jeudi 26 novembre 2020

À la foire de Maud Chayer

 

Maud Chayer tire plus vite que son ombre. Elle vient de faire paraître en 2020 un autre microroman chez Annika Parance Éditeur intitulé À la foire.

Un homme aux allures de quadragénaire, banlieusard épuisé au retour du travail, se fait imposer une sortie familiale pour le lendemain par les femmes de sa vie, à savoir son épouse de mèche avec leurs deux filles. Elles ont décidé de se rendre à une foire agricole. On se doute bien monsieur n’exultera pas dans cet événement…

Derrière cette histoire bien menée, je me questionne comme cet homme sur la pertinence de toujours consentir aux besoins des autres au point de s’oublier, de renoncer à ses propres goûts. 

On perçoit aussi la conjointe qui met en veilleuse une carrière et qui troque sa vie d’amoureuse pour le rôle de mère. 

Somme toute, qui vous a dit que la vie était une fête foraine jubilatoire ? 

N. B. : Les cornes tronquées sur la photo proviennent d’un zébu de Madagascar. J'ai fait exprès de les placer ainsi, mais le thème de la foire agricole est respecté. 😉 

Extrait :

« Il laissa sa montre dans l’auto. « Elle me gêne depuis un bout de temps. – Il faut faire examiner le bracelet. » Toujours pratique et bienveillante. Il ne voulait pas voir défiler les heures. Les longues heures avant le retour, ce moment privilégié où ses filles dormiraient à l’arrière, quand sa femme lui tiendrait la main sur le bras de vitesses, complice, heureuse. »

 

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de Maud Chayer, Denis Morin, 2020


samedi 21 novembre 2020

Au pavillon de Maud Chayer

 

Maud Chayer possède un parcours à double cursus académique en lettres et en cinéma. Elle travaille dans le milieu du septième art. Elle compte parmi ses projets créatifs trois romans en littérature jeunesse.

La voici de retour avec Au pavillon, un microroman publié en 2020 chez Annika Parance. 

Ce livre est une critique sociale de la petite vie rangée en banlieue nord-américaine. Nous avons le père, un bellâtre séduisant, la mère obsédée par ses rides qui tente des expériences capillaires afin de lutter contre le temps, puis un gamin enjoué, sa sœur à peine plus âgée. Un événement viendra bousculer leur quiétude. Ce sera le drame et les certitudes ébranlées. 

Au-delà de cette histoire bien ficelée, ce sont les petits travers qui sont dépeints. L’homme soucieux de son image, de l’opinion des collègues qui ne perçoit pas la maturité du corps qui le gagne, mais le voit chez son épouse.  Ce couple se lance des ‘’mon amour’’ mais ne fait plus l’amour ou si peu. Les enfants sont appelés à grandir trop vite et à perdre la candeur de cette période.

Sommes-nous plus que l’image de nous-mêmes ? Réussit-on sa vie ou dans la vie ? Nous sommes appelés à titre de lecteurs à aller au-delà de la vie parfaite comme dans la série télévisée Father knows best. Il me semble que nous valons bien plus ces stéréotypes stériles et Maud Chayer sait habilement comment nous le rappeler. 

Voici une invitation à découvrir une nouvelle plume.

Extrait :

« La maison répondait à certains de leurs critères… Les concessions qu’ils avaient dû faire : un quartier semi-prestigieux, pas de garage, pas de salle de bain attenante à leur chambre, pas d’arbres matures sur le terrain et, enfin, l’aspect extérieur de la demeure qui ne correspondait pas à leurs ambitions bourgeoises. Sa femme rêvait d’une (fausse) victorienne dans une rue à nom d’oiseau… mais, leur petit nid d’amour, ils se l’étaient fabriqué dans cet écrin de briques roses au design des années quatre-vingt-dix, finalement. » 

© Photo, billet, sauf l’extrait de Maud Chayer, Denis Morin, 2020


jeudi 19 novembre 2020

Signaux pour les voyants, poèmes de 1937 à 1993, de Gilles Hénault

 

Les poètes, c’est comme l’amour, ça ne meurt pas. Oui, les rides se creusent au front, mais la mémoire ancienne reste là.

Lise Demers, la fondatrice des Éditions Sémaphore, eut l’idée folle de publier en 2020 une anthologie de Gilles Hénault (1920-1996). Quelle excellente idée pour honorer ce poète abénaquis ayant passé une partie de sa jeunesse modestement à Montréal-Est avant de se tourner vers la poésie. Dans son itinéraire, il devint journaliste, syndicaliste, critique littéraire et d’art, fonda une revue littéraire. Plutôt pas mal pour un autodidacte !

