jeudi 28 novembre 2019

L'inédit de Marie Cardinal


À la fin de l’adolescence, j’ai eu de grands coups de cœur pour Félix Leclerc et Anne Hébert, puis pour Camus, Duras, Yourcenar et Marie Cardinal. J’eus la chance de rencontrer un professeur de français et une professeure de philosophie qui, à six mois d’intervalle, m’ont mis leur copie perso du récit biographique Les mots pour le dire de Marie Cardinal. Puis les années passèrent jusqu’au retour de cette écrivaine via L’inédit paru en 2012 chez Annika Parance Éditeur, grâce au minutieux travail d’assemblage des textes entrepris patiemment par ses filles, Alice et Bénédicte Ronfard, et Annika Parance.

Le résultat : Brillant ! Marie Cardinal s’entretient avec nous en mode confidence. Elle se questionne sur l’écriture et la difficulté parfois d’écrire. Elle fait le tour d’elle-même en effectuant le tour du monde par la force des événements politiques, familiaux et personnels. Elle s’ennuie de l’Algérie ou de Paris dans un appartement à Montréal, pendant qu’il neige à gros flocons dehors. Elle surveille l’hiver confinée chez elle. L’enfance, le mari, les enfants, la mère sévère, les cercles littéraires, les conférences à donner, les aéroports, le tout se présente comme une pelote de laine que l’on déroule et avec laquelle s’amuse le chat ou le chien de la maisonnée s’amuse… La lumière de la Méditerranée, la grisaille parisienne, les fleurs et les jardins de la maison secondaire du Vaucluse, les terrasses de la rue Saint-Denis à Montréal, tout s’anime pour notre regard de témoin.

Elle a ri, pleuré, aimé, joui, souffert. Elle s’est rebellée. Elle a douté. Elle a avancé malgré tout. Elle a pris soin des autres et d’elle-même. Elle a voulu se comprendre elle, en quelque sorte, ambassadrice de la moitié de l’humanité. Merci pour ces belles retrouvailles !

Extraits :
« Maintenant je suis devant un trou vertigineux : celui de la conclusion. Je ne sais pas pourquoi la femme s’est mise à écrire. Je suis proche du désespoir. J’en ai marre. Mon avenir est bouché par ce livre maladroit et sa progression absurde. Faire confiance à l’inconscient qui connaît mieux le livre que moi. C’est difficile. Ça me fout la panique. »

« Je me sens très proche de la femme des 143 pages. J’aime son étrangeté. Elle me touche, m’émeut, m’attendrit. Je et Elle. Moi et une femme. Moi et la femme. De la femme à moi, il y a une distance incalculable. Et pourtant je suis collé à elle. Je se cache tout le temps dans Elle. Et Elle, c’est Je le plus souvent. »

« Les écrivains ne devraient pas avoir d’intimes. Ou alors mes intimes ne mes voient pas comme écrivain, c’est plutôt ça. Ils me voient comme la maman, la patronne, la chef, la bonne femme. Ça tient au fait que je n’ose pas moi-même me vivre comme écrivain. Un écrivain, c’est plus que Moi… Je suis une « écrivanière », une plumitive, une rien du tout. »

© Photo, billet, sauf les extraits de Marie Cardinal,
    Denis Morin, 2019



mardi 26 novembre 2019

Ellesmere de Marie Desjardins



Marie Desjardins publiait en 2014 le roman Ellesmere aux Éditions du CRAM. Quel roman ! Tout y est en clair-obscur avec un seul narrateur et une absence de dialogues. On passe de la lumière au bleu saphir pour parvenir aux ténèbres avant de regagner le soleil de minuit.

L’animal totem du narrateur est un épervier qui survole tout et voit tout. Il se prend pour l’oiseau, mais l’épervier prend parfois du plomb dans l’aile.

Vivant dans un village sur la rive nord du lac Deux-Montagnes, on fait la connaissance d’une mystérieuse famille. Le père, le ‘’perdant’’ de sa fratrie composée d’un politicien à Ottawa, d’une violoniste vivant en Suisse, d’un écrivain installé en Californie, impose un régime de terreur à sa femme et à ses enfants. Il est d’une grande sévérité avec eux, frappe Jess l’aîné qui l’assiste dans les soins vétérinaires prodigués aux troupeaux bovins de la région. Il y a aussi la mère qui rêvasse en peignant des aquarelles.

