mardi 20 septembre 2022

Témoin de rien de Tom Noti

 

Tom Noti nous réserve des surprises. Sous ce visage doux se cache la tourmente de l’écrivain qui vibre comme les cordes d’un violoncelle et qui nous livre aux Éditions La Trace le roman Témoin de rien.

Imaginez deux sœurs et leur père, un despote, qui leur donne un terrain, à condition qu’elles y établissent maison. D’une part, il y a Jeanne et Simon et d’autre part, il y a Gaétane et Pierre. Entre elles, une haie de cèdres trouée en son centre par où on circule et où le vieux chien entend tout, les mots d’amour, les humeurs variables, les cris, les gifles, le pleur du petit qui grandit ou la prière dite pour l’enfant dont on est en deuil. La descendance se soumet et se rebelle face aux événements avec cette impression de ne jamais arriver à la cheville des disparus.

Parvient-on à bout de la perte des êtres chers ou d’une infidélité ? Faut-il absolument subir le joug d’êtres tyranniques ? Peut-on être heureux, quand sa sœur voisine est en plein désarroi ? On peut subir les coups, se défendre ou bien être témoin de rien, témoin de tout.

Lors de la lecture, j’ai pensé à ces familles méditerranéennes très proches qui se côtoient au quotidien, s’entraident, s’aiment beaucoup et parfois se déchirent.

Un nouvel opus de ce romancier qui maîtrise très bien l’art de l’introspection et de la psychologie minutieuse des personnages. Un écrivain à lire et à suivre évidemment.

Extrait :

« Il y a eu la naissance d’Hector. La légère tension quand au prénom. Il semblait à Jeanne qu’Hector était l’un des prénoms de la liste de sa sœur. Mais elle n’était plus sûre. Rien n’avait jamais vraiment été affirmé, rien de gravé dans le marbre. Simon voulait un Hector si par chance ils avaient un garçon, mais sans doute par superstition, il n’avait pas annoncé le prénom, celui de son père. (…) Le silence ouaté a donc entouré la naissance d’Hector et le choix de son prénom. Ce silence paisible qui précède souvent les immenses tristesses. »

 

© Photo, texte, sauf l’extrait de Tom Noti, Denis Morin, 2022


samedi 17 septembre 2022

D'autres font du vitrail d'Isabelle Dionne

 


Il arrive souvent, voire fréquemment que des étudiants en lettres rêvant d’être des Pierre Lapointe, François Hardy, Réjean Ducharme, Anne Hébert, bifurquent de la trajectoire des songes, étudient au point d’en décrocher un diplôme de maîtrise ou de doctorat pour jouer à l’enseignant épris de livres et de beaux textes. Puis la vie étant ce qu’elle est, elle nous ramène à l’envie obsédante d’écrire pour soi et les autres. 

Ceci ressemble en partie au parcours et aux aspirations d’Isabelle Dionne qui enseigne le français au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière après une maîtrise en recherche et création littéraire de l’Université du Québec à Rimouski. 

Un roman émerge des brumes riveraines intitulé D’autres font du vitrail publié en 2022 chez Hamac.

L’intérêt de ce livre réside en ceci de courts textes confinés en deux-trois feuillets, un titre évocateur, un majuscule pour débuter une annonce, désamorcer une peine, garantir le ravissement, un point final pour passer à autre chose dans sa vie.

Ces confidences disposées en chapitres brefs se lisent comme des micronouvelles. J’ai ressenti de la peine, de la tendresse et des moments de grâce en parcourant ce livre bien humble, mais d’une écriture si authentique.

Vivement de prochains opus.

Extraits :

« l’hiver parfois mon cœur s’engourdit scelle les peines les enferme à double tour celles-ci se dissipent s’envolent en oiseaux de givre au soleil »

« L’idée d’acheter une toile québécoise par année devient tradition familiale un meilleur investissement que le pétrole l’armement ou les banques aux profits records toujours »

« je me relève m’éloigne du jardin salue cette abeille avec gratitude respect pour ce dévouement ma reconnaissance se mêle alors de tristesse devant cette vie sacrifiée au travail cet insecte en train de mourir d’épuisement »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits d'Isabelle Dionne, Denis Morin, 2022


dimanche 4 septembre 2022

Une vie à écrire, cahiers Yves Navarre no 1

 

À l’automne 2014 se réunissaient à Galway en Irlande des intellectuels, des acteurs du monde littéraire et culturel, des ayants droit afin de réfléchir sur le corpus scriptural d’Yves Navarre (1940-1994). On se souvient surtout de lui pour Le Jardin d’acclimatation qui lui valut le Prix Goncourt en 1980.

Une vie à écrire, dans la collection Cahiers Yves Navarre, publiée en 2015, par les Éditions H & O contient justement les interventions de ce colloque, en plus de deux nouvelles inédites de l’écrivain intitulées Certains oseraient encore prétendre et La gobeuse d’âmes.

Quel écho trouva les écrits de cet écrivain dans ma propre vie ? Navarre et les deux Marguerite (Yourcenar et Duras) sont des coups de foudre de jeunesse. Un enseignant me vit rêveur mélancolique à mes 16 ans et me prêta ses livres perso, soit Le petit galopin de nos corps (Y. N.), Mémoires d’Hadrien (M. Y.) et Barrage contre le Pacifique (M. D.).

Chez Navarre, je découvrais sa manière de décrire la sensualité et une sensibilité à fleur de peau derrière ses phrases brèves, sa ponctuation non conventionnelle, son style parfois hachuré, mais tellement lyrique. Je fus séduit aussi par son visage avec ce je-ne-sais-quoi proustien. Je me reconnaissais en lui tout simplement.

Rédacteur publicitaire, militant pour les droits d’auteur en France, Yves Navarre voulut qu’on le considérât comme écrivain à part entière, pas juste un porte-étendard du monde homosexuel. Tragédien dans l’âme, il aurait voulu gommer le mépris des uns et maintenir fièrement sa place au soleil.

Je remercie l’Association des Amis d’Yves Navarre et aux Éditions H & O de pérenniser cette plume.

© Photo, texte du billet, Denis Morin, 2022