dimanche 26 juillet 2020

Sanction de Ferdinand Von Schirach


Ferdinand Von Schirach est un écrivain allemand qui s’intéresse à la justice et aux meurtres. Je suis tombé en librairie sur Sanction, un recueil de nouvelles publié pour l’édition française en 2018 chez Gallimard.

De prime abord, j’ai trouvé le style précis mais terne comme un jour de pluie, puis peu à peu je me suis abandonné à ces histoires où tout devrait bien aller, mais où rien ne va… quand une jurée voulant se désister fait gagner un procès pour des crimes sordides, qu’un vieil homme tranquille se fait harceler par des écoliers ou qu’un collier de perle laisser intentionnellement au sol vous fait tomber avant de vous rendre paralysé pour le reste de vos jours.

Ce recueil est construit selon une gradation dans l’intensité. Ici quelqu’un ne chute pas d’un balcon par accident. L’auteur nous livre les tenants et les aboutissants. On glisse alors pourquoi certains personnages disparaissent, comme par exemple, à la suite de la visite d’un voisin devenu fou par la solitude.

Je recommande la lecture de ce recueil de nouvelles à la croisée de littérature psychologique et du roman noir.

Extrait : « Quelques mois après cette journée en Normandie, j’ai commencé à écrire. C’est devenu trop pour moi. La plupart des gens ignorent tout de la mort violente, ils ne savent pas à quoi elle ressemble, l’odeur qu’elle a et le vide qu’elle laisse derrière elle. J’ai pensé à ceux que j’avais défendus, à leur solitude, leur étrangeté et leur effroi face à eux-mêmes… »

© Photo, billet, sauf l’extrait de F. Von Schirach, Denis Morin, 2020 


dimanche 19 juillet 2020

Star Miaou de Josée Paquet




Josée Paquet est rédactrice au quotidien. Mère de trois enfants (deux fils adultes et un fils pré-adolescent), ce fut tout naturellement qu’elle s’est intéressée à la pédagogie et à la littérature-jeunesse.

Dans Star Miaou, l’autrice n’invente pas la roue avec cet épisode 4.1 paru en 2020 au Québec chez Victor et Anaïs, mais nous fait sourire avec les personnages de Star Wars qu’elle a transposés dans le monde félin. Ainsi, nous verrons évoluer entre autres Luke Catwalker, Chabi-Wan Catobi et Cat Vador, sans oublier que l’Étoile Noire prend l’allure de La Méga Boule De Laine Noire ! Très bonne trouvaille. Cette adaptation m’a bien fait rigoler. Les dessins sont amusants et beaux. Je recommanderais cette lecture à des gamins de 9 à 11 ans avant de leur faire découvrir les différents opus cinématographiques Star Wars.

L’autrice a l’intention de puiser aussi dans la saga Star Wars pour les épisodes 4.2 et 4.3. Ça promet.

Si j’étais l’éditeur, je lancerais le défi à Josée Paquet de se lancer sans filet avec ces personnages pour les amener vers d’autres aventures.

À suivre.

© Photo, billet, Denis Morin, 2020



jeudi 16 juillet 2020

Entretien avec Charles Sagalane


Charles Sagalane est un poète jeannois que j’ai eu le plaisir de découvrir lors d’un Dimanche en poésie, événement culturel organisé à Saint-Eustache en février 2020 par l’association Toulèsarts. Par la suite, j’ai lu les recueils de poésie de cet auteur fort original, érudit et enjoué. Notre entretien virtuel s’est fait par le biais du courriel. Les photos furent prises par moi, lors du passage du poète dans le Vieux-Saint-Eustache. Bonne découverte.

La poésie, est-ce elle qui vous a choisi ?

La poésie me choisit à sa façon, librement, loin des écoles et des règles, loin du poème même.  Un thème m’environne – la saveur, le costume, les objets... – et je vais à sa rencontre. Chaque réalité possède sa part chantante. Je ne crois pas dans les genres. Le Clézio écrivait déjà dans L’extase matérielle : « Évidemment les genres littéraires existent, mais ils n’ont aucune importance. » Dans mon approche du texte, j’expérimente plutôt les régimes d’écriture, les tonalités et les lexiques. Je puise dans les pratiques – artistiques et autres – et je varie les postures de création. Au cœur de ce laboratoire de lettres, je ne recherche pas à tout prix la distillation élevée que l’on reconnaît à la poésie – qu’on songe à la métrique à la Dante ou de Mallarmé, aux images de Miron ou d’Anne Hébert. J’aime demeurer hybride. Je me passerais volontiers d’une étiquette de genre. C’est un impératif commercial et institutionnel avec lequel je compose.

Pourquoi ce genre littéraire plutôt qu’un autre ?