Puis Jess décidera de mener sa vie comme bon lui semble. Il reproduira les patterns de violence subis par son père auprès de ceux et celles qui croiseront sa route. Le narrateur, le deuxième frère, remarque très vite la très grande complicité entre Jess et leur sœur. L’aîné partira d’abord pour Port Harrison, puis pour Ellesmere au Nunavut pour expier le passé. Il bâtira des maisons pour les descendants des déportés inuits des années ’50. D’ailleurs, on le surnommera l’inuit blanc.

Le narrateur deviendra un peintre à succès après avoir peint Ellesmere selon les souvenirs de sa sœur ayant rendu visite à leur frère exilé. D’ailleurs, ce peintre vampirise les autres à bien des égards. Quant à leur sœur, elle peint dans le silence. Elle crée dans l’anonymat. Elle attendra telle une Pénélope l’amour avant d’aller peindre des icônes dans les monastères orthodoxes d’Europe de l’Est.

Dans Ellesmere, il y a la plume de Marie Desjardins qui sait écrire et nous porter des Basses-Laurentides au Nunavut. On a droit aussi à des détours en Russie et en Roumanie. Que d’instants de grâce dans ce roman !

Extraits :

« Jess approuvait. Un faux sourire se figeait sur sa face et ses yeux devenaient des lames de froideur. Tout se passait à l’intérieur de lui. Son monde semblait immense, peuplé et inaccessible. Je percevais des lignes, des couleurs et des formes. C’était bleu, mouvant et à la fois étale, une vaste étendue d’eau lointaine et glace. »

« Elle se promenait dans l’église comme une touriste dans un musée, s’arrêtant devant chaque station, chaque statue. Il y en avait du Christ, de Marie, de saint Michel archange et une petite de Kateri Tekakwitha le lys des Agniers, la patronne des nations amérindiennes. Ma sœur demeurait surtout au pied de celle-là. »

« … parfois même je dessinais, toujours étonné du prodige de quelques petits coups de crayon sur du papier, autant de gribouillis qui pouvaient devenir des chefs-d’œuvre et se vendre à prix d’or – tout est question de circonstances, le talent n’a pas forcément d’incidence réelle dans tout cela, un peu comme la beauté : elle peut être stérile, comme celle de ma sœur. Flamme d’un lampion vacillant dans une église ténébreuse. Une vie sans existence. »

© Photo, billet, sauf les extraits de Marie Desjardins,
    Denis Morin, 2019


dimanche 24 novembre 2019

Quelque part en Occident de Stéphane Lefebvre



Après Infidélités, roman paru en 2015 chez Annika Parance Éditeur, voici que l’auteur Stéphane Lefebvre nous revient en force en 2019 avec Quelque part en Occident toujours à la même enseigne.

Le personnage de Jean-Pierre aime suivre les gens. Il leur imagine des vies comme le font les comédiens et les écrivains qui vampirisent des scènes de vie pour mieux rendre des personnages sur scène, à l’écran et sur les pages de vos livres. Donc, Jean-Pierre suit une femme magnifique, le sosie de Naomi Campbell. À un moment précis, elle déplie un foulard, entre dans un bâtiment. Jean-Pierre entre par une autre porte. Sa curiosité l’a mené dans une mosquée. Certaines rencontres semblent providentielles et peuvent modifier le cours d’un destin. Il fera la connaissance de Rachid avec qui il dialoguera sur l’Islam. Rachid tente de s’intégrer et de se dénicher du boulot, mais n’y parvient pas. De son côté, Jean-Pierre tente de trouver un sens après le suicide de son frère revenu d’une mission en Afghanistan, mais n’y parvient pas non plus. Le roman évolue avec une double narration. Parfois, c’est Jean-Pierre qui nous parle et tantôt, c’est Rachid qui nous donne sa perception de la vie.

