vendredi 31 décembre 2021

Entretien avec Mickaël Carlier

 

Mickaël Carlier entre en 2021 chez Annika Parance Éditeur avec son roman Arides qui cogne dur. Je l’ai croisé en novembre lors du lancement de son livre. J’ai cru bon l’interroger sur ses motivations et vous le présenter. Vous risquez d’entendre parler à nouveau de lui. Merci d’avoir pris le temps d’échanger avec moi. Bonne découverte.

Vous êtes un artiste dans l’âme. Qu’est-ce qui est venu vers vous en premier ? L’écriture, la photographie, le théâtre ?

L’écriture et la photographie sont arrivées plus ou moins au même moment dans ma vie, à l’adolescence. Je griffonnais des paroles de chansons et des débuts d’histoires, et je prenais mes premières photos en noir et blanc, avec le vieil appareil de mon père. Si la qualité de tout cela était alors très relative, l’envie, elle, était bien déjà là : observer et créer. Cette envie ne m’a jamais quitté, mais j’y ai longtemps accordé qu'une attention épisodique. Jusqu’à ce que je me mette sérieusement à l’écriture d’Arides. Cela a été un marathon qui s’est étalé sur près de dix ans, mais je ne lâchais pas mon but : aller au bout de ce manuscrit et tout faire pour être publié.

Quant au théâtre, j’ai pris mes premiers cours vers 18 ans. Ma motivation à l’époque était de vaincre ma timidité! Je voulais oser me tenir debout face aux autres, parler devant eux, sortir de moi-même : la scène et le jeu ont donc d’abord été des outils d’émancipation. Ce n’est que par la suite que j’ai aimé le théâtre pour son territoire artistique. Et c’est en rejoignant il y a huit ans le Théâtre Libre, une troupe incroyable qui existe depuis plus de vingt ans et dans laquelle chacun peut écrire, jouer ou mettre en scène de courtes pièces, que j’ai développé ce goût : j’y ai joué, j’y ai écrit, j’y ai mis en scène, mes textes ou ceux des autres. C’est aussi au sein de cette troupe que j’ai pour la première fois osé soumettre des textes, et que j’ai réalisé que l’écriture faisait vraiment partie de moi.

 


Qu’avez-vous écrit auparavant ? (matériel édité ou non)

J’ai écrit plusieurs courtes pièces dans le cadre du Théâtre Libre, pièces que l’on joue au Cabaret du Lion d’Or, à Montréal, chaque printemps. Ce sont des textes qui ont en commun d’explorer nos trajectoires de vie, la confusion entre ce que les cadres sociaux ou familiaux nous poussent à faire et ce que l’on veut vraiment faire - ou être - au fond de nous.

Depuis le début de la pandémie, j’ai aussi beaucoup écrit : de courts textes, des poèmes, des nouvelles que je publiais sur Facebook. Un de ces textes issu des confinements a d’ailleurs été retenu pour un ouvrage collectif qui sortira au printemps 2022 aux Éditions du Quartz. J’ai aussi cofondé avec des amis un collectif d’écriture, Mitimacha. Chaque semaine, depuis deux ans et demi, on se retrouve afin de se lire les textes que nous écrivons, nous les commentons, les explorons ensemble. Nous avons produit une dizaine d’épisodes d’un podcast dans lequel on lit certains de ces textes. L’espace bienveillant de création et de partage que nous avons créé est très puissant : il nous permet d’oser plonger dans nos zones d’ombres, dans nos intimités, dans toute la fragilité que peut exiger l’écriture.

Le ralentissement imposé par la pandémie m’a aussi permis de me remettre à la photo de rue : pendant un an, de juillet 2020 à juillet 2021, j’ai pris une photo par jour, principalement dans mon quartier, Rosemont. Cette démarche imposée a d’ailleurs fait germer l’idée d’une nouvelle histoire et servira de trame à un second roman que je suis en train d’écrire. 

Quelles furent les prémices d’Arides ?

Les premières scènes que j’ai écrites sont celles du début du livre : ce type colossal qui vient se perdre dans cette région désertique, à la recherche d’un village. Voilà ce qui est sorti, mais je n’avais aucune idée de qui était cet homme, ni ce qu’il cherchait. Les prémices ont été très longtemps inconscientes : il y avait une quête, une confrontation avec un territoire et des personnages hostiles. Il y avait la dureté. Les prémices étaient donc de l’ordre du ressenti, de l’élan, de la lutte personnelle. L’histoire elle-même, concrète, avec ses personnages, ses tenants et aboutissants, a mis longtemps à se préciser dans mon esprit. Et puis j’ai fini par comprendre que ce que j’écrivais était une histoire de famille et de legs. J’ai pu alors travailler sur la construction à proprement parler de cette histoire et de cette famille. Le conscient de l’écriture a pris le relais pour peaufiner ce que l’inconscient avait commencé à produire.

