lundi 31 octobre 2022

La deuxième plume de Franck Bel-Air de William Techer-Perez

 

William Techer-Perez, c'est l'identité d’un auteur qui a du style comme son écriture qui en a tout autant. En 2021, le directeur littéraire Yoann Laurent-Rouault chez JDH Éditions lui propose de se joindre à la collection Black Files au contenu de suspense et de policier avec le roman La deuxième plume de Franck Bel-Air. Il avait bien vu.

Dans ce roman, nous avons en parallèle un gérant de magasin-entrepôt sur le point de disjoncter qui écrit des romans comme d’autres respirent. Un éditeur lui suggère d’endosser le rôle d’écrivain-fantôme pour un écrivain people à l’inspiration aussi sèche que le désert. Accepté. Marché conclu. Puis, survient la disparition d’une employée.

En parallèle, un policier flemmard et une jeune collègue orpheline d’un père policier enquêtent sur cette même disparition.

L’auteur de ce roman s’interroge à voix haute et avec un humour cynique sur les lettres, le négoce des livres, le talent, le lectorat à qui l’on dicte le goût du jour. Faut-il nécessairement s’isoler, détruire, tout saccager autour de soi pour créer ? Vampirise-t-on l’existence au point d’en écarter les autres de sa ligne de vie ? Y a-t-il lieu de détester l’illustre artiste sous les projecteurs alors que cette complicité mercantile nous relègue inexorablement au placard le plus sombre ?

William Techer-Perez répond à ces questions par la voix de son écrivain-fantôme. Les dialogues entre celui-ci et Franck Bel-Air sont brillants. Je referme ce livre ravi.

À découvrir chez JDH Éditions. Dites-nous William, à quand le prochain opus ?

Extrait :

« Il m’énervait avec sa manie d’avoir réponse à tout. En un sens nous nous ressemblions. Mis à part le fait que j’occupais la place de l’ombre, nous n’étions pas si différents : arrogants, sardoniques, tristes et prosaïques. Deux sous-merdes dont l’une adulée et l’autre vulgairement anonyme. »


© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de William Techer-Perez, Denis Morin, 2022

 

 


dimanche 23 octobre 2022

Quand Champlain rencontre Frontenac de Mélanie Jean

 

L’album Quand Champlain rencontre Frontenac vient de paraître à l’automne 2022 aux Éditions Le Baladin.

Géographe de formation, Mélanie Jean pratique la photographie. Elle parcourt artistiquement l’espace et les époques. Quoi de mieux que la ville de Québec, première cité francophone d’Amérique du Nord, en guise de terrain de jeu !

Ainsi, elle s’est promenée à travers les rues étroites, les places et s’est documentée sur ces lieux qui confèrent à Québec cette touche si européenne si prisée des touristes et des citoyens. Les immeubles sont les traces de la Nouvelle-France, puis du passage au Régime anglais avec l’arrivée progressive de marchands écossais et d’ouvriers irlandais.

Mélanie Jean a eu recours à des drones pour créer des photos panoramiques absolument magnifiques. De plus, ses notes nous accompagnent tout au long de ses trajets. Nous assistons à un spectacle visuel et à un cours d’histoire. C’est du pur ravissement !

Pour orner une table à café ou pour offrir à des passionné.e.s d’histoire, vous pouvez vous procurer le livre aux Éditions Le Baladin à editionslebaladin@outlook.com ou à la Libraire La liberté sise au 1073, route de l’Église à Québec. 

Bonne découverte !

© Photo, texte, Denis Morin, 2022

 


mercredi 19 octobre 2022

La bigame de Felicia Mihali

 

Felicia Mihali trace sa route lentement et dignement à titre d’écrivaine, de traductrice et d’éditrice. Elle sort deux fois plutôt qu’une des chemins balisés. Son roman La bigame paru chez Éditions Hashtag en 2018 procure une lecture singulière et formidable.

Dans cette histoire, une narratrice quitte la campagne roumaine et les rues affairées de Bucarest pour les quatre saisons de Montréal. Elle part avec son compagnon Aron, l’intello élégant, érudit et contestataire. Notre narratrice débute des études littéraires à l’université. Peu à peu, le cercle du couple s’agrandit jusqu’au jour où survient Roman, tout aussi fascinant que le premier. Un jour, lassée de materner Aron, elle le quitte pour gagner les bras de Roman.

