dimanche 28 juillet 2019

Si Lascaux m'était conté... de Nicolas Bouvier



La lecture nous amène par des chemins jusque là inconnus. Je vous emmène à Montignac en Dordogne, dans la vallée de la Vézère, en France, à Lascaux 4, soit au Centre International de l’Art Pariétal.

Mais revenons tout d’abord à l’auteur. Il s’agit de Nicolas Bouvier, juriste de formation, écrivain très impliqué contre le harcèlement à l’école et dans le monde du travail. Il est maintenant médiateur polyvalent au Centre international de l’Art Pariétal depuis la fin 2016.

Dans Si Lascaux m’était conté… publié en 2019 aux Éditions Cairn, Nicolas Bouvier raconte brillamment à la fois l’apprentissage de Jérémy Pommier en vue de devenir guide à Lascaux 4 et la découverte de la Grotte de Lascaux en septembre 1940 par des jeunes de la région, l’authentification du lieu par l’abbé Henri Breuil qualifié par lui de ‘’Chapelle Sixtine’’ de l’art pariétal, c’est-à-dire sur des parois. La Grotte de Lascaux fut fermée aux visiteurs en 1963, à la demande d’André Malraux, alors ministre de la Culture, afin de préserver le lieu. Toutefois, l’État français en permit la reconstitution à des fins muséales.

Lascaux inspira les artistes suivants : Pablo Picasso, Joan Miró, Gérard Gasiorowski, Monique Paytral (cette dernière a travaillé au site de Lascaux 2), Claude Viallat.

Nicolas Bouvier nous fait remonter dans le temps. Par ses explications, on revoit les hommes éclairés par leurs lampes de grès rose en train d’appliquer des pigments et de dessiner de grands aurochs, des cerfs avec leur gracieuse ramure, des ours, des félins. Somme toute, ce livre donne le goût de visiter Lascaux 4, de nous intéresser à nos lointains ancêtres, à tracer des liens entre l’art pariétal et l’art contemporain. Si jamais vous croisez Nicolas, saluez-le pour moi. N’oubliez pas de lui dire que j’ai beaucoup apprécié la lecture de cet ouvrage qui se déguste comme un fascinant roman.

© Photo, billet, Denis Morin, 2019


vendredi 26 juillet 2019

Chants de tout et de rien, Chants de rien du tout, Yves Navarre


Dans les archives, on conserve généralement des documents écrits et iconographiques sur l’histoire, l’administration, mais il arrive parfois que l’on découvre des perles oubliées. Ainsi, un recueil de poèmes inédits de l’écrivain français Yves Navarre fut retrouvé dans un fonds d’archives américain. Je vous rappelle qu’Yves Navarre se mérita le prix Goncourt en 1980 pour son roman Le Jardin d’acclimatation. L’association Les Amis d’Yves Navarre a parrainé la publication de ce très bel ouvrage paru en 2017 chez H&O éditions. Les calligraphies sont de Hugo Laruelle.

Le recueil s’intitule Chants de tout et de rien, Chants de rien du tout.  Navarre portait en son doux visage une mélancolie que je qualifierais de proustienne.  En revanche, à l’opposé de Marcel Proust, Navarre écrivait avec une économie de mots. Il possédait un style minimaliste. Les sentiments se tiennent toujours là dans ses textes, entre les lignes, en marge de la confidence. L’enfance lui fut amère. L’homme aime au point d’en être blessé. Il est celui qu’on laisse, qu’on oublie après la kermesse et l’ivresse des corps, celui qui attend le grand amour, celui qui, trop sensible, constate que la vie est une pomme dure et acidulée. 

J’ai toujours aimé Navarre et Duras (d’ailleurs, tous deux habitaient la rue Saint-Benoît, à Paris) pour le dénuement de leurs phrases et la force des sentiments.

Navarre, je l’aime depuis les années 1980. Ça ne s’explique pas. Je n’y peux rien. État de fait.