Dans ce roman, on est dans le midi de la France, tout comme on pourrait être en Italie ou dans le sud des États-Unis ? Comment avez-vous songé au village déserté ?

Il est important de préciser qu’il n’y a aucune indication dans le roman sur le lieu où se déroule l’histoire : le lecteur peut y voir le sud de la France, l’Italie ou la Grèce, l’Amérique profonde…, ce sera son interprétation ! Et c’est voulu : le personnage, Dan, se perd totalement, autant sur le plan géographique qu’émotionnel, je voulais plonger le lecteur dans cet état de confusion. C’est pourquoi le lieu est indéfini : je ne voulais pas que le lecteur puisse se raccrocher au moindre repère réel, à une région qu’il connait et qui aurait pu le «rassurer». Non, le gars est vraiment perdu, et le lecteur doit se laisser aller avec lui.

Quant au village abandonné, pour moi l’image est puissante : elle évoque tout ce qui est révolu, toutes ces vies qui ont existé et dont il ne reste à peu près rien. Ces maisons ont été les témoins de familles, d’amours, de naissances, de décès : ce quotidien a fini par disparaître, comme le nôtre disparaitra. Cela parle de toutes ces vies qui nous ont précédés et dont chacun de nous est issu. Ces lignées sans fin me fascinent. On sait si peu de choses sur ceux qui ont vécu avant nous. Le village abandonné, c’est le symbole de cette connaissance extrêmement ténue que la plupart de nous avons de nos familles et de nos aïeux.

Vous avez mis en place deux personnages qui déplacent de l’air, Dan et Élina, qui sont en quête de survie. Qu’en pensez-vous ?

Dan et Élina sont très différents : lui est un quinquagénaire rustre et bagarreur, elle une jeune femme éthérée aux airs de chamane - deux extrémités dont les trajectoires vont être amenées à se croiser. Tous deux cherchent effectivement à survivre face à une vie qui les a malmenés. C’est d’ailleurs le point commun de la plupart des personnages d’Arides : ils s’évertuent à exister, à être vus, entendus, pour ce qu’ils sont véritablement, quitte à se débattre. D’où cette violence quasi permanente, latente ou réelle : il leur faut rompre les liens, frapper avec rage, se venger des blessures du passé. Ce sont leurs façons, brutales, maladroites, de dire qu’ils existent. J’aime dire qu’Arides est un roman empli d’amour, et de manques d’amour. C’est ce qui anime les personnages - c’est aussi ce qui nous anime, chacun d’entre nous. Nos violences, petites ou grandes, nos duretés, nos fermetures face aux autres ne sont-elles pas issues de nos carences d’enfants ? Les personnages d’Arides ne disent finalement rien d’autre que « j’existe et j’ai besoin d’amour ».

Peut-on qualifier ce roman de plaidoyer pour la paternité ?

Non, ce n’est pas un plaidoyer mais plutôt un regard sur une forme, que j’aimerais croire d’une autre époque, de paternité : dure, silencieuse, autoritaire, coupée de ses émotions. Les pères d’Arides sont pris avec leurs douleurs, le poids de leur propre enfance. Ils ne parviennent pas à «corriger le tir» et lèguent leurs manques à leurs enfants. S’il devait être un plaidoyer, Arides en serait un pour une paternité émancipée du masculinisme rigide et froid dont ont été issus beaucoup des pères qui nous précèdent.

Quel personnage vous ressemble le plus ? Et pourquoi ?

Mes personnages sont composites, et j’y ai insufflé diverses parties de moi. Assurément, je suis un peu Dan, qui cherche à comprendre ses origines - pas tant biologiques, mais celles d’un comportement mortifère, ces silences qui sclérosent une famille et brident l’épanouissement. Je suis un peu Edouard qui tient tête à son père, jusqu’à prendre des décisions lourdes de conséquences. Je suis aussi un peu Hugues qui pose un regard doux et bienveillant sur sa fille en train de devenir femme. Tout au long d’Arides, je me retrouve à la fois dans le père et le fils, celui qui subit et celui qui cherche à écrire quelque chose de nouveau.

Publier un roman, est-ce un rêve d’adolescent ?