Ce jeune homme libre aimant la nature et la beauté féminine sera sans tambours ni trompettes le père de la poésie moderne au Québec. À l’instar de Guillaume Apollinaire, il fut un artiste inventif, faisant fi des conventions, libre comme l’air, audacieux, curieux, esthète et épicurien. Bref, rien ne lui échappait. L’homme n’est plus là physiquement, mais sa voix par ses mots demeure.

Merci à Lise Demers pour son devoir de mémoire. Cette anthologie est une traversée du Québec d’hier à aujourd’hui.

Extraits :

« Le poème est l’expression concrète du vivant. »

 

« La porte se referme

Automate

L’homme s’avance

La porte de verre se referme.

L’homme trébuche sur le rayon photo-électrique

Les pas dévalent de l’autre côté de la vie

Le désir est une fausse clef

Seul l’amour fait tourner sur ses gonds

Le miroir du regard. »

 

« Les habitants des îles parlent très fort, crient très fort dans la tempête. Leurs cris insulaires, en détresse, dressent le pavillon désemparé des solitudes. Leurs cris de corail durcis par la distance s’entrelacent dans l’air tendu, d’une densité pareille aux profondeurs sous-marines. »


© Photo, texte du billet, sauf les extraits de G. Hénault, Denis Morin, 2020


mardi 17 novembre 2020

Alors que tout résiste de Hervé Richard

 

Hervé Richard est un poète français vivant en Allemagne. Sa demeure, ce sont les langues : le français, l’allemand, le russe. L’écriture est à la fois son métier et une manière de vivre, d’être.

Il mène sa petite musique intérieure depuis des années qu’il confie à des pages de cahier, assis sagement chez lui ou en un quelconque café. Je peux l’imaginer en train d’écrire sur fond sonore avec Nina Simone ou du Chopin.

Ce recueil Alors que tout résiste paru en 2020 chez Edilivre est un recueil de l’appel, dans un contexte de confinement et d’attente amoureuse. On fait comme si tout était comme avant la distanciation et les consignes qui nous étouffent à titre de citoyens. On mène son existence mise sur pause. L’amant franchira-t-il le seuil de la porte ce soir, demain ? On se rappelle des vacances prises ensemble à la plage et des promenades sur les berges d’une rivière, décor bucolique. Les mots appellent sa voix ou nous situent dans l’absence. La poésie est exutoire et réminiscence. Non, plus rien ne sera pareil.

Voici un poète discret mais ô combien talentueux que je vous invite à découvrir…

Extraits :

« Où va ce qui se mire

Dans le miroir défait

La vie les souvenirs

Où les tiens-tu cachés

N’as-tu pas quelque trace

Un indice oublié

Où va ce qui se mire

Quand la chambre a fermé ? »

 

« Tu es mon avant et mon après

Mon présent mon passé

Tu es qui j’étais qui je n’ai pas été

Tu es ce qui ne fut et ne sera jamais

Tu es mon paradoxe mon ombre mon partage

Tu es mon grand secret mon ami mon image

Tu es comme un passé qui se serait posé. »

 

© Photo, Edilivre. Billet, sauf les extraits de H. Richard, Denis Morin, 2020


dimanche 15 novembre 2020

Présents composés de Juan Joseph Ollu



Chez Annika Parance paraît dans la collection Sauvage, le recueil de nouvelles Présents composés de Juan Joseph Ollu. 

Cinq nouvelles constituent le nouvel opus : Une fenêtre ouverte, Bad boy, L’indécis, Valentine, Le présent composé.

Les histoires se vivent autant à Paris qu’à Montréal. On se sent vite pris dans le tourbillon de ces vies observées à partir d’un balcon, le temps de griller des cigarettes, par la cadence du bassin dans un véhicule une nuit d’hiver, les propos d’un indécis, les confidences d’une femme momentanément mal assortie en amour, un homme infidèle à son compagnon.

Trahit-on ceux qu’on aime par l’esprit, le cœur et le corps? Le tourment amoureux est-il beaucoup plus insidieux et complexe que de céder à un bel inconnu devant une vitrine de haute couture ?

Lire du Juan Joseph Ollu, c’est la sensualité et l’émotion qui s’étalent au grand jour sans fausse pudeur, juste pour la beauté et la douceur. C’est du Yves Navarre en version années 2000. Quand je le lis, au-delà de la musique house tonitruante d'un bar un vendredi soir, j’entends surtout en fond sonore le nuevo tango d’Astor Piazzolla et la voix douce de François Hardy derrière ses mots.

