samedi 30 juin 2018

Lettres à Théo de Vincent Van Gogh




J'aime lire des lettres depuis toujours.  On ne parle pas de factures, ni de courriels secs et brefs, mais de vraies lettres dont on a pris le temps de peser les mots, surtout qu'en un autre siècle le courrier n'arrivait pas à la vitesse d'aujourd'hui.  De plus, n'oublions pas que la correspondance est un genre littéraire en soi qui mérite notre attention.

Les lettres de certains personnes ont leur pertinence dans le fait qu’elles ne sont pas publiées ou diffusées du vivant des auteurs.  Par conséquent, on y livre ses préoccupations, ses tourments, ses sentiments sans trop de censure.  La correspondance du peintre Vincent Van Gogh (1853-1890) avec son frère  Théo n’échappe pas à la règle. 

Ces lettres montrent un peintre qui se questionne sur une relative reconnaissance, alors que plus jeune il songeait à devenir pasteur en milieu ouvrier.  Il se voit bon artisan, connecté à sa façon avec le sacré et toute la Création.  Il ne doute que très rarement de son talent.  Il tente de se faire accepter tel qu’il est.  Les rapports fraternels peuvent être tendus quand Théo se fait l’émissaire d’une famille conservatrice qui n’apprécie guère le mode de vie de Vincent.  Puis vient le temps où les échanges sont plus cordiaux, tendres, sincères.  Vincent met carte sur table.  Il confie ses déboires de santé, sa volonté de parfaire son art, son besoin d’assistance financière pour maintenir sa production d’œuvres.  Il veut le soutien de son frère, non pas sa pitié.  Il cherche aussi conseil auprès de Théo sur des sujets tels que : Vaut-il mieux rester dans la pluie du nord ou bien puiser l’inspiration à même un soleil provençal ?  Devrait-il s'associer ou non avec d'autres collègues pour tenir atelier ?  Au fur et à mesure, les tensions entre les deux frères s’amenuisent et font place à de l’entraide et à de la tendresse.

En outre, cette correspondance dépeint la vie difficile des artistes.  Or, certains d’entre eux optèrent pour une mode, une école par souci d’attirer une visibilité, alors que Vincent prit en solitaire les chemins de traverse des collines près d’Arles, aveuglé par la lumière méditerranéenne du Midi.  Il transporte un chevalet, des toiles, une palette, des pinceaux, en dépit des pies bavardes des alentours et des gamins qui lui lancent des cailloux.  Tous s’étonnent que ce grand rouquin Hollandais, maîtrisant par ailleurs fort bien le français, puisse s’installer au milieu d’un champ pour réinterpréter le monde et ses merveilles.

Voici trois beaux extraits :  
« Mon cher frère, tu sais que je me suis rendu dans le Midi et que je m’y suis lancé dans le travail pour mille raisons. Vouloir voir une autre lumière, croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonais. »

« Je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles, et je rêve d’un tableau comme cela avec un groupe de figures vivantes, des copains. »

« En somme, il y a bien plus de gens qui font habilement un croquis, que de gens qui peuvent peindre couramment et qui prennent la nature par le côté couleur.  Cela restera plus rare et que les tableaux tardent à être appréciés ou non, cela trouve son amateur un jour. »

Vincent Van Gogh connut la gloire, mais à titre posthume.  Il ne vendit qu’une seule toile de son vivant.  Ironie de l’histoire, ses toiles sont appréciées de nos jours comme celles de Modigliani ou de Picasso. Le 29 juillet 1890, Vincent gravement blessé rendit l’âme dans les bras de son frère.  Quant à Théo, pris de chagrin, il mourut quelques mois après Vincent.  La veuve de Théo fit transférer en 1913 la dépouille de son mari dans la tombe de Vincent à Auvers-sur-Oise.  Leurs enveloppes mortelles reposent maintenant en paix.

À lire : Lettres à Théo de Vincent Van Gogh, chez Gallimard, collection Folioplus Classiques.

© texte et photo, Denis Morin, 2018

samedi 23 juin 2018

L'école des vertiges de Tristan Malavoy



Nous sommes à l’époque du multitâches, communément désigné par le terme anglais de multitasking. Certains artistes s’inscrivent bien dans cette mouvance et peuvent se promener aisément au coeur de  différentes pratiques artistiques. Par exemple, Tristan Malavoy vogue intelligemment entre chanson et poésie, sans oublier le roman. Il s'implique aussi dans le monde de l’édition.

En 2018, Audiogram et L’Hexagone ont eu la bonne idée de faire paraître le recueil-album L’école des vertiges. Le mélancolique troubadour-voyageur se promène entre les chalets en régions et le Sénégal, la France jusqu'aux vastes étendues planes de Russie sur le Transsibérien.  Cette rencontre de l’autre nous permet une découverte de soi-même par le biais des êtres surgissant tout au long de l'itinéraire ou une fois parvenu à destination. Par conséquent, le voyage devient une mise à distance du quotidien, une exposition à la fragilité, une plongée en soi, en sa vie, en ses amours.

Les textes de ce livre sont les genèses des chansons présentent sur le CD insérés en fin de livre. Les titres sont évocateurs :  Baïkal-Amour / La machine à aimer / Abécédaire / L’école des vertiges / Les écrivains / Qu’est-ce qu’elle avait de plus cette tempête ? / Ma petite fenêtre / Les Icares / Le volume de notre amour / Elle cueillait des cosmos / Le ciel de la Nouvelle-Orléans.