Oui, j’ai toujours écrit  (j’en ai fait ma carrière dans les médias) et depuis que je suis adolescent je rêve effectivement de publier un roman. Mais c’est un rêve que j’ai longtemps négligé, pris par d’autres «priorités» de la vie. Sans doute aussi ne le croyais-je pas atteignable, j’en avais peur. Et puis un jour, je me suis demandé ce que je voulais faire de la suite de ma vie, quelles étaient ces choses importantes que je voulais accomplir. Je me suis souvenu de ce rêve et j’ai constaté qu’il était intact en moi. Alors je m’y suis mis, j’ai commencé à écrire quelques lignes, quelques pages, de ce qui, des années plus tard, allait devenir Arides. J’osais regarder ce rêve en face, j’osais le considérer comme une chose essentielle, une part de mon identité que je ne pouvais plus nier ou laisser de côté.

Aujourd’hui, j’assume de donner toute la place que méritent mes rêves et je m’attelle à en concrétiser d’autres. Je suis dans l’écriture de mon second roman, et je compte ensuite travailler à l’écriture d’une adaptation d’Arides en scénario : je veux que ce livre devienne un jour un film! Je lance d’ailleurs un appel à celles et ceux - producteurs.trices, réalisateurs.trices, scénaristes… - dont c’est le métier et qui voudraient prendre part à ce rêve avec moi !

 

Voici le lien du podcast mentionné plus haut :

https://open.spotify.com/show/5YBnYFMASsEOYPqE0RKlgX?si=6e252ab7313f42d5&nd=1

 

© Entretien, photos, Denis Morin, Mickaël Carlier, 2021

 


mardi 28 décembre 2021

Arides de Mickaël Carlier

 

Mickaël Carlier, entrepreneur social et artiste multidisciplinaire, nous propose en 2021 son premier roman intitulé Arides chez Annika Parance Éditeur. Il frappe fort le mec avec ce titre. 

Commençons par le début. Dan, un homme blasé vivant en Ile de France, reçoit par la poste un recueil de poésie de son fils, Elias, qu’il a abandonné bébé. Pris d’une fureur et d’une culpabilité, Dan se met à tout caser, puis s’enfuit pour comprendre qui il est, le pourquoi de sa lâcheté. Il va questionner son père alité et mourant. Ce dernier avare de mots lui livre un seul indice : un village. Ainsi, la course effrénée de Dan le mène dans un bled perdu du midi de la France. En parallèle, une jeune femme terrée à quelques lieues d’un hameau jadis prospère appelle la pluie. Elle parle au soleil et aux rares nuages. Du pied, elle remue pierraille pour réveiller le souvenir des récoltes. On se méfie d’elle. Elle rêve des jours d’avant le malheur. Elle sait intuitivement qu’un étranger aux yeux verts viendra la sauver, tout comme ce village. Il y a aussi une Simone âgée, déterminée, mais flétrie et blessée par la vie.

Et si Dan par la quête de ses racines finissait par s’ancrer dans sa vie d’homme et de père ? Est-ce que Simone pourrait se venger de l’injustice subie autrefois ? Et si Elina sourcière et sorcière renouait le passé au présent ? Peut-on remonter aux jours heureux d’avant et faire renaître la vie de ces ruines et de ces terres arides ?

À la lecture du roman, j’ai pensé à Jean de Florette et à Manon des sources du diptyque L’eau des collines de Marcel Pagnol. J’ai adoré la recherche de Dan, la poésie d’Elias et les incantations d’Elina. J’ai compris l’amertume de Simone. Envoûtement littéraire assuré, vous dis-je !

Extraits :

« Finalement inventer une sorte de père. Non imaginaire.

Affronter cette enfance aujourd’hui devenue homme.

Un jour peut-être : apprivoiser ce cœur sec.

Légué comme une dette » (Elias)


« Séparées les unes des autres d’une dizaine de mètres, des amulettes étaient fixées à des piquets de bois plantés tout le long du fossé. (…) Elle chuchotait des mots inaudibles. Lorsqu’elle atteignait un piquet qui ne portait pas d’amulette, elle sortait de sa poche arrière quelques morceaux de bois et les assemblait avec soin. Elle portait alors l’objet à ses lèvres. » (Elina)


« Il avançait de cette démarche chaotique – un immense pantin prêt à se désarticuler –, il avançait avec en point de mire ce clocher. Les pieds traînant au sol, il marchait au milieu du village, à la recherche de la maison. » (Dan)

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de M. Carlier, Denis Morin, 2021


vendredi 24 décembre 2021

Femme forêt d'Anaïs Barbeau-Lavalette

 

Le hasard fait bien les choses. Le présent livre était mon prochain dans ma pile à lire. Or, il y a deux semaines, j'étais assis à un café à la Gare centrale de Montréal quand je l'ai aperçue. Elle portait du bagage. Je n'ai pas osé la saluer, mais je me suis dit que cela me confirmait mon avancée au large dans cette œuvre littéraire.

