J'aime lire des lettres depuis toujours. On ne parle pas de factures, ni de courriels secs et brefs, mais de vraies lettres dont on a pris le temps de peser les mots, surtout qu'en un autre siècle le courrier n'arrivait pas à la vitesse d'aujourd'hui. De plus, n'oublions pas que la correspondance est un genre littéraire en soi qui mérite notre attention.
Les lettres de certains personnes ont leur pertinence dans le fait qu’elles ne sont pas publiées
ou diffusées du vivant des auteurs. Par
conséquent, on y livre ses préoccupations, ses tourments, ses sentiments sans
trop de censure. La correspondance du
peintre Vincent Van Gogh (1853-1890) avec son frère Théo n’échappe pas à la règle.
Ces lettres
montrent un peintre qui se questionne sur une relative reconnaissance,
alors que plus jeune il songeait à devenir pasteur en milieu ouvrier. Il se voit bon artisan, connecté à sa façon
avec le sacré et toute la Création. Il
ne doute que très rarement de son talent. Il tente de se faire accepter tel qu’il est. Les rapports fraternels peuvent être tendus
quand Théo se fait l’émissaire d’une famille conservatrice qui n’apprécie guère
le mode de vie de Vincent. Puis vient le
temps où les échanges sont plus cordiaux, tendres, sincères. Vincent met carte sur table. Il confie ses déboires de santé, sa volonté de parfaire son art, son besoin d’assistance financière
pour maintenir sa production d’œuvres. Il veut le
soutien de son frère, non pas sa pitié. Il
cherche aussi conseil auprès de Théo sur des sujets tels que : Vaut-il
mieux rester dans la pluie du nord ou bien puiser l’inspiration à même un
soleil provençal ? Devrait-il s'associer ou non avec d'autres collègues pour tenir atelier ? Au fur et à
mesure, les tensions entre les deux frères s’amenuisent et font place à de l’entraide
et à de la tendresse.
En outre, cette correspondance dépeint la vie
difficile des artistes. Or, certains d’entre
eux optèrent pour une mode, une école par souci d’attirer une visibilité, alors
que Vincent prit en solitaire les chemins de traverse des collines près d’Arles,
aveuglé par la lumière méditerranéenne du Midi.
Il transporte un chevalet, des toiles, une palette, des pinceaux, en
dépit des pies bavardes des alentours et des gamins qui lui lancent des cailloux. Tous s’étonnent que ce grand rouquin
Hollandais, maîtrisant par ailleurs fort bien le français, puisse s’installer
au milieu d’un champ pour réinterpréter le monde et ses merveilles.
Voici trois beaux extraits :
«
Mon cher frère, tu sais que je me suis rendu dans le Midi et que je m’y suis
lancé dans le travail pour mille raisons. Vouloir voir une autre lumière,
croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée
plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonais. »
«
Je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles, et je rêve d’un tableau comme
cela avec un groupe de figures vivantes, des copains. »
«
En somme, il y a bien plus de gens qui font habilement un croquis, que de gens
qui peuvent peindre couramment et qui prennent la nature par le côté
couleur. Cela restera plus rare et que
les tableaux tardent à être appréciés ou non, cela trouve son amateur un jour. »
Vincent Van Gogh connut la gloire,
mais à titre posthume. Il ne vendit qu’une
seule toile de son vivant. Ironie de l’histoire,
ses toiles sont appréciées de nos jours comme celles de
Modigliani ou de Picasso. Le 29 juillet 1890, Vincent gravement blessé rendit l’âme
dans les bras de son frère. Quant à
Théo, pris de chagrin, il mourut quelques mois après Vincent. La veuve de Théo fit transférer en 1913 la dépouille de son mari dans la tombe de Vincent à
Auvers-sur-Oise. Leurs enveloppes
mortelles reposent maintenant en paix.
À lire : Lettres
à Théo de Vincent Van Gogh, chez Gallimard, collection Folioplus Classiques.
© texte et photo, Denis Morin, 2018