jeudi 27 août 2020

Des preuves de prédation de Michel X Côté

 

Michel X Côté publiait en 2002 aux Éditions Trois-Pistoles le recueil Des preuves de prédation. Les Amérindiens et les Métis ont compris qu’ils appartenaient aux paysages et qu’ils étaient une partie intrinsèque de ce monde. Le territoire ne se définit pas par des bornes de cadastre et des titres de propriété. Loin de là. Les vents, les saisons, la cime des arbres nous définissent et tissent notre être.

Le poète déplore cette mainmise blanche et industrielle sur une région telle l’Abitibi que l’on transforme en mines, en collines rasées. Les forêts d’avant restent dans la mémoire du marcheur et du rêveur contemplatif. Il se désole à l’idée du permis à demander pour visiter le lieu où sa mère accoucha autrefois.

L’écrivain souligne aussi les abus de l’homme sur l’homme, le corps du client qui se pose sur celui de la prostituée, l’enfance que l’on achète ailleurs, les victimes de ces conflits militarisés…

Une touche de tristesse amère nous reste au cœur, mais est-ce ainsi que nous souhaitons vivre ? Le poète constate et se désole de l’envers mercantile du décor.

Michel X Côté est un poète québécois à lire, si ce n’est déjà fait.

Extraits :

« Nos jardins sont des champs de mines

Cueille ma douleur mon cœur

J’entends pleurer ma voisine

Nous tenons entre nos mains

Des fruits ensanglantés

Les beaux corps humains

De nos enfants mutilés »

 

« Un lac de faille

Au creux d’une main ouverte

Un continent noyé abordant

Aux rivages râpés du ciel

Je vois une fonderie avaler

La dernière clarté d’une ville »

 

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de M. X. Côté, Denis Morin, 2020

 

 


mercredi 12 août 2020

Printemporel de Louise Frottin

 


Belle découverte que Printemporel de Louise Frottin, roman paru en 2020 chez JDH Éditions, dans Magnitudes 8.0.

Une femme d’un milieu modeste avec sa vie ordinaire épouse un homme. L’amour des premiers instants fait place à la routine, au goulot d’une bouteille et aux coups. L’homme s’excuse le lendemain, jure qu’il ne recommencera pas, puis le temps file… Pour une raison ou pour une autre, les coups pleuvent, puis l’homme impose ses envies sexuelles, sans tenir compte de l’autre. Il veut, il prend en des scénarios sado-masochistes. C’est tout. Elle met du poison à rat dans ses mets. Il s’en rend compte. La cruauté reprend de plus belle.

Seules bouffées d’air, elle n'a que des souvenirs liés à ses parents et à sa grand-mère, la pratique de la musique avec son amie Louise et son frère, le doux Sébastien avec qui elle aura une histoire.

On voit cette femme s’enfoncer, se déprécier, mais on sent aussi sa résilience et son envie de vivre. Ce roman de 272 pages contient de nombreux élans poétiques. Si j’avais été l’auteur de ce livre, je l’aurais amputé de 20 pages tellement j’en avais marre de la voir encaisser la violence.

Voici un très bel ouvrage sur le vécu quotidien par bien des femmes et leur souhait de jours meilleurs.

Bref, un texte percutant à lire absolument.

Extraits :

« Je ne voyais pas Karl. Je sentais sa peau contre la mienne et j’entendais sa respiration. Avant j’avais tellement envie de me blottir contre lui. Peu importait son mépris. Peu importait sa colère. J’avais l’impression qu’hier encore nous étions dans ce lit, corps contre corps, visage contre visage, rêve contre rêve. Et aujourd’hui, je ne savais plus. Cul contre cul, dos contre dos, vide contre vide. »

« Puis d’année en année, je me suis recroquevillée et ratatinée, d’année en année je suis devenue transparente et normale. Une femme éteinte. Une femme abattue. Une femme à battre. »

© Photo, JDH Éditions ; texte du billet, sauf les extraits de L. Frottin, Denis Morin, 2020

 

 


vendredi 7 août 2020

Anna et l'enfant-vieillard de Francine Ruel

 

Francine Ruel est comédienne, enseignante et écrivaine. En 2019, elle a fait paraître Anna et l’enfant-vieillard chez Libre Expression. La couverture laisse planer deux interprétations possibles : a) le lien douloureux entre une mère et son fils malade ; b) un père ‘’qui retombe en enfance’’ et dont la fille doit prendre soin.

En fait, la première réponse est la bonne. Anna, couturière habile, divorcée, voit au bien-être de son fils devenu un adulte meurtri par la vie, à la suite d’un accident. La narratrice est cette mère partagée entre cet enfant lumineux et rieur qui était le centre de sa vie et l’homme usé par l’itinérance et les drogues fortes. Parviendra-t-elle à ne pas laisser sa peau dans le soutien apporté à son fils ? 

Ce roman est imprégné d’émotions, mais sans verser dans le pathos, même si la larme n’est pas loin. Je recommande ce livre tout spécialement aux parents en prise avec un enfant prisonnier des paradis artificiels.

Extrait :

« Anne se trouve devant une phrase de Sénèque qu’une amie a apposée sur son réfrigérateur :  

« La vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe. C’est apprendre à danser sous la pluie ! »

 Anna a mal aux pieds après tous ces pas de chat, ces battements, ces soubresauts, ces pliés, jetés, fouettés, arabesques, pirouettes, ronds de jambe et grands écarts qu’elle a dû exécuter au fil des ans dans cette valse hésitante, ce pas de deux périlleux avec son fils comme partenaire. »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de F. Ruel, Denis Morin, 2020


samedi 1 août 2020

L'apparition du chevreuil d’Élise Turcotte



Élise Turcotte est une femme de lettres québécoise s’étant méritée à maintes reprises des prix prestigieux. Elle enseigne aussi la littérature à Montréal.

Dans L’apparition du chevreuil, roman publié en 2019 chez Alto, Élise Turcotte nous présente une écrivaine émancipée et convaincue qui doit prendre ses distances des médias sociaux où elle reçoit des menaces à peine voilées d’un militant de l’extrême-droite. Ces points de vue divergents sur l’éducation de son neveu l’ont fait prendre ses distances de sa famille, de sa sœur trop soumise et surtout du beau-frère qui souhaite transformer un garçon rêveur et craintif d’à peine six-sept ans en un garçon courageux qui n’a pas peur des bruits de la forêt et des grognements d’un ours. L’écrivaine ira se réfugier dans un chalet en plein hiver pour avoir la sainte paix, jusqu’au jour où son beau-frère surgira et qu’elle comprendra que son neveu a été enlevé par son père dans une cabane abandonnée tout près de là.

Je n’en dirai pas plus afin de ne pas dévoiler l’intrigue ni rompre le charme de ce roman avec son lot de métaphores. Justement, ce roman me donner le goût d’aller découvrir ses recueils de poésie.

À découvrir !

Extrait :

« Quand son père part travailler, au début de la soirée, l’enfant vient me chercher en vélo pour aller au parc du héron. C’est notre secret, un rituel ; ainsi, je lui apprends à mentir, la sœur aussi, par omission. Depuis l’épisode du chien, une menace plane sur la petite famille. L’enfant a parlé d’un fusil, il se demande si son père a tué le chien, il se demande si sa mère va mourir. Au parc du héron, il s’assoit près de moi et le demande… »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de É. Turcotte,
    Denis Morin, 2020