Le monde est vu par la lorgnette fascinante de la narratrice. Elle analyse la conduite des autres et se connaît très bien aussi. Il y absence de répliques entre la couverture et la quatrième de couverture. Ce roman justifie à lui seul cette étude psychologique réussie de la protagoniste et d’autrui.

Felicia Mihali nous pose les questions suivantes :

Quitte-t-on vraiment ses racines ? Oublie-t-on la maisonnée de sa mère, le pays du père si distant et ses traditions lourdes ? Un amoureux en vaut-il un autre ? Est-il possible de s’épanouir avec un deuxième homme tout en gardant une certaine tendresse pour le premier ? L’intégration dans ce nouveau monde se crée-t-elle en jetant un pont entre l’Europe d’hier et l’Amérique de maintenant ? Est-il approprié de se sentir à la fois d’ici et d’ailleurs ?

Je vous invite chaleureusement à lire ce roman avec cette narratrice proactive, dynamique qui décide de s’inventer un avenir plutôt que de subir la banalité des jours. J’adore !

Extrait : 

« Plus que tout, je me sentais utile dans sa vie grâce aux conseils avisés que je lui donnais pour améliorer son travail de journaliste communautaire. Il m’écoutait, méfiant. Mon arrivée dans sa vie rimait avec la conquête, non seulement d’une femme, mais aussi de l’art le plus subversif qui soit, celui de la parole. »


© Photo, texte du billet, sauf l’extrait de Felicia Mihali, Denis Morin, 2022

 

 

 


dimanche 9 octobre 2022

Disparaître de Jacques Lemaire

Jacques Lemaire, issu du monde de l’enseignement, publie en 2022 chez Les Éditions Sémaphore ce recueil de nouvelles intitulé Disparaître.

Le nouvelliste peint des manières sur le comment disparaître aux yeux du monde, des autres, par la fugue, par la mort imposée, par l’oubli, l’itinérance. Le style est précis et les ambiances mystérieuses et glauques. Edgar Allan Poe n’est pas loin. Le prose est dramatique et prenante. Le lecteur en sera quelque peu ébranlé par la dureté de la vie. 

Par habitude, je lis avant le sommeil et certains personnages sont venus le hanter. Rassurez-vous, j’en suis sorti vivant à l’aube venue, malgré l’inquiétude d’un fusil sur la nuque ou d’une lame dont le fil effleure la carotide. Un cauchemar demeure toujours une tragédie. On se réveille en sursaut en pleine nuit, essoufflé par les itinéraires sans but apparent.

Par contre, il est de ces voyages dont on ne revient pas alerte et vif. La destinée des personnages présentées ne baigne pas dans la félicité la plus béate. L’auteur nous fait bien sentir la gravité des choses, le poids des actes commis, la conséquence, la fatalité, la mort telle une délivrance de soi à soi-même ou face à autrui. La neige en bord de fleuve et la mousse au pied des arbres peuvent-elles boire le sang versé et les larmes amères du regret ?

Somme toute, dans Disparaître, Jacques Lemaire prend le risque d’affronter les ombres et d’aborder la partie ténébreuse de nous-mêmes. C’est réussi et on en redemande.

Extraits :

« Le tatouage se poursuit, un point après l’autre, un pixel sur cet écran que je vous embrasser, mais non, je ne vais pas me laisser aller, je tiens à ma réputation, je sais ce que vaut l’honneur dans ce métier. Ce genre de folies que me tente aujourd’hui ne fait partie de mes habitudes. Pas une miette. Normalement, une peau c’est une peau, voilà tout. Cette fois-ci, c’est autre chose. »

« Je traverse d’autres rues, j’avance le long de terrains vagues, puis sur les passerelles au-dessus des autoroutes. À Notre-Dame, je tourne à droite et je m’enfonce dans les ruelles, vers le fleuve. Il n’y a plus personne sur les trottoirs. Tant mieux : je suis certain que la peine me tord la bouche et je ne veux pas qu’on s’apitoie. »

© Photo, texte du billet, sans les extraits de Jacques Lemaire, Denis Morin, 2022