Pourquoi ce que j’écris a-t-il une teneur lyrique assez marquée ? À cause de l’humain derrière la plume, sans doute. Comme je ne crois pas aux genres, je pose ma réflexion en amont. J’écris – c’est beaucoup moins extensif que créer. Comment écrire plus largement, plus entièrement ? Je fais de la littérature – c’est déjà un territoire qui contraint. Comment élargir cette pratique qui consiste à jouer de la lettre, de la page, du sens et du livre ? Vers où pousser la limite du langage, de l’affichage, de l’édition, de la graphie ? Quand Thoreau explore les méandres de son esprit botanique, philosophique et lyrique dans Walden, il déborde les genres et les disciplines. C’est ce que je demande à ma pratique. Sans perdre de vue qu’il s’agit de toucher un lectorat, de le sentir proche et complice. Je suis un enthousiaste, un rêveur, un butineur. J’aime avant tout la brièveté. Comme j’aimais les blocs Lego : parce qu’ils construisent des mondes variables. Toutes les formes brèves m’attirent : le pantoun et le haïku, le sonnet et le rondeau ; mais aussi le caractère à la manière de La Bruyère, la nouvelle (bijou mésestimé de notre tradition occidentale), le microrécit qu’explore Régis Jauffret... Ainsi votre question devient : qu’est-ce qui motive la forme de mes écrits? Disons que je chemine avec un tempérament de poète, mais que je me sens écrivain. La poésie est un carrefour où me ramènent mes écrits – de narration, de dialogue, de réflexion. Et la littérature est le pays d’origine auquel je reviens avec toutes mes échappées – performance, Land-Art, installations, interventions et arts de lettres.

Votre poésie est multisectorielle. Elle touche l’histoire de l’art, les archives familiales, les jeux. Que dites-vous pour votre défense ?

Je plaide coupable. Aucune circonstance atténuante, si ce ne sont les limites de ma constitution, le poids de mon hérédité et la force de mon conditionnement. Vous avez trouvé le motif que nous cherchions tout à l’heure et qui me pousse à écrire : partir d’une archive personnelle, jouer à la faire parler en regard de ce l’Histoire de l’art peut m’inspirer.

Dans vos recueils, il y a le concept du Musée Moi qui revient. A-t-on droit ici au conservateur des objets ?

Il y a tellement d’employés dans ce bazar-là ! Et c’est moi qui dois tenir tous les rôles. Concierge, homme à tout faire, responsable des services administratifs, directeur du financement, responsable des communications, concepteur et rédacteur, bibliothécaire de survie en chef… Conservateur des objets me plait bien. Réparateur aussi. Pas jeteur, en tout cas.

On en revient au jeu et à la pédagogie. Pouvez-vous nous parler du concept de bibliothèque de survie ?

Je termine un manuscrit de 80 000 mots pour répondre à une telle question… Disons que c’est une folle entreprise. J’ai eu l’idée que ce sont les livres qui nous sauvent et que j’allais faire vivre une bibliothèque sauvage sur les îles de mon village. Pendant huit ans, j’ai pris soin des lieux et retracé les interactions avec les visiteurs-lecteurs. J’ai poursuivi mon irrésistible inspiration jusqu’à placer des bibliothèques dans les communautés francophones de la Cap Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, jusqu’à La Fourche, au Manitoba. Des écrivains ont été mes bibliothécaires de survie et m’ont guidé dans des paysages littéraires incroyables. Tout ce temps, j’ai tenu un journal de l’aventure, cueilli des haïkus et marié des îles. Les gens auront un aperçu de mes péripéties sur mon site d’auteur : http://www.sagalane.com/livres/17-biblio.

Ne trouvez-vous pas que les bibliothèques de survie rejoignent en quelque sorte les caches de nourriture chez les Autochtones, en particulier chez les Inuits avec les inukshuk (servant de cache et de repère visuel) ?

Tout à fait. Notre appartenance au territoire nécessite ce jeu de cachette pour qui veut survivre de manière traditionnelle. Moi je cache des livres, parce que je veux survivre à l’ennui. La culture est ma bouée. Et j’apprécie énormément ce que la nature cache : des petits atocas, des pins pour protéger du soleil, du granit pour résister à la vague, des panoramas splendides… Le géocaching a eu sa part dans la mise en branle du projet. L’idée de trouver un trésor – recueil de poésie, récit, album pour enfant – redonne au lecteur une pulsion cachée. Et la beauté du territoire se charge du décor de lecture. La réalisation de ma bibliothèque a été profondément ancrée dans le cycle des saisons, autre particularité des cultures autochtones. La vie des livres ne doit pas se couper du dehors.

Les enfants vous perçoivent-ils comme les grands ?

C’est une magnifique question, parce qu’elle vient du cœur. Une question d’enfant, directe et fulgurante. Les enfants vont vite à l’essentiel dans ma démarche. Ils jettent par-dessus bord la raison et le calcul, ils font confiance à leur fantaisie, gonflent les voiles de leurs élans joueurs et de leurs rêves possibles – et nous partons à l’aventure. Ils me voient pour l’excentrique libre et heureux que je me plais à être.

Avez-vous déjà songé à écrire de la littérature jeunesse et au conte (qui rejoint la poésie) ?