En 2015, l’écrivaine et réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette nous présentait sa grand-mère Suzanne Meloche, peintre et poète, dans La femme qui fuit. Elle récidive en 2021 pour notre plus grand bonheur chez Marchand de feuilles avec Femme forêt.

Elle met comme épigraphe une citation de Romain Gary : « Ne dis pas forcément les choses comme elles se sont passées, mais transforme-les en légendes. » Elle recrée le vécu des uns et des autres.

C’est un roman biographique où évoluent son clan et elle-même. Les enfants lancent des galets à la surface des eaux. On plonge parfois dans l’eau froide de la rivière. Le père des enfants et conjoint compose au piano. Elle se balade à l’orée de la forêt et récolte des plantes diverses que l’on suspend pour séchage avant d’en parfumer la nourriture. La famille se partage une maison bleue et une maison rouge. Elle reconstitue le passé des gens d’avant : les grands-parents, celui d’une ancienne propriétaire ou encore d’une femme dont la pierre tombale est trouvée sur le terrain. Perspicace et créative, tout est prétexte à réflexion, à émotion. Elle sème dans son texte des références à l’entomologie, à la botanique et à la philosophie. 

Ce livre est tout simplement une bouffée d’air frais et une douce chanson fredonnée pour les êtres aimés vivants et disparus. On entendra encore parler d’elle dans 30 ans.

Extraits :

« Je voudrais être le dehors, ne plus avoir de contours ni de frontières et n’être retenu nulle part. Les plafonds sont trop bas et les murs trop étroits. Je regarde toutes les vies que je laisse passer sans moi. Elles m’invitent, alors j’ouvre les fenêtres. »

« Je pose mon livre et j’ouvre la porte sur la prairie. La brume s’accroche au toit de la montagne, la saison des verges d’or s’amorce, prémices de l’automne. Ça sent le bois brûlé d’un feu qui s’amenuise au loin. Le soleil qui se lève tout juste réchauffe la terre, qui sue sa nuit. »


© Photo, texte du billet, sauf les extraits de l’écrivaine, Denis Morin, 2021

 


samedi 18 décembre 2021

Lettres en vie du Collectif soins palliatifs

 

Quand je vous dis que les livres nous cherchent et nous trouvent dans le parcours des jours et des nuits. Par le passé, j’ai eu deux tantes qui accompagnaient les patients, tout comme j’ai accompagné des proches vers l’au-delà.

Quand je vous dis que je suis tombé à la renverse, foudroyé par la grâce, en ouvrant la couverture de Lettres en vie du Collectif soins palliatifs de l’Hôpital de la Seyne sur Mer, publié en 2020 par les Éditions La Trace….

Imaginez une équipe soignante composée d’une médecin, de deux psychologues, de deux infirmières, d’une psychomotricienne qui sollicitent la présence de deux frères : Alain Cadéo l’écrivain, Michel Cadéo le peintre. Ces derniers sont allés pendant six ans à la rencontre de personnes vivant dans un service de soins palliatifs. Les résidents figés par la douleur s’ouvrent peu à peu, se révèlent, se mettent à rêver, s’épanouissent à l’approche des deux artistes qui, en écho, amorcent l’écriture de lettres et l’ébauche de portraits. Alain rédige ses mots à l’écran d’un ordi, tandis que Michel peint ses couleurs sur toile et trace ses lignes sur papier. Les deux frères si proches avancent dans ce projet en toute complémentarité. Les autres intervenants ajoutent leurs ressentis. La correspondance se partage avec les patients et entre les membres de l’équipe. 

Le résultat final donne un livre où le cœur et l’esprit se rejoignent, un souffle sur le miroir de toutes ces vies rencontrées. Je recommande ce livre aux aidant.e.s, aux étudiant.e.s de médecine, en soins infirmiers, en psychologie. Cet ouvrage collectif est un juste rappel que le regard est une porte ouverte et que l’écoute rend toute sa dignité à l’autre.

Les droits d'auteurs du livre seront intégralement reversés à L'APSP PACA (Association Pour les Soins Palliatifs) qui est à l'initiative de ce projet.

Extraits :

« Ce qu’il importe de réapprendre et de voir autrement après des siècles esthétisants, c’est la puissante beauté de l’Humain dans tout son corps, y compris, par extension, celui de souffrance. »

« Dans les acacias, les tilleuls, les marronniers en fleurs, tout bourdonnants de vie, il y a aussi le grand parfum des choses qui respirent. Souvent, au milieu de ce petit monde clos, monte le rire de Rose qui est plus fort que le malheur. »

« Pourtant, sachez-le, la densité de votre vie est intacte. Nous la percevons, y compris dans vos silences. Nous aimons ce que vous êtes, qui vous avez été, ce que vous deviendrez. C’est un tout que nous reconnaissons, du verbe ‘’reconnaître’’, qui veut sans doute dire : naître avec, à nouveau. » 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de A. Cadéo, Denis Morin, 2021


dimanche 12 décembre 2021

Sous la neige de décembre de Martine Labonté-Chartrand

 

Martine Labonté-Chartrand est de jour enseignante à Gatineau et revêt la cape de l’écrivaine le soir. Ses livres concernent autant les grands que les petits. Cette fois-ci, elle propose en 2021 aux Éditions Goélette un roman intitulé Sous la neige de décembre.

