mardi 21 avril 2020

La vie bercée de Hélène Dorion et Janice Nadeau






Certains livres arrivent avec un certain recul jusqu’à nous. C’est le cas de La vie bercée dont les beaux textes poétiques d’Hélène Dorion sont soutenus par les touchantes illustrations de Janice Nadeau. Ce bouquin paru en 2006 aux Éditions Les 400 coups est en apparence conçu pour les enfants, mais j’ose avouer qu’il tout est aussi intéressant à lire pour l’ancien enfant devenu grand. On y évoque les différentes étapes de la vie : les langes, la voix rassurante des parents, la course dans les champs, les rêves d’avenir, l’adolescence, l’affirmation de soi, le départ de la maison familiale, le rapport aux autres membres de la famille, le souvenir gardé des êtres aimés vieillissants ou disparus.

La vie bercée est une belle parabole du cycle de la vie, de la ronde de nos jours. Puissiez-vous laisser traîner ce doux conte poétique sur une table à café pour que vos petits et vos adolescents le feuillettent et amorcent un dialogue avec vous sur le temps qui passe…

Extrait :

« Des années, il t’en faudra
des dizaines pour recoller
tous les morceaux éparpillés
de l’histoire, comprendre,
voir ton père, entendre ta mère,
et toucher les larmes
de ta sœur, de ton frère,
défaire les nœuds
devenus des murs.
Des dizaines d’années, il faudra
des dizaines d’années
pour rouvrir les passages
jusqu’au cœur, et qu’il ne reste
que l’amour, juste
l’amour entre chacun. »

© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de H. Dorion,
    Denis Morin, 2020

lundi 20 avril 2020

Pierre, de Christian Bobin




Christian Bobin, je l’ai découvert vers 1995 avec Le Très-Bas, soit une des plus belles hagiographies sur François d’Assise. La prose poétique de Bobin est une envolée d’oiseaux en une aube nouvelle. Rien n’est lourd. Tout est grâce. Son écriture m’apaise et m’invite à l’intériorité.

À ma librairie habituelle, je suis entré en 2019 et j’ai vu poser là, sur un présentoir Pierre, publié chez Gallimard. Je me suis dit que c’était inhabituel cette virgule dans le titre comme une continuité, un geste en action, des points de suspension. Puis j’ai débuté en ces temps de confinement la lecture de ce livre singulier qui est en fait une déclaration d’amitié et d’amour à l’endroit de Pierre Soulages, un peintre abstrait, créateur et spécialiste des outrenoirs.

L’outrenoir est une œuvre sur fond noir. Le peintre peut exercer le passage d’outils pour créer des rainures. Il peut aussi appliquer du rouge, du bleu, du blanc, ajouter plus tard du noir, puis gratter pour faire jaillir la couleur sous-jacente. L’outrenoir fait penser à du bitume mouillé par la pluie. La lumière se réfléchit sur le noir pour jaillir à notre iris.

Pierre Soulages vit à Sète. La peinture de Soulages réclame le souffle lent du contemplatif.

Aucune peinture n’est présente dans ce livre. Une recherche en ligne en complétera la lecture pour la question iconographique.

À lire, si vous aimez l’écriture, la prose poétique, la peinture, l’histoire de l’art.

Extraits :

« Quand on regarde un inconnu à la vitesse de l’éclair, on voit un ange. Cette vision permet de supporte la découverte banale de sa mort dans le monde. Voir est la grande affaire. Dans l’exposition au Creusot, je suis passé dix fois devant ce triptyque et dix fois je l’ai renié. Son peu d’éclat le protégeait de la paresse de mes regards. » p. 38

« Tes outrenoirs, tu les signes au dos – ainsi nous ne sommes jamais devant toi, devant ton nom, mais nous sommes face à je ne sais quoi de laqué, de sculpté, de noir avec des échappées de silence – les sautes de courroie de la lumière. » p. 47

« La grâce est dans les intervalles. Dans ce qui se tait et ne descend dans le caveau d’aucune image. Toi, devant nous comme un outrenoir dernier-né. L’amour – ou l’amitié –, c’est s’approcher si près du cœur de l’autre qu’on en est à jamais irradié. Étrange d’aimer un peintre. Je n’aime pas qu’on accroche quelque chose au mur. » p. 73

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de C. Bobin,
    Denis Morin, 2020

samedi 18 avril 2020

Les lieux de Marie-Claire Blais, Marie-Claire Blais et Lise Gauvin



Comme il est bon parfois de se tourner vers les lieux où l’on a vécu pour décrire son parcours. Les Éditions Nota Bene proposent en 2020 Les lieux de Marie-Claire Blais. Au début, Lise Gauvin songeait à une biographie, puis s’est ravisée pour proposer à Marie-Claire la formule d’entretiens. Cela donne un livre très pertinent sur cette écrivaine à la défense des marginaux et de différentes causes. Par le biais de cet ouvrage, on a droit à une sorte de survol historique et culturel du Québec, du Canada, de la France et des États-Unis.

Québec, Paris, Key West, Montréal, Key West sont les villes dont on traite et où certains entretiens ont eu lieu entre ces deux grandes amies. De plus, des photos de Marie-Claire Blais, des œuvres picturales de l’écrivaine, des lettres de Réjean Ducharme et des extraits de Soifs Matériaux (adaptation théâtrale du cycle de romans par Denis Marleau) s’ajoutent aux entretiens.