Extraits :

« Chante-moi la chanson indifférente
J’ai oublié la musique
ni gaie ni nostalgique
quelque chose entre les deux
d’amoureux. »

« Je partirai
sans un adieu
le cœur nu
et sans regret
chaque nuit ouvre déjà
la voie
la mort derrière
la vie devant… »

« Les petits malheurs
c’est bon pour les douaniers
il faut surtout les déclarer
et comme c’est trop cher à payer
leur laisser. »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits de Navarre,
    Denis Morin, 2019


mardi 23 juillet 2019

Christine, la reine-garçon de Michel Marc Bouchard






Le théâtre québécois aborde à l’occasion les biographies de personnages illustres et singuliers. Je me souviens avoir vu la pièce de Jovette Marchessault, autrice, peintre et féministe (1938-2012) intitulé Le voyage magnifique d’Emily Carr (pièce montée en 1990 sur cette peintre canadienne connue pour ses paysages de l'Ouest canadien et ses références aux Premières Nations). C’était fabuleux.

Le Théâtre du Nouveau Monde à Montréal avait eu l’idée fabuleuse de monter en 2012 la pièce de théâtre Christine, la reine-garçon du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard. Ce texte exquis fut publié la même année aux Éditions Leméac.

Rappelons que Christine de Suède (1626-1689) était autant à l’aise à côtoyer les militaires, à forcer la main de belligérants pour la signature d’un traité de paix que de discuter avec Descartes des questions d’ordre philosophique.

Partagée entre le devoir d’état et le tourment amoureux suscité par sa belle dame de compagnie, Christine préféra choisir sa vie plutôt que de la subir. Féministe avant l’heure, elle sut s’entourer d’artistes et de penseurs.

Je regrette de n’avoir pas vu cette pièce au théâtre. Par contre, je me reprends ici en lisant des dialogues savoureux et brillants. Voici un livre à avoir dans sa bibliothèque pour qui aime l’histoire et le théâtre.

Extrait :

« CHRISTINE. Toutes ces paroles assourdissantes posées sur des chiffons ! Les soins que vous apportez à votre personne. Les précautions à votre peau. Et tous vos gestes délicats, si délicats… Comtesse Sparre, vous représentez en tous points ce que je déteste chez les femmes. Leur besoin insatiable de plaire ! Cette habitude de n’exister que dans le regard d’un tiers. Et que dire de cette absence totale d’assurance.

EBBA, blessée. Je ne savais pas que je pouvais vous être déplaisante à ce point.

CHRISTINE. Et moi, je ne sais comment vous le dire, et je ne sais comment me l’expliquer à moi-même, mais je ne voudrais pour rien au monde que vous changiez quoi que ce soit à votre personne. Pour rien au monde. Que vos gestes délicats le demeurent ! Parlez chiffons comme on fait des poèmes, breloques comme on fait des hymnes. Et là, je ne sais ce qui m’arrive, mais j’ai l’envie soudaine de dévorer un gros gigot. »

© Photo, texte du billet,
    sauf l’extrait de Michel Marc Bouchard,
    Denis Morin, 2919




dimanche 21 juillet 2019

J'ai décidé d'arrêter d'écrire de Pierre Patrolin



Dans mes choix de lecture, je tombe parfois sur des bouquins qui me déstabilisent… Choix téméraire. Les titres m’appellent et me provoquent. Ma curiosité me fait succomber. C’est le cas de J’ai décidé d’arrêter d’écrire de Pierre Patrolin paru en 2018 chez P.O.L.

Voici un singulier roman où l’on croise un écrivain qui en a marre d’écrire, qui veut cesser de griffonner sur tous les bouts de papier qui lui tombent sous la main, qui n’enregistre pas à l’ordinateur un début de chapitre, mais qui est hanté par une histoire et des personnages. Son éditeur lui réclame un nouveau roman. Il tente de faire diversion par la lecture.  Donc, Patrolin nous donne des commentaires sur l’acte d’écrire, nous livre la genèse d’un roman et résume les livres qu’il consomme, pendant que son épouse lui quémande affection et attention.

Tout auteur y reconnaîtra sa propre compulsion à écrire et ce besoin vital de créer. Je ne fais pas exception. Lecture recommandée pour les artistes.