Sophie, une autrice montréalaise trentenaire reçoit une invitation de sa grand-tante Maggie âgée à venir lui tenir compagnie à Fair Haven au Vermont, surtout en ce temps des Fêtes. Cette période s’avère pénible pour la première et source de nostalgie pour la deuxième. Entre le roman à terminer et les confidences de la parente, Sophie fait la connaissance de Milo, l’homme à tout faire et ébéniste, et de sa fille Lydia. La gamine, orpheline de mère, s’attache vite à Sophie.

Est-ce que Maggie réussira à réunir ces vies déchirées par les drames ? Noël redeviendra-t-elle une fête magique ? Le piano trônant majestueusement au salon restera-t-il à jamais dans le silence ? Les réponses, vous les aurez en lisant ce doux roman pour les 15 à 99 ans. Laissons-nous porter par la douceur, les cantiques et les retrouvailles.

Extrait :

« Je m’éloigne de ma fenêtre lorsqu’il se lève et, à travers le voile transparent, je le vois qui regarde la maison, ma chambre. Pendant quelques secondes, nous restons là à nous fixer sans qu’il en ait conscience. Puis, il tourne les talons, éteint sa lumière. »

© Photo, texte, sauf l’extrait de Martine Labonté-Chartrand, Denis Morin, 2021

 


mercredi 8 décembre 2021

Journal d'un bibliothécaire de survie de Charles Sagalane

 

Le poète s’inscrit dans le paysage. Sa bibliothèque de survie est trace sur la neige, hululement de la chouette, regard du lynx, lenteur du béluga pourfendant les eaux de l’estuaire. 

Quand le livre choisit son auteur et son lecteur ? Nous avons en commun des ancêtres blancs et autochtones, lui, innus, moi, malécites et une fascination pour le Japon. Lui, à cause du poète japonais Matsuo Bashō, ayant vécu au 17e siècle, et moi, à cause de deux grand-tantes et d’une tante, toutes missionnaires au Japon. À chacun sa mythologie et ses sujets de fascination.

Assez causé du blogueur. Revenons à Charles Sagalane, ce beau poète complètement fou qui a fait publier en 2021 chez La Peuplade, ce récit intitulé Journal d’un bibliothécaire de survie. Il est le coureur des bois de la poésie québécoise. À d’autres siècles, on plantait des croix pour le roi de France de François 1er à Louis XIV, notre artiste plante sur des îles, à l’orée de boisés des bibliothèques de survie qui correspondent en des boîtes de bois vitrées contenant des livres ensachés. Il est prévisible que la vie du livre sera affectée favorablement ou non par le lectorat et les aléas climatiques. Certains écrits sont capteurs d’humidité et d’autres de rêves. Certains visiteurs écrivent leurs commentaires spontanés à la suite de la découverte d’un titre. 

Charles Sagalane raconte son itinéraire de 2013 à 2020 à titre de diffuseur sur un territoire aussi vaste qui va des Maritimes à Winnipeg, puis du Québec vers le Mississipi, ce qui correspond somme toute aux territoires de la Nouvelle-France naguère. Il y rencontre des écrivains qui se font à leur tour bibliothécaires de survie et des arbres, des rochers, des forêts, des lacs, des îles, où il parsème la littérature ce Petit Poucet des lettres. Les segments de son fascinant récit se dégustent et les truffes sont des haïkus de son cru.

Je referme le livre charmé de m’être baladé dans l’imagin-air-e de cet érudit nomade.