Derrière le spoken word de Tristan Malavoy, j’entends un spleen délicieux à la Françoise Hardy.  Je sais qu’il est toujours hasardeux de comparer deux individus, mais mon ressenti est ainsi.

Voici deux passages qui vous révéleront un éclat d’émotion.  Tout d’abord, l’explication, puis un extrait de la chanson conçue au cimetière du Montparnasse, face au tombeau de Gainsbourg où des mégots et des bouteilles veillent le disparu, le tout agrémenté de fleurs :

« Des dizaines de cosmos poussant fous tout autour de la stèle.  C’est là que la chanson me vient, d’un trait.  Les mots, la mélodie.  Je sais ce que je dois à l’instant, à la lumière, au décalage horaire.  Je n’ai fait qu’attraper un papillon qui passait. »

« Elle cueillait des cosmos
En écoutant Kosma
Pendant que moi
Je tombais au combat
Au combat de l’amour
Qu’elle ne me donnait pas
Elle cueillait des cosmos
Et ne me cueillait pas. »

Somme toute, le voyage sied très bien à Tristan Malavoy.  Ses destinations et ses mots m’ont plu.  À suivre…

© texte et photo, Denis Morin, 2018

mercredi 6 juin 2018

Vers la beauté de David Foenkinos



On croit choisir nos lectures.  Eh bien, on se trompe !  Souvent, les livres nous tombent entre les mains en temps opportun.  Notre vie leur lance un appel.

Voici l’exemple.  En 2017, j’écrivais Modigliani, regard vers l’abîme, sur ce personnage envoûtant tant par sa vie tourmentée, ses œuvres énigmatiques et belles, que par son histoire d’amour avec la mélancolique Jeanne Hébuterne.  Ces derniers mois, je franchissais le seuil de la boutique en ligne d’une librairie pour dénicher la jaquette du roman Vers la beauté avec le portrait de Jeanne Hébuterne peinte par son fiancé.  Il me fallait cette nouvelle parution de David Foenkinos parue chez Gallimard en 2018.

Dès les premières pages, Antoine Duris, professeur d’histoire de l’art, dépressif, troque son poste d’enseignant aux Beaux-Arts de Lyon pour un boulot de gardien au Musée d’Orsay, à Paris.  On se demande si cette fuite n'est que pour panser son cœur blessé après une rupture...  Dans ce nouveau travail, il se perd en moments contemplatifs et introspectifs.

On fait aussi la connaissance de Camille, talentueuse, taiseuse, frappée par la grâce créatrice.

Il appert que le professeur invite ses étudiants à évoluer et que l’artiste apporte sa touche de beauté dans cet apparent chaos qu’est le monde.  David Foenkinos m’a bien mené vers la beauté.  Ce roman ferait un très beau film, avis aux scénaristes et aux réalisateurs !

Je termine ce billet par un extrait qui vous donnera le ton du livre :
« Au fil des jours, Antoine serait happé par la force de ce tableau. Jeanne (Hébuterne) lui faisait survoler les heures.  Il continuait parfois à lui parler, comme à une confidente.  Cela lui faisait du bien.  Chacun cherche son propre chemin vers la consolation. (…)  Pour Antoine, la contemplation de la beauté était un pansement sur la laideur.  Il en avait été toujours ainsi.  Quand il se sentait mal, il allait se promener dans un musée.  Le merveilleux demeurait la meilleure arme contre la fragilité. »


© texte et photo, Denis Morin, 2018


dimanche 3 juin 2018

Seuls nos sourires de Jean-Félix de La Ville Baugé



Seuls nos sourires, j’ai été séduit par le titre énigmatique de ce roman de Jean-Félix de La Ville Baugé, publié aux Éditions L’Inventaire, à Paris, en 2018.  Dans mes choix de lecture et en écriture, j’y vais au flair et à l’instinct.  Je me suis rarement trompé.

Sur réception du livre au comptoir d’achat de ma librairie, je remarque la couverture stylisée qui suggère une pin-up, une actrice des années 1960 : une trace sinueuse évoquant la chevelure, des lèvres charnues, un grain de beauté fictif ou réel.

Dans le train du retour à la maison, j’ouvre le livre qui se fragmente en extraits placés çà et là comme autant de diapositives, de tesselles, de descriptions d'une vie en kaléidoscope.  Je ne peux m’arrêter de lire...  Je suis envoûté.  Ça augure bien. L’écriture est belle, sensible et sensuelle.

L’auteur se met dans la peau de Marilyn Monroe surnommée la femme la plus belle du monde à son époque.  Il endosse très bien la pensée du personnage, au point de me faire oublier que c’est un mec derrière les mots lus.  L’actrice se raconte, se perçoit parfois superbe, tantôt moche, séduit, joue la sotte, se sait accro aux médicaments et dépendante affective du président J. F. Kennedy qui se sert d’elle comme instrument de plaisir ou pour flatter son ego de politique.  Elle sait qu’elle fait tourner les têtes, fantasmer les hommes, tout en se sachant fragile, qu'un jour on cessera tôt ou tard de l’aimer, de l’aduler.  Elle restera là, incrédule, les pieds pendants dans l’eau, assise au bout du quai ou bien en couverture de la revue Time tel un arrêt sur image pour la postérité…

Pour en lire des extraits, vous pouvez consulter le lien suivant :

Je vous recommande chaleureusement la lecture de ce roman.  À suivre.


© texte et photo, Denis Morin, 2018