Par respect pour l’auteur, je me tairai et je n’en dirai pas davantage. Je ne vous livrerai pas même un extrait, vu la pertinence du bouquin. Toutefois, je vous avoue qu’on ne s’ennuie jamais avec Stéphane Lefebvre. Il a un esprit vif. Il est un homme enjoué. Il respecte les autres tout en ayant un grand sens de l’écoute. Il fait preuve d’humour. Il ose écrire sur des thèmes délicats et sensibles : dans Infidélités, c’était l’orientation sexuelle entre autres thèmes. Maintenant, on aborde la religion et le regard porté sur elle, à l’heure où la France et le Québec prônent la laïcité.

Somme toute, les qualités de Stéphane Lefebvre le mec sont aussi celles de Stéphane Lefebvre l’écrivain. Un style unique. Chapeau bas aussi à Annika Parance Éditeur pour l'audace de publier ce roman.

© Photo, billet, Denis Morin, 2019



samedi 16 novembre 2019

Ici ou ailleurs de Jean Echenoz et de Guy Delisle



Il était une fois l’écrivain Jean Echenoz qui fut inspiré par les dessins de Guy Delisle, puis il y eut aussi une autre fois où ce fut plutôt l’inverse… Le dessinateur Guy Delisle voulut associer des rues, des places de Paris et d’autres lieux aux mots de Jean Echenoz.

Il en résulte ce superbe livret-carnet intitulé Ici ou ailleurs, paru en 2019 aux Éditions Pow Pow.

Fait à noter que les artistes osent de plus en plus s’associer à d’autres artistes ayant d’autres pratiques artistiques pour notre plus grand bonheur !  À découvrir.

jeudi 14 novembre 2019

Une coccinelle au Nunavik d'Isabelle Larouche




Isabelle Larouche, écrivaine spécialisée en littérature jeunesse que j’avais découverte avec le roman Prophéties, nous revient par le nord, si ce n’est par le sud… Elle vient de faire paraître un joli conte Une coccinelle au Nunavik

D’une part, il y a Isabelle qui enseigne dans une école primaire à Kangiqsualujjuaq dans la baie d’Ungava se fait livrer des légumes en provenance du sud. Rien à signaler jusqu’au jour où une coccinelle qui s’était glissé entre deux feuilles de laitue jouera à la touriste.

Ce conte charmant est publié par Les éditions du soleil de minuit. Isabelle Larouche est l’autrice, tandis que les illustrations sont réalisées par Christine Sioui Wawanoloath et la traduction en inuktitut est de Sala Padlayat.

Voici une autrice à lire dont l’écriture convient aux 7 à 77 ans.

© Photo, texte, Denis Morin, 2019

lundi 11 novembre 2019

Professeur de paragraphe de France Boisvert



France Boisvert est une écrivaine (roman, nouvelle, poésie) qui enseigne et dessine. Elle publiait en 2017 chez Lévesque éditeur, dans la collection Réverbération, Professeur de paragraphe.

Maurice Lecamp enseigne la littérature, son champ de bataille, à des cégépiens armés de leur quincaillerie technologique qui n’en ont rien à cirer de Baudelaire, de Boileau, de Félix Leclerc, de Yourcenar ou de Duras. Le monde change et lui veut se cantonner aux plus grands écrivains. Son couple aussi bat de l’aile avec sa conjointe lexicologue à la pige dont le contrat consiste à remanier un dictionnaire selon la nouvelle orthograve (sic) au grand désespoir du doctorant enseignant qui dessine parfois au tableau pour attirer l’attention des étudiants distraits.

Ce roman se lit le sourire aux lèvres. C’est habilement mené. Ce professeur grincheux et érudit est attachant. Je lis surtout en fin de soirée au lit. Il m’arrive rarement de rire aux éclats à minuit, moi qui ris si peu, mais cette écrivaine y est parvenue. Je recommande chaleureusement la lecture de ce roman à ceux et celles qui pensent qu’enseigner ce n’est rien. Vous changerez d’avis. Pour l’instant, on court vite à sa librairie préférée pour se le commander. Fait à noter aussi que le dessin en couverture émane de la main de France Boisvert. Elle fait dans les talents multiples comme d’autres font dans le multitâches.