Extraits  

« Tant pis su je me laisse encore attraper par l’un de ces esprits flottants. Il fera de notre vie un jeu insensé, inédit au point qu’il faudra des années pour le relater. Un jour, c’est promis, nous irons à Motosu, méditer sous un cerisier qui porte le nom d’Usuzumi Zakura. Tu verras que ses mille cinq cents ans ne l’empêchent pas de fleurir. »

« Chaloupe d’enfance

le dos d’une ouananiche

scintille au soleil »


© Photo, texte du billet, sauf les extraits de C. Sagalane, Denis Morin, 2021

 

 


jeudi 2 décembre 2021

Entretien avec Baptiste Thery-Guilbert

 

Baptiste Thery-Guilbert est un jeune écrivain qui semble surgi de nulle part, mais l’écriture le hantait depuis l’aube de l’adolescence. J’ai voulu m’entretenir avec cet auteur qui vient de recevoir le Prix du roman gay 2021, catégorie roman court, avec Pas dire paru en 2021 chez Annika Parance Éditeur à Montréal. En le lisant, j’ai pensé inévitablement à Hervé Guibert et à Yves Navarre. (Je suis le seul membre québécois à ce jour de l’Association des Amis d’Yves Navarre. Il y a une parenté entre Guibert, Navarre et vous, comme entre deux cousins et un oncle.)

Bonjour Baptiste, vous sentez-vous un héritier de Guibert et de Navarre ?

Revendiquer un héritage serait peut-être un peu lourd à porter, mais il est indéniable que ces deux auteurs m’ont fortement influencé. Ce sont deux personnes qui ont été malades du sida au début de l’épidémie en Europe et qui ont écrit sur leurs vécus très tôt. Ils ont été les premiers à porter ce projet littéraire : faire de la maladie (celle que l’État et les groupes pharmaceutiques ont ignorée volontairement) un objet politique et artistique, montrer, se montrer. Je ne pouvais pas écrire un livre sur cette période sans passer par eux. Au-delà de simples références livresques, de simples livres, ce sont leurs histoires et leurs réalités qui m’inspirent, qui me soutiennent quand je suis en recherche de repères. Ce ne sont pas les seuls, mais il est certain que ces deux auteurs comptent beaucoup.

Que lisiez-vous à l’adolescence ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je lisais très peu à l’adolescence — en revanche j’écrivais, beaucoup. J’ai commencé à lire juste avant mon passage à l’âge adulte, à la fin du lycée. Fou de Vincent d’Hervé Guibert a été un des premiers livres que j’ai lu, avec Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon. Je garde aussi un bon souvenir de La meilleure part des hommes de Tristan Garcia, mais je ne vais pas faire ici un inventaire de tous ces livres pourtant si importants…

Jeune homme gay en recherches de repères et de réponses, tous ces livres ont été comme des phares dans un quotidien marqué par l’homophobie et un fort sentiment de solitude. Entendons-nous bien : j'étais entouré par ma famille et mes amis, mais j’étais seul par ma condition, j’avais l’impression d’être le seul homosexuel de ma ville. Dans ces situations-là les livres sont des compagnons de route.

Il est des phares qui sont plus lumineux que d’autres, il est des phares plus beaux, aussi. Une lecture qui m’a sauvée la vie c’est Réflexions sur la question gay de Didier Eribon, pour sûr. Les romans-poèmes de Mathieu Riboulet également, et à moindre mesure certains romans de Philippe Besson. En grandissant je me suis ouvert à d’autres littératures, « homosexuelles » ou non ; si je devais développer un peu cette liste, je parlerais de Jean Cocteau et de Jean Genet, des fabuleux romans de Jean-Baptiste Del Amo, de Patrick Modiano, de Pierre Herbart et ceux d’Abdellah Taïa. James Baldwin est un écrivain qu’il est nécessaire d’évoquer ici, également. 

 


Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture de ce roman ?

Au commencement d’un roman il y a une crise, je pense que tout écrivain connaît ça. S’en suit une créativité de la crise, pour reprendre le titre d’un essai brillant d’Evelyne Grossman.

La littérature liée à l’épidémie de sida prend une part importante de la « littérature LGBT+ », et ce n’est pas pour rien non plus — c’est pourquoi elle fait partie intégrante de notre histoire et de notre culture. Il y a ce besoin viscéral de dire, et c’est dans ces moments-là que l’écriture se déclenche.

Crises collectives… et crises individuelles. Pour ma part, n’ayant pas vécu cette période autrement que par procuration (je suis bien trop jeune pour ça), c’est une histoire amoureuse à la complexité terrifiante qui a entrainé le mouvement vers l’écriture. Il s’agissait alors de la comprendre, d’abord, puis de la dire, concrètement, dire et écrire les choses passées sous silence — et, par la même occasion, reprendre le dessus sur cette histoire pour en réduire les dommages. Je ne pense pas que l’écriture doive servir à se consoler, mais dans le cas d’une histoire comme celle-ci (que vivent fréquemment de jeunes LGBT+ en relation avec d’autres personnes qui refoulent leurs désirs), l’écriture, au-delà de la consolation personnelle, est un outil d’émancipation et d’empouvoirement.

Je suis fasciné par le fait que vous avez écrit sur une période précédant votre naissance et c’est fabuleux. L’époque est bien rendue. Est-ce que la recherche fut faite dans les archives ou auprès de proches ?