Extraits :

« Quant à moi, je ne suis pas sûr de ne pas oublier quelque chose. Ce n’est pas facile d’écrire le moins possible. Des mots courts en quête de concision. Une syntaxe réduite à son essence. Des points, sans relâche, pour éviter tout relâchement. Des virgules nécessaires. Un verbe quand il le faut, accompagné d’une circonstance : quand une phrase se termine, je pose mon crayon. »

« À force de ne rien vouloir écrire, j’ai l’impression de laisser passer quelque chose. Ou de le laisser s’effacer. »

« Depuis que je n’écris plus, j’ai tout de même accumulé beaucoup de notes.  Des fragments sans suite. Des mots épars, des phrases jamais terminées. Des germes. Sans terre. Des messages électroniques, des morceaux de papier glissés entre les pages des livres des autres. »

« J’ai fini par vouloir dicter les phrases au téléphone. Il ne comprend rien. Il écrit à chaque ligne quand je dis Jacqueline.  L’appareil entend un peu quand je prononce un pneu. Il me désespère. À l’image d’un lecteur indocile. »

© Photo, billet, sauf les extraits de P. Patrolin,
    Denis Morin, 2019

samedi 20 juillet 2019

Être autiste et réussir sa vie de Sherman Sezibera


Sherman Sezibera, auteur québécois d’origine rwandaise, s’est lié d’amitié avec une jeune femme autiste. Il a cru bon se mettre dans la peau d’Alice, une jeune femme de Québec, vivant avec le syndrome d’Asperger. Par conséquent, il publie en 2019 aux Éditions du CRAM le récit Être autiste et réussir sa vie.

Alice livre un aperçu de sa condition, de sa perception intense de la réalité par ses sens, des convenances sociales qu’elle ne décode pas toujours adéquatement, de ses dires non filtrés qui peuvent ravir et blesser l’entourage.  Les petites choses du quotidien lui semblent des obstacles insurmontables à franchir. Puis un jour, il lui vient à l’idée le projet de se rendre en Inde après s’être intéressée au yoga afin de reprendre le contrôle sur ses émotions.  Elle part là-bas seule, découvre les villes, les campagnes, la pauvreté, mais surtout la spiritualité des gens. Elle fait la connaissance d’un sadhu, un sage ascète, qui la rassurera sur qui elle est et sur sa place dans le monde. Il lui donnera des enseignements qui lui seront utiles sa vie entière.

La lecture de ce livre m’a permis d’en apprendre sur l’autisme dont le syndrome d’Asperger et sur le yoga. À certains moments, pour les chapitres sur l’Inde, j’ai pensé souvent à la candeur et à la profondeur que l’on retrouve dans Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Je recommande ce livre.

Extrait :
« Je suis autiste. J’ai le syndrome d’Asperger. Si vous me croisez dans l’autobus ou dans une boutique, vous n’en saurez rien. J’ai l’air d’une fille tout à fait normale. C’est à l’intérieur que c’est le chaos. »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait,
    Denis Morin, 2019

samedi 13 juillet 2019

Planètes de Mario Cyr




Il est nettement plus facile de commenter un roman. On se laisse porter par les anecdotes sur la vie de l’écrivain, le style, l’histoire, mais pour les nouvelles et la poésie, on plonge vers l’essentiel. Pas d’artifices ou si peu…

Mario Cyr, romancier, poète et blogueur, connaît une impressionnante feuille de route avec près d’une vingtaine de titres. Cette fois-ci, il publiait en 2018 le recueil de nouvelles Planètes dans la collection Sauvage chez Annika Parance Éditeur.

L’auteur jette un regard doux-amer sur son époque en une série de nouvelles très brèves. Aucun mot n’est de trop. Les descriptions sont précises. On dirait presque des photos, des portraits exécutés par un photographe de rue, à la manière de Vivian Maier (1926-2009) dont l’objectif captura des scènes de vie à New-York et à Chicago. Il arrive parfois que la vie reprenne ses droits comme deux grands gaillards qui se bousculent et roulent dans l’herbe au cimetière comme le feraient les enfants, malgré le sommeil des morts sous la terre.

Extraits :

Sisyphe : « Un matin, un bac démoli, saccagé, ça ne l’impressionne pas, ne le froisse pas, il saisit son marteau, récupère ce qui est encore bon, pour en faire un autre, c’est tout. »

Folk : « La musique attire deux jeunes voisins, ils viennent d’emménager, il a des dreads blondes, un bongo, elle, des piercings, un harmonica, de petits seins libres sous la camisole, à leur arrivée, l’enfant-lune se redresse à moitié et retombe au fond du hamac, comblé, aux anges, chaque seconde est une joie. »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits de Mario Cyr,
    Denis Morin, 2019

jeudi 11 juillet 2019

Cinq saisons du corps et autres fièvres de Loui



Loui est dramaturge et poète. Il monte sur scène depuis 2000. C’est une bête de scène, un poète avec une voix de conteur, un slameur qui présente son savoir-faire tant au Canada qu’en France. Sa voix porte et ses mots nous emportent, nous secouent, nous font voyager. Il a obtenu des prix au concours de twittérature des Amériques en 2017 et au concours de poésie Antidote de Montréal en lumière en 2018.