Les enfants me le demandent souvent, ils me suggèrent des idées et des titres. Ils ont raison. Mais je n’écris pas plus par âge que par genre… (Nous retombons dans la première question.) J’ai tout de même un curieux projet de fables, ciblant jeunes et moins jeunes. J’aurais peut-être besoin de quelques clones au Musée Moi pour réaliser tout ça ! Tout de même, mes projets scolaires me permettent d’exploiter l’univers merveilleux de l’enfance – un cirque littéraire, un Bazar des Objets Ultra-Merveilleux, une légende de plumes… Je crée beaucoup avec les enfants, et pas seulement pour eux.

Être poète en région, cela fait-il de vous un voyageur curieux d’explorer le monde ?

Vous me mettriez dans la jungle que je voudrais voir l’Arctique, dans les steppes que je rêverais de mégapoles…  Je suis un gourmet insatiable.

Y a-t-il un projet d’exploration littéraire dans l’air ?

Plusieurs. La publication de 17bibliothèque de survie est prévue en mars 2021. J’ai reçu une subvention de création pour me consacrer à l’écriture de 84promenade du statuaire, dialogue lyrique avec la statue de Polycarpe Moreau, en son cimetière d’Hébertville-la-Station. Et quelques projets mijotent – sur les jardins, les temples, la science, les sports… Pas de quoi m’ennuyer donc, la survie est belle.



© Entretien et photos, Denis Morin, Charles Sagalane, 2020

vendredi 3 juillet 2020

Natalia Z. de Chantal Garand




Dans la vie, le hasard existe-t-il ? Question en apparence tout banale, pourtant d’une très grande pertinence. En voici, un exemple, j’avais chez moi le roman Natalia Z. de Chantal Garand publié en 2018 chez Annika Parance Éditeur. J’aime l’œil qui scrute sur fond doré et marron. J’avais ce livre parmi une pile de livres à lire. Étant un bibliophile assumé, il me faut une centaine de bouquins qui attendent mon iris pour me sentir bien. Il me faut des plantes, des livres, du thé, du vin blanc.

Ce livre passe très bien à travers le temps puisque des versions en norvégien et en ukrainien sont au calendrier des parutions dans ces pays respectifs.

Chantal Garand vit en Norvège depuis 2003 où elle travaille à l’intégration des immigrants. Hormis ce travail et quelques prix littéraires qui confirme son talent, cette écrivaine se fait très discrète. Elle observe le cours des jours. Vous la retrouverez sur Facebook et Twitter.

Revenons au hasard concernant ce roman. Je m’étais dit que je le lirais cet été tranquille sur ma terrasse. Or, la période de confinement fit en sorte que je me suis retrouvé à rédiger un roman sur une Québécoise vivant en France à la recherche de sa fille au Québec. Oh surprise ! Dans Natalia Z., c’est le fils Tollef, citoyen norvégien, qui est à la recherche de sa mère biologique, une Polonaise d’origine ayant passé une partie de la Deuxième Guerre mondiale en Norvège, comme tenu de sa maîtrise des langues. Tollef sera aidé dans sa quête des origines par Jeanne, une Québécoise habitant en Norvège. Chantal Garand et moi, nous avons été dans une similitude thématique.

Donc, j’ai été ravi par la manière dont Chantal Garand a mené cette histoire de Natalia qui se confie à Jeanne, mais qui cache des pans de son passé à son fils. Que faut-il dire, rogner du passé ? Hier appartient-il aussi à notre descendance ? Jusqu’où peut-on se révéler sans chambouler se propre vie tenue en équilibre sur un fil de barbelé ?

Si vous vous intéressez à l’histoire européenne au 20e siècle et que vous avez un intérêt pour l’Europe de l’Est et la Norvège, cette fascinante histoire est pour vous.

On attend le prochain opus de Chantal Garand avec impatience.

Extraits :

« Pour qui opterais-tu ? Celui qui a le droit de savoir ou celle qui a le droit de se taire ? Penses-y. Tu pourrais très bien te retrouver dans cette situation. Cela dit, je sais très bien que tu ne feins pas l’estime que tu lui portes. Absolument pas. Tu as une réelle affection pour elle, je le sens. Si elle avait mené la vie de n’importe quel quidam, elle vous en parlerait volontiers, le radoterait sans cesse, comme le font tous les vieux. Alors ? Qu’est-ce à dire ? À mon avis, il y a anguille sous roche. »

« Les synagogues et les églises se succèdent, mais elles n’y entrent pas. Elles se sentent légères, elles flottent. Elles traversent les saisons et l’été est là. Dans leurs robes de coton, elles se retrouvent devant les amuseurs publics et les avaleurs de feu qui se tiennent à l’entrée du parc Stryjsky. Maria lui donna quelques zlotys pour qu’elle aille les jeter dans le chapeau déposé sur le sol. Elles achètent des épis de maïs grillés et demandent au garçon de les saler généreusement. Elles marchent le long de l’étang et vont s’asseoir sur un banc, elles commentent la beauté des cygnes blancs et leur plumage brillant. Maria la prend dans ses bras, la berce affectueusement et lui dit « ne m’oublie pas ».

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de N. Garand,
    Denis Morin, 2020


Nota Bene : L’icône sur laquelle j’ai posé le livre est une reproduction de l’icône de la Trinité de Saint André Roublev.