrée. Il cherche à protéger Marie, son amoureuse, contre elle-même et son mal-être. Il est son pare-chocs.

Marie, sa flamme, peintre, crée mais ne s’aime pas, se détruit, mais veut se réparer. Elle attire et fascine les autres comme elle les repousse. Elle est blessée de ne pas avoir connu son père. Elle fuit, revient et repart, ne laissant qu’une note, un murmure, quand elle prévient.

Sara, la mère de Marie, est un être tordu et toxique. Elle ment comme elle respire. Rien ne compte, sauf l’image lisse sur la glace et la ronde des amants.

Norman, technicien de son, a connu en tournée les grands rockeurs et produit à présent des émissions de radio. Il attend Laura, ça le ronge par l’intérieur et ça lui consume sa ligne de vie. Il est copain du narrateur et plus tard de Marie.

Puis, Laura, la mystérieuse animatrice de radio, dont la vie alterne entre le studio et les aéroports. Elle joue du désir comme on joue du saxophone langoureusement.

L’auteur nous fait voyager. Les lieux défilent : Paris, Tunis, Hanoï, Los Angeles, Las Vegas, la Côte d’Azur.

Lors de la lecture, l'auteur nous invite à nous poser les questions suivantes :

Faut-il faire le tour du monde pour comprendre ses origines et balayer du revers de la main les mensonges du passé ?

Faut-il toujours se quitter pour éviter l’embrasement et les aveux ?

Peut-on être nous-mêmes sans toujours être les enfants ou l’employé de quelqu’un ?

Faut-il vivre par procuration en écoutant des disques ou en peignant des tableaux ?

Peut-on aimer sans se blesser impunément ?

Vous le saurez en lisant le roman Cardinal Song de Vincent Giudicelli. J’ai fait un sacré beau tour du monde, grâce à lui. À votre tour, maintenant.

Extraits :
« Je laissais mes bras se reposer, le temps que la tétanie les abandonne. C’était comme s’ils avaient trop tenu Marie. Sans doute aussi s’en voulaient-ils de ne pas avoir su la retenir. J’y retournerais, je crawlais à nouveau et le son de l’eau qui bruissait à mes oreilles était pareil aux respirations de deux amants. »

« Au matin, les yeux rougis par la fatigue et les larmes, Norman était revenu à la radio et avait trouvé Marie dans son bureau. Elle s’apprêtait à partir. Rattrapé par son instinct et le souvenir encore clair de la voix si particulière de Marie, il lui avait confié le classeur de Laura en lui demandant de réfléchir et de l’appeler dans la journée, si possible avant midi.
« Réfléchir, c’est ce qu’elle avait fait aujourd’hui, perdue dans son silence bien à elle, dans ses pensées, perdue dans les mots de Laura qu’elle lisait et relisait, Laura dont à lui seul le nom évoquait désormais l’absence pure, une absence de père avec laquelle elle avait toujours vécu, mais qui, ce soir, cognait dans chaque recoin de son âme. »

« Mon seul ami était devenu celui de Marie. Avec nos caractères de sauvages, il ne pouvait pas en être autrement. C’est une des choses que l’âge nous enseigne : ne pas s’emmerder avec ceux qui ne nous ressemblent pas. Entre sauvages, on se reconnaît. »

© Photo, billet,
    sauf les extraits de l’auteur,
    Denis Morin, 2019



samedi 17 août 2019

Fugues d'Arthur H


J’aime les livres qui m’amènent ailleurs qui me font voyager et qui me poussent sur des chemins auxquels je n’aurais pas pensé. Je viens de terminer Fugues d’Arthur H. (né en 1966), chanteur, musicien, peintre et illustrateur, le fils de Jacques Higelin (1940-2018) et de Nicole Courtois (née en 1939). Ce livre est publié en 2019 dans la collection Traits et portraits aux Éditions Mercure de France. Il s’agit d’un récit biographique agrémenté des photos d’archives composées de portraits de sa mère, de lui-même et oh surprise ! de partitions de Jean-Sébastien Bach.

Tout débute quand Arthur s’intéresse à L’Art de la fugue de Bach. Arthur tente de fragmenter dans sa tête des passages puis de jouer sur un clavier abîmé dans sa vieille roulotte en bordure d’un champ. Bach sous une masse de photons lui apparaîtra, en rêve ou en réalité... Arthur trouvera prétexte de la présence de Bach pour raconter la fugue de sa mère, en 1957, alors âgée de 18 ans, d’Argenteuil, en Ile-de-France, pour la Corse. Par la suite, il racontera sa propre fugue en Guadeloupe, à l’âge de 15 ans, laissant son père, son jeune frère et Coluche retourner à Paris.

Mon père, ce taiseux, disait souvent qu’on doit savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Une fois de plus, il avait raison. Le livre Fugues nous apprend aussi sur la perception qu’avait Arthur H., jeune homme ayant hérité de la détermination de sa mère et de la fougue créatrice de son père. Bel héritage ! À lire.

Extrait :
« J’avais compris que la vie était vaste, que le monde était à découvrir. J’éprouvais une sorte de vertige à penser que mon existence à Paris était peut-être un songe chimérique et que cette nuit bouleversante était bien plus réelle. Comme ma mère, j’avais l’habitude de dissimuler mes émotions, ma vie intérieure était beaucoup plus développée que ma vie extérieure. (…) Il fallait que je découvre, que j’expérimente, que je vive. »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de l’auteur,
    Denis Morin, 2019

mercredi 14 août 2019

Maison, poésies domestiques et Faut bien manger d'Emanuel Campo


Ce poète aux origines suédoises et françaises, grand, mince, blond, possède un humour cynique, un regard de philosophe sur la vie. Il passe son temps entre la scène où il livre sa poésie, une table sur laquelle il écrit et sa vie de famille.