Cette fois-ci, un livre occupe notre attention. En 2019, son superbe recueil de poésie Cinq saisons du corps et autres fièvres paraît aux Éditions Maïa. En couverture, on voit l’Homme de Vitruve de Vinci, symbole d’harmonie issu de la Renaissance. Belle audace.

Le poète dénonce au début de ses textes la précarité du monde, s’indigne des injustices commises, puis devient explorateur de territoires. Les territoires peuvent se définir par un paysage époustouflant que par des plongées du corps et du cœur dans le monde intime, car le poète a besoin d’oxygène, d’espace pour nourrir son imaginaire, pour combler son appétit de découverte. De plus, il sait se taire pour déchiffrer et lire en silence les courbes de la bien-aimée.

Pour les plus curieux, le poète parsème çà et là quelques vers en italique, tandis que le corps du recueil est imprimé avec une police régulière. Je me suis amusé parfois à suivre les sentiers offerts par l’italique. On double donc avec une double lecture possible. Le procédé est intéressant.

Vraiment, on en sort vraiment ébahi par la beauté et la force de ses mots !  Voici, un recueil où l’artiste et l’artisan ne font qu’un !  J’aime beaucoup et j’en veux encore !

Extraits :

« Je veux te décrire

Tout le pouvoir du ciel en l’oiseau »

« Je suis le poète oublié
D’un peuple oublié
Mort gelé
Mon peuple
Bleu et blanc
Mort d’effroi »

« Tu danses
Et une lumière fait des ronds sur toi
Faisceaux de jambes
Tu danses et c’est une ellipse
Le cœur un prisme »

« La brise emportait nos idées
Te nouait les cheveux
J’avais pris un pari un peu fou
Que tu te rappellerais toujours
De m’aimer
Te souviens-tu de nous
Dans les lichens
Ou dans les blés »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits du poète,
    Denis Morin, 2019


lundi 1 juillet 2019

Entretien avec Julia Kerninon





Elle nage en écriture comme un poisson dans l’eau depuis l’enfance, à l’âge où l’on forme et trace des lettres sur papier avec un crayon ou grâce à une machine à écrire. Elle écrit avec le mot juste qui fascine, vous émeut et vous foudroie. Il m’a semblé pertinent de m’entretenir avec elle entre autres sur la littérature et la condition féminine.

L’écriture vous est-elle moments de grâce, destinée ou fatalité ?

Je passe beaucoup de temps à travailler, à essayer, à réfléchir – j’écris et je me relis beaucoup, je jette des pages et des pages de chaque livre. Mais c’est vrai qu’il y a aussi des moments de grâce, des heures intenses à l’issue desquelles la page écrite est impeccable, n’aura jamais besoin d’être corrigée. Je ne sais pas si c’était ma destinée, ni si c’est une fatalité, je crois que c’est la vie que j’ai choisie pour une multitude de raisons, et tant que ça m’intéressera je continuerai.

Vos personnages viennent-ils à vous ?

Oui, on peut sans doute dire ça comme ça. Mes personnages ressemblent rarement à des gens que je connais, ils sont plutôt tissés d’autres personnages de romans que j’ai lus, et de choses que j’ai vues, mais tôt ou tard ils ont une personnalité très précise pour moi.

Qui a le dernier mot, le personnage ou vous ?

C’est le livre qui a le dernier mot. Les personnages et moi obéissons au livre.

Un roman s’écrit-il avec un plan établi ou spontanément ?

Je dirais que ça dépend des livres et des moments de travail. Je commence toujours spontanément, et je fais un plan un peu plus tard, quand j’ai accumulé beaucoup de matière, je fais un plan pour comprendre ce que je raconte et retrouver ma route.

En quoi votre écriture est-elle féministe ?

J’écris des livres dont les héroïnes sont des femmes, et des femmes puissantes, courageuses, intelligentes, autonomes, pleines de vitalité, avec une intériorité.

Tenez-vous cercle littéraire ou allez-vous seule votre chemin ?

Plutôt seule, mais je fréquente quelques bons écrivains et je vis avec un excellent lecteur.


Sans parler d’influences, vous sentez-vous une parenté avec d’autres écrivains ?