J’aime, j’aime, j’aime…

Extrait :

« Avec un peu de mal, Alexandre se fit donc à cette rupture qu’il avait voulue malgré lui, si l’on pouvait parler de rupture pour si peu. Je ne crois pas qu’il ait souffert trop longtemps. Peut-être s’était-il protégé juste à temps ? Quant à moi, j’avais été clair dès le début. C’est un avantage d’être honnête, de l’être en tout cas le plus possible : pas de fausses promesses, pas de serments truqués, de projets inconsistants. Tout cela aurait pu se terminer par une vraie liaison, mais me comporter avec une telle félonie envers toi m’est absolument inconcevable. »

© photo, texte du billet, sauf l’extrait de J. J. Ollu, Denis Morin, 2020

 


vendredi 13 novembre 2020

Le bleu des capricornes de Alexandre Rabor

 

Alexandre Rabor est un blogueur littéraire, mais surtout un romancier autoédité français de talent que je suis depuis quelques années. Il ose entremêler romance et thriller psychologique. Dans le roman Le bleu des capricornes, quand le passé s’appelle vengeance paru en 2020, l’auteur nous sert la même recette que par le passé, avec juste ce qu’il faut de suspense.

Cette fois-ci, Thomas et Mathilde réfléchissent à leur avenir amoureux. Pour sauver leur couple, ils consultent une thérapeute conjugale qui enseignera à Thomas l’hypnothérapie, ce qui lui permettra de remonter dans le passé vers sa mère biologique et une tragédie familiale. En parallèle, Mathilde relira les lettres d’un amour de jeunesse, celle d’un étudiant japonais qui avait un dragon tatoué. Elle comprendra que les apparences peuvent être bien trompeuses.

Thomas se portera acquéreur d’une scierie dans l’est de la France. Au-delà du souhait de faire table rase, de venger son père assassiné, il se demandera si providentiellement la prospérité régionale redevenait possible à cause d’un enfant aux taches de rousseur jouant avec un capricorne bleu.

Je n’en dirai pas davantage sur l’histoire. Pour l’instant, je conclus ce billet en écrivant que ce romancier allie fort habilement le cœur et l’esprit sans mièvrerie dans aucune de ses œuvres. Somme toute, une lecture émouvante et belle à se mettre sous l’iris.

 

© Photo, Alexandre Rabor, texte du billet Denis Morin, 2020


dimanche 8 novembre 2020

Monsieur le Président de Danielle Pouliot

 

À peine lu, à peine encore sonné par le roman percutant Monsieur le Président de la romancière Danielle Pouliot publié en 2020 aux Éditions Sémaphore… J’ai fait la connaissance de Léa, orpheline, ayant grandi chez sa tante Anita, devenue préposée à l’entretien ménager chez Kaffa, une entreprise de cafetières design. 

Dans ce haut lieu créatif créé par Émile le Magnifique, elle croyait y avait trouvé une famille, jusqu’au jour où le fondateur vende au Président parvenu obnubilé par le profit et son pouvoir. Ce sera la descente aux enfers pour le personnel. Toutes les trahisons seront permises dans cet échiquier où les plus retors et les pervers narcissiques conserveront leur emploi. Léa perdra le sien. Elle tentera de se reconstruire, ayant l’estime d’elle-même dans les talons.

Puis, elle dénichera un nouvel emploi, grâce à son chat qui se sera esquivé de l’appartement. Tout est providentiel comme ces retrouvailles avec le Président jadis musclé et tiré à quatre épingles devenu patient dans une résidence de luxe pour malades ayant perdu leur autonomie. Tout en époussetant et en frottant un miroir, elle lui raconte comment elle s’est sentie trahie. Lui, branché, écoute, semble même prendre du mieux, momentanément. Elle s’interroge sur le moyen de se venger…

Pour savoir comment elle aura le dernier mot, je vous invite à lire ce très beau roman dont l’écriture précise me fait penser à celle de Mireille Gagné dans Le syndrome de Takotsubo, recueil de nouvelles publié aussi par la même maison. Il y a des parentés stylistiques dans le monde des lettres. 

J’ai noté que les personnes les plus intéressantes à fréquenter étaient les employés au bas de l’échelle qui sont dotés bien souvent d’un sens fin de l’observation sur la nature humaine.

Une très belle lecture que je vous recommande à mon tour. 

Extrait :

« Pour être honnête, sur le coup, je ne l’ai pas reconnu. Cette silhouette fantomatique étendue sur un lit médicalisé au milieu d’une chambre aux allures de vaisseau futuriste, ce spectre décharné qui avait pour seul signe de vie une respiration sifflante produite par un thorax creux était à des années-lumière de l’envahisseur à la démarche prétentieuse, au verbe autoritaire et au geste souverain qui avait croisé ma route. » 

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de D. Pouliot, Denis Morin, 2020