On parlait juste avant de ce qui a déclenché l’écriture de ce roman. Les histoires que me racontait ma mère quand j’étais jeune ont été une source d’inspiration ; les raconter à mon tour en me les réappropriant a été ensuite une nécessité. Elle avait vécu cette période, personnellement. Elle avait perdu des amis, des proches, de la famille. Quand j’y pense, je me dis que j’ai baigné là-dedans depuis l’enfance. Bien sûr, des recherches ont été nécessaires (feuilleter des journaux de l’époque aux archives, interroger des contemporains de cette période, lire des livres et voir des films sortis ces années-là, relire Guibert, encore et encore, surtout son Journal qui est une source inépuisable d’anecdotes personnelles et historiques…). Ma mère est restée malgré tout mon interlocutrice privilégiée.

Est-ce que Pas dire comme titre va dans le sens ‘’Don’t ask, don’t tell’’ si présent dans l’armée ou bien dans les sports considérés très virils comme le football américain, le rugby, le hockey ? Ou est-ce justement l’affirmation de sa différence ?

Bien sûr le poids des injonctions joue pour beaucoup, qu’elles soient implicites ou explicites. Pas dire c’est : non, ton désir n’a pas sa place ici. Pas dire c’est : non, il ne faut pas déranger l’ordre établi. Pas dire c’est : non, il ne faut pas affirmer ta soi-disant différence. Quelle est la valeur d’une différence imposée par l’autre ?

Il est « amusant » de constater que l’omerta est d’autant plus présente dans les milieux virils, patriarcaux et/ou masculinistes, comme si remettre en question ces modèles serait forcément remettre en question les fondements de ces institutions (sportives, religieuses, militaires…). On sait aujourd’hui les conséquences qu’ont ces modèles et les comportements qui en découlent sur les individus, bourreaux comme victimes.

 Se cacher est une tactique qui s’imposent aux personnes LGBT+ malgré elles. Bien entendu, je pense qu’il est grand temps d’en finir et de faire en sorte que vivre dans le secret ne soit plus une nécessité de survie. Il reste encore de nombreux milieux et de nombreux pays où ces modèles mortifères demeurent, il reste du travail !

Au moment de l’écriture de Pas dire, aviez-vous conscience que l’histoire de cet amour à l’ère du Sida pourrait se lire de la mort de l’un à la rencontre ou dans le sens contraire ?

J’ai inversé la chronologie du roman au dernier moment. J’avais peur que la référence à Guibert (Fou de Vincent utilise le même procédé) soit trop évidente, et puis j’ai finalement décidé de l’assumer complètement. J’aime particulièrement l’expérience de lecture que provoque le renversement de la chronologie. J’ai personnellement des difficultés à raconter des histoires que j’ai vécues lorsqu’elles sont longues, mes souvenirs récents effacent toujours les précédents. Raconter quelque chose du début vers la fin n’a jamais été une évidence pour moi. Comment ça a commencé ? Je ne sais pas. Mais je sais comment ça a fini. C’est toujours ce qu’on retient, la fin. Partant de ce constat, commencer par la fin est devenu comme une évidence à laquelle je ne pouvais plus échapper.

Pourquoi avoir publié au Québec avant la France ? Il vous semble que vous aurez un ouvrage à paraître en 2022, mais cette fois-ci en France. Pouvez-vous nous en parler ?

Comme souvent, c’est une histoire de rencontre(s) littéraire(s). J’ai découvert la maison d’édition Annika Parance avec deux de ses auteurs, Mario Cyr et Juan Joseph Ollu. J’ai envoyé mon manuscrit sachant qu’elle publiait des romans sur le désir masculin, des récits fragmentés… mais surtout, c’est la collection Sauvage qui m’a attirée : la concision et le dépouillement des textes publiés dans la collection, et le fait que la première de couverture soit placée de l’autre côté de l’objet-livre. C’était parfait pour mon texte qui se lit de la fin vers le début ! Comme si la collection était faite sur mesure. En envoyant le manuscrit, jamais je n’aurais pensé voir mon nom apparaître sur l’un des livres de la collection, alors quelques semaines après l’envoi quand j’ai reçu un mail d’Annika Parance disant que mon texte l’avait touchée, j’étais extasié ! Quelques mois plus tard, je voyais mon livre imprimé et diffusé, c’était irréel. Ça l’est toujours.