J’admets volontiers être influencée par les livres que j’aime. J’aime Philip Roth, Jim Harrison, Ted Hughes, Toni Morrison, Lionel Shriver, Linda Lê. Beaucoup, beaucoup d’autres. Je me sens proche d’eux. Je comprends ce qu’ils disent, je crois, même si je ne sais pas forcément le dire moi avec tant de grâce.

À quoi ressemble une journée d’écriture ?

J’emmène mon bébé chez sa nourrice à 9 h, je passe à la boulangerie acheter le petit-déjeuner, je lis toute la matinée pour me préparer, je travaille sur d’autres choses, je fais de la traduction, je réponds à mes mails, je rédige de petits articles, des choses comme ça, et puis peut-être j’écris une heure avant d’aller chercher mon bébé à 17 h 30, et je me remets à écrire quand il est couché, à 20 h. Quand j’étais plus jeune, j’écrivais beaucoup, parfois toute la journée, mais maintenant j’ai arrêté de penser que c’était nécessaire. Quand je termine un livre, là j’écris toute la journée, parce qu’il faut boucler, parce que je suis dans l’urgence, mais 80 % du livre, je l’écris comme ça, doucement, heure par heure, en réfléchissant beaucoup avant. Il m’arrive souvent de ne pas écrire pendant une semaine, peut-être même un mois. J’écris toujours, mais je veux dire que je ne travaille pas toujours au roman de façon continue. Je trouve que c’est beaucoup de concentration, et j’ai besoin de faire des pauses.

Outre l’écriture, y a-t-il d’autres formes d’art qui vous chamboulent ?

J’aime la peinture, bien sûr, énormément. Je ne pratique pas, mais je lis beaucoup de livres sur la peinture. Pendant mes dernières vacances, je n’ai fait que ça : visiter un musée de peinture par jour, à La Haye. C’était mon idée des vacances idéales.

L’équité est-elle atteinte entre femmes et hommes de lettres ?

Bien sûr que non. Ni là ni nulle part, je pense. Où qu’on aille, les hommes sont plus respectés, ils sont ce qui va d’emblée, ce qui est évident, tandis que nous les femmes apparaissons toujours comme une option secondaire. On dit beaucoup de choses passionnantes récemment sur les bienfaits qui découleraient du fait de rendre aux femmes leur place égale dans le monde, de les laisser avoir autant d’impact que les hommes sur les décisions qui nous concernent tous. C’est tellement choquant, je trouve, ce qui se passe. Je lisais la semaine dernière le dernier ouvrage de Rebecca Solnit, j’avais envie de pleurer pour les miennes, pour cette façon épouvantable dont nous sommes traitées. Mais je trouve qu’il y a un sens des priorités, et que l’équité entre les hommes et les femmes en littérature n’est pas le plus urgent. Le plus urgent, ce serait plutôt l’égalité des salaires, un positionnement radicalement différent sur la question du viol, la fin des violences obstétricales, un congé paternel obligatoire, des modes de garde facilités… Le plus urgent, pour le dire simplement, ce serait d’établir une fois pour toute que la femme n’est pas inférieure à l’homme, ni à son service, ni plus résistante ni plus solide ni moins sensible à quoi que ce soit.

Le fait de vous être méritée maints prix littéraires vous a-t-il paralysé à un certain moment ou cela vous a donné des ailes ?

Cela m’a donné du temps, parce que la majorité des prix que j’ai eu la chance de recevoir étaient dotés, et j’ai donc pu prendre plus de temps pour écrire, et m’inquiéter un peu moins. Et bien sûr ça m’a aussi rassurée, établie, solidifiée.

Le roman et le récit (biographique) sont les genres abordés, mais seriez-vous tentée par le cinéma, le théâtre ou la poésie ?

J’ai écrit beaucoup de poésie il y a dix ans, mais personne ne veut la publier pour l’instant. J’essaie d’écrire pour le théâtre depuis deux ans, je ne me trouve pas très douée mais la metteuse en scène qui m’a commandé le texte a l’air assez satisfaite, alors je ne sais pas. Je ne peux pas écrire pour le cinéma, parce que j’ai vu très peu de films, c’est vraiment quelque chose que je ne connais pas bien. Mais j’aimerais écrire un thriller, un album pour les petits, des livres pour enfants, des essais.

© Photos, Julia Kerninon,
    entretien, Julia Kerninon,
    Denis Morin, 2019