Extraits :

« Pour marquer la rentrée de la littérature classique, j’annonce les grands auteurs de l’époque et, tel un majordome dans quelque bal de débutantes, je décline toute la noblesse par le menu. J’enchaîne à propos de Versailles, la cours hors de Paris qui ne connaît pas de salut, la cour où piétine une noblesse reléguée en banlieue comme Rosemère pour eux. (…) Il y a une punkette qui exige d’être baronne de Varsovie, une autre au nez parsemé d’anneaux, l’égérie des Bourbon, je n’y vois aucun inconvénient d’autant plus qu’ils ont une imagination folle, faut-il le reconnaître. »

« Ça y est, je m’excite, je m’exalte, je prends la craie pour dessiner au tableau comment on est passé de l’âge de pierre, où l’on gravait comment on est passé de l’âge de pierre, où l’on gravait des idéogrammes aux tablettes d’argile où l’on sculptait des consommes avec un stylet. (…) Soudain, derrière, un grand dadais lève la main pour dire que personne ne lui a jamais raconté ça, qu’il n’était pas au courant de rien pour les dessins de Lascaux et le cantilène de sainte Eulalie... »

« Cette langue réformée est de celle de ceux qui finiront par en édifier la chaire dans les universités.  Il s’agit de vendre un nouveau produit, la lancer pour en faire le commerce, celui des références. Le but marchant visa à renouveler le stock des bibliothèques dans les universités françaises, les cégeps québécois, les collèges, les lycées et les athénées européens… »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits de France Boisvert,
    Denis Morin, 2019

samedi 2 novembre 2019

Ces étonnantes coïncidences de Diane Boudreau





La poète, pédagogue et conférencière sur Félix Leclerc, Diane Boudreau vient de faire paraître en 2019 un petit essai, Ces étonnantes coïncidences.

Elle y parle du hasard, des coïncidences, du synchronisme.

D’ailleurs, nous nous sommes croisés lors d’un événement de poésie et je me suis mis à lui parler du psychologue et psychothérapeute Jean-François Vézina et de son livre Les hasards nécessaires. Diane, à son grand étonnement, me confia alors écrire sur ce sujet. J’ai fait le pont entre elle et le psychologue qui l’encouragea à aller de l’avant dans ce projet d’écriture.

Dans son traité, Diane Boudreau donne des exemples personnels ou bien ceux de connaissances ayant vécu des coïncidences à des moments-charnières de leur vie comme si l’univers nous livrait des réponses providentielles à des questions et à un besoin nécessitant une solution.

Ce livre est écrit avec la limpidité de l’eau de source et l’empathie.

Vous pouvez commander votre exemplaire directement à Diane Boudreau en la contactant via Facebook.

© Photo, texte du billet,
     Denis Morin, 2019

Infidélités de Stéphane Lefebvre



Stéphane Lefebvre, informaticien et grand voyageur, signait en 2015 chez Annika Parance Éditeur un premier roman intitulé Infidélités.

Ce roman d’actualité débute par un repas pris par cinq amis dont l’un annonce sa conversion à l’homosexualité. Cet aveu inattendu pousse chacun d’entre eux, leurs conjointes, à se questionner sur le thème de la fidélité et de l’infidélité.

Peut-on coucher avec quelqu’un d’autre ? En prévient-on son épouse ? Et si elle comporte de la sorte ? Peut-on être fidèle à une société qui n’hésite pas à liquider ses effectifs pour maintenir un rendement économique à toute épreuve ? Doit-on vivre en conformité avec des standards sociaux à tout prix ? Est-il mieux d’être honnête face à soi-même avant de l’être à l’égard des autres ?

Toutes ces questions sont répondues avec finesse et tact par Yann, le narrateur, qui troquera son poste de gestionnaire pour cofonder un studio de yoga.

J’ai beaucoup aimé ce livre aux destins qui s’entrecroisent tels les tessons colorés d’une mosaïque.

Extraits :

« Il n’y a pas une vérité unique, chacun a la sienne, différente de celle des autres, sans pour autant que toutes ces vérités soient erronées. Chacun adopte celle qui lui convient. Moi, j’étais heureux avec la mienne. »

« La tromperie, principale peur du couple, était détruite, et la jalousie, principal élément destructeur, était transformée en envie. Il restait à voir si cette ouverture se maintiendrait dans la durée. »

© Photo, texte du billet,
     sauf les extraits de Stéphane Lefebvre,
     Denis Morin, 2019

Nouvelles d'autres mères de Suzanne Myre