Pour un cours d’histoire de la littérature et des arts en Amérique du Nord, ajoutez ce livre à votre bibliothèque sans faute.

© Photo, texte du billet,
    Denis Morin, 2020


mardi 14 avril 2020

Aux confins de l’invisible, haïkus d’intérieur illustrés, de Cornéliu Tocan



Quand le confinement inspire Cornéliu Tocan, ça donne le brillant recueil Aux confins de l’invisible, haïkus d’intérieur illustrés, recueil qui vient d’être publié chez Créatique. Les dessins aussi de la main de l’auteur font écho aux poèmes. Il y a matière à humour et à réflexion, comme si ces textes reflétaient une partie de soi et des autres. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les poètes sont souvent spectateurs et fins observateurs du monde dans lequel ils évoluent, passant à leur guise devant et derrière le miroir.

Je vous recommande la lecture de ce jeune auteur qui sait me faire sourire et réfléchir. Brillant, vous dis-je !

Extraits :

À propos de l’anxiété (dessin avec tête entourée de notes, de sons)
« Capharnaüm sourd
D’aigües voix intérieures
En polyphonie. »

À propos de la conscience (dessin de masque)
« Masque filtrant l’air des mots
Ou muselière,
Droit de la pensée. »

© Photo et extraits, Cornéliu Tocan,
    billet, Denis Morin, 2020





lundi 13 avril 2020

Grossir le ciel de Franck Bouysse




Franck Bouysse, ancien professeur de biologie et romancier depuis 2004, a publié chez La manufacture de livres en 2014 le roman Grossir le ciel, réédité Le livre de poche en 2015. Ce roman qualifié de roman policier s’est mérité de nombreux prix dont le Prix SNCF du polar 2017.

Nous sommes dans un petit bled des Cévennes où la vie est rythmée par la traite des vaches. Tout est en apparence tranquille, trop tranquille. Il y a quelques années, Gus a vu sa mère blesser à mort son père, puis cette dernière se pendre au retour de la prison à la grange. À la suite de ces deux tragédies, il se lie d’amitié avec Abel, son voisin taciturne, avec qui il partage certains travaux de ferme pénibles et quelques verres d’alcool le soir.

La vie suit son cours jusqu’au jour où Mars le chien de Gus sort d’un buisson pris de frayeur et qu’une plaque de sang couvre la neige chez son voisin. Gus soupçonne Abel d’un crime, puis peu à peu tout tourne au drame.

Grossir le ciel fut écrit avec une grande maîtrise par son auteur. On avance lentement, trop lentement pour le Nord-Américain que je suis, vers les ténèbres. Franck Bouysse installe tranquillement le contexte, puis tout déboule tel un rocher dévalant vers le creux d’un ravin.

Somme toute, voici de l’écriture forte. Ça me plaît. Je reviendrai plus tard avec d’autres titres de ce romancier.

Extrait où l’on décrit Abel :
« À soixante-dix ans passés, il était encore vigoureux pour son âge. Le travail d’une vie lui avait fabriqué des muscles qu’on voyait encore sous la peau détendue de ses avant-bras barrés de veines grosses comme de la ficelle de lieuse. Ce qu’on retenait surtout en le voyant, c’était ce regard qui vous accrochait, et au travers duquel on pouvait deviner une histoire qui avait dû être faite de plus de creux que de bosses. Ses yeux étaient délavés, rincés par la vie, un peu comme le ciel quand il n’a pas vraiment de couleur définie. »

© Photo, billet, sauf l’extrait de F. Bouysse,
    Denis Morin, 2020

dimanche 5 avril 2020

L'Infini Temps et Tous les Ciels de Ghislaine LaVoie


Ghislaine Lavoie ou LaVoie, c’est d’abord et avant tout Ghislaine LaVoix que j’entends lorsque je lis sa poésie intimiste, son regard porté sur sa vie, les saisons, son époux, les générations, le fleuve Saint-Laurent. En fine observatrice, elle voit tout, elle ressent tout et elle décrit finement son environnement et son monde intérieur. Elle est une eau limpide qui roucoule comme ruisseau au matin de Pâques.

En 2019, elle a fait paraître deux recueils de poésie L’Infini Temps et Tous les Ciels qui recèlent des réflexions inspirées et inspirantes sur le temps qui passe et sur les ciels, en fonction des états d’âme. Elle ne cherche pas à épater la galerie par de savantes arabesques littéraires, mais juste à être qui elle est, une femme de cœur. J’ai perçu son admiration pour Félix Leclerc et Gilles Vigneault au travers de certaines images comme doux clins d’œil faits à ces deux pionniers de la culture française en Amérique et chantres de la francophonie.

Vous pouvez la contacter via Facebook, si vous souhaitez vous procurer ces deux livres.

Extraits :

« La verdeur naît chaud en mes rimes lisses, dans les paysages dont je m’habille, dans les herbes à genoux que cent mains de vent soulèvent. Si je regarde mieux, le monde est rempli d’oiseaux détachés qui s’en vont réchauffer un ailleurs. Mais je reste inclinée sur la page et les nids recommencent, puis je ne gis plus au pied des mots, syllabes en cendres dispersées. Puis je m’accorde racines. »

« Ma plus sage maison
Est celle que j’habite
Tout au-dedans de moi
Sans peur et sans limite
À l’écho de ma voix
Toute ma vie s’y passe et ma respiration
Se trouve en ce lieu-là. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de la poète,
    Denis Morin, 2020