En tant qu’auteur résident en France j’ai voulu travailler avec une maison d’édition française pour mon texte suivant. C’est un roman qui s’inscrit dans la ville où j’ai grandi, Marseille, et qui poursuit des thématiques qui me sont chères — dont certaines déjà abordées dans Pas dire —, une relation qui s’installe dans les non-dits, le poids de la norme et son expérience pour une jeune personne considérée différente, assignée à cette étrangeté, un passage à l’âge adulte relativement violent…

Quelles émotions ressent-on à recevoir un tel prix si jeune ?

Une joie immense, bien sûr, mais surtout un sentiment de reconnaissance. Être publié si tôt et recevoir un prix pour son premier roman, ça me redonne confiance pour mon travail d’écriture, ça m’incite à continuer encore et encore. Ce prix-là était très important pour moi quand j’étais plus jeune. J’allais sur le site du prix du roman gay et je regardais les lauréats, tous les ans, pour ensuite aller en acheter quelques-uns en librairie. Gérard Goyet fait un merveilleux travail depuis la création de ce prix.

J’aimerais dire à l’adolescent que j’étais : ça va aller mieux ensuite… la preuve !

Vous projetez-vous dans l’avenir ou pas ?

Juste assez, pas trop pour ne pas sombrer dans l’angoisse. Quand je me projette sur le long terme il me vient un vertige que je peine à contrôler. Je sais ce que je dois faire demain, la semaine prochaine et le mois d’après. Dans un an ? Je ne sais pas, je ne peux pas. Je sais que je vais continuer à écrire parce que c’est ce que je sais faire de mieux, c’est ce qui maintient la tête hors de l’eau, c’est ce qui m’a procuré le plus de joie ces dernières années. « Écrire pour ne pas mourir », comme le chante Anne Sylvestre.

Seriez-vous tenté de vous lancer dans l’écriture d’une histoire à la Madame Bovary ?

Je dois l’avouer, je n’ai jamais été attiré par ce type de romans. Je m’explique : le roman français tel qu’on l’étudie à l’école m’a souvent profondément ennuyé. Je sais que ça va à l’encontre de ce qu’on peut entendre habituellement, d’autant plus quand on se revendique écrivain, mais je l’assume. Je pense qu’il y a une beauté et une utilité dans la manière dont les écrivains contemporains se libèrent des conventions littéraires pour créer quelque chose de radical, précurseur et révolutionnaire. À quoi bon des phrases sans conséquences et sans émotion ? S’il faut écrire, c’est pour provoquer quelque chose, sinon je n’en vois pas l’intérêt.

Bien sûr que tous les livres écrits avant nous font partie de notre histoire, de notre patrimoine littéraire — sans Guibert, je n’aurais pas écrit ce livre ; sans Thomas Bernhardt et Fritz Zorn, peut-être que Guibert n’aurait pas écrit À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie ; sans Kafka et Dostoïevski, Thomas Bernhardt n’aurait peut-être pas écrit ses textes ; etc. Mais c’est omettre que la littérature qui reste s’est toujours faite à la marge, en opposition au courant littéraire précédent ; même si, tout comme l’histoire, la littérature qu’on étudie est celle des vainqueurs (ce n’est pas sans raison que ces dernières années des universitaires des éditeurs et des lecteurs déterrent tous ces écrivains oubliés par le passage du temps ou par une absence volontaire d’intérêt à leur encontre ; à chaque fois c’est une histoire qu’ils déterrent, une parole, et bien sûr je trouve ça très important).

Est-ce que les amours (im)possibles seront toujours à la mode ?

Quand je lis des livres comme De sel et de fumée d’Agathe Saint-Maur, M.M.M.M de J-P Toussaint… je me dis que Roméo et Juliette n’est jamais loin. Je ne pense pas que les amours impossibles soient un effet de mode, en atteste notre patrimoine littéraire. Je pense néanmoins qu’il faut politiser cette question quand c’est approprié et se demander : pourquoi cet amour-là est impossible ? au-delà des raisons personnelles. Quels sont les facteurs externes qui mettent en péril cette relation ? L’homophobie intériorisée conditionne nombre de nos relations amoureuses. La violence du quotidien qui impacte notre état mental à la longue, quand on essuie l’insulte, quand on entend des horreurs à notre encontre, aussi. Écrire me permet en partie de répondre à ces questions-là qui m’obsèdent. Il faut toujours se demander : pourquoi ? est-ce ainsi que se passent les choses ?

Décrivez-vous en cinq mots ?

J’ai demandé à une amie proche de répondre à cette question pour moi et voici ce qu’elle a répondu : extrême, papillon (effectivement, je papillonne), empathique, sensible, et obsessionnel. Et pour ma part je rajouterai : pédé. C’est inévitable, c’est mon étiquette, et je la revendique.


© Photos, Lou Dupont, Baptiste Thery-Guilbert; entretien, Denis Morin, Baptiste Thery-Guilbert, 2021