En 2015, les Éditions la Boucherie littéraire publiaient dans sa collection Sur le billot le recueil Maison, poésies domestiques et, en 2019, dans la même collection Faut bien manger

Les textes sont savoureux, débordent d’esprit, traitent du couple, de la famille, de la société, des communications insensées. On sourit devant l’absurdité de l’existence, mais au fait on pourrait se demander si ce ne sont pas les gens qui tombent dans l’absurdité sans s’en rendre compte. À vous de juger. Ces textes valent la peine d’être lus à voix basse dans le transport public, dans le confort du salon ou sur une scène bien éclairée, micro au bec.

J’ai pris l’habitude de lire lentement la poésie pour en extraire la pensée du poète. Je ne peux qu’espérer que ces deux recueils seront montés sur scène en France et ailleurs pour le bonheur des lecteurs et des auditeurs. À découvrir et à suivre.

Extraits de Maison, poésies domestiques :

« Tu me dis que tu aimes bien la poésie,
En particulier ces courts poèmes japonais
Les sudokus. »

« Tu t’es permis
de m’emprunter mon Bukowski
pour le lire aux toilettes.
Le glamour des premiers jours s’en est allé
comme des chevaux sauvages dans les collines. »

« Elle me dit
de lâcher prise.
Périlleux
quand on habite au huitième. »

Extraits de Faut bien manger :

« Le metteur
en scène
me dit
d’arrêter
de me cacher
derrière
mon texte. »

« Je savais pas que t’écrivais.
Il m’arrive aussi de faire des pâtes.
C’est dingue.
À la sauce tomate.
Et t’arrives à en vivre ?
Seulement si la cuisson ne dépasse pas neuf minutes.
Ça alors. Moi, j’écrivais à la fac, je n’arrêtais pas. Mais après, tu sais comment c’est, l’orientation tout ça. C’est génial de pouvoir vivre de sa passion.
Faut bien manger. »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits du poète,
    Denis Morin, 2019





dimanche 11 août 2019

Xavier Dolan l'indomptable de Laurent Beurdeley


Laurent Beurdeley est maître de conférences à l’Université de Reims. Il s’est intéressé au cinéaste québécois Xavier Dolan au point d’en écrire un livre à mi-chemin entre biographie et essai intitulé Xavier Dolan l’indomptable en 2019 aux Éditions du CRAM.

On sent la fascination de l’auteur pour son sujet d’étude. Toutefois, cela ne tourne pas à la vénération aveugle. On nous décrit la personnalité complexe de ce jeune cinéaste talentueux qui ne laisse personne indifférent. 

L’auteur nous renvoie en maintes notes de bas de page pour situer les déclarations et commentaires du cinéaste, des acteurs et de ses détracteurs, le tout est complété par les sources complètes consultées. De plus, une attention fut accordée aux acteurs ayant travaillé pour Dolan, de même qu'à des réalisateurs contemporains.

Avec cet ouvrage, l’ennui n’est pas au rendez-vous. On comprend mieux le modus operandi créatif de Xavier Dolan.  Cet artiste mérite notre attention. Je vous recommande fortement la lecture de ce livre.

© Photo, texte du billet,
    Denis Morin, 2019

samedi 3 août 2019

Chauffer le dehors de Marie-Andrée Gill




En littérature québécoise et dans les arts, la question autochtone a trop longtemps été occultée, balayée sous le tapis tressé au salon, car trop enclins étions-nous à ne vénérer que les lettres françaises.

Félix Leclerc et Gilles Vigneault y ont fait allusion. Je me souviens d’avoir lu il y a une trentaine d’années Agaguk et Ashini de l’écrivain Yves Thériault (1915-1983, métis de descendance montagnaise). Plus près de nous, l’écrivain et comédien Robert Lalonde (métis de descendance iroquoise) présente des personnages blancs, métis, amérindiens dans son corpus littéraire.

Ces dernières années, au Québec de talentueuses poètes de la nation montagnaise prennent fièrement leur place : Joséphine Bacon (aussi traductrice et enseignante de l’innu), Natasha Kanape Fontaine (universitaire et comédienne), Marie-Andrée Gill.

Cette dernière a publié en 2019 chez La Peuplade le recueil de poésie Chauffer le dehors. L’écriture est vive, allumée, scintillante comme des fragments de mica sur le bord d’une rivière en juillet. Ce recueil se divise en quatre segments : Comme si de rien n’était, Le solfège des tempêtes, L’émeute est par en dedans, Le futur hausse les épaules. Une jeune femme évolue dans son quotidien avec son questionnement sur la vie et l’amour, entre éléments de modernité et de vie ancestrale, avec ses coups de blues et sa contemplation du territoire. Magnifique !

Extraits :

« L’amour c’est une forêt vierge
pis une coupe à blanc
dans la même phrase. »

« Je pleume les oies pour souper, comme je voudrais le faire pour toi mais à l’envers : te greffer des ailes qui marchent et des cris plein la gorge, que tu puisses voir les fleurs sauvages de mon cœur cru, la médecine millénaire qui nous enveloppe. »

« Si vous me cherchez, je suis chez nous,
ou quelque part sur Nitassinan (notre territoire),
toutes mes portes et mes fenêtres sont ouvertes
je chauffe le dehors. »

« Je laisse le territoire m’éparpiller comme les oiseaux migrateurs savent pas se perdre. »

© Photo, billet,
    sauf les extraits de la poète,
    Denis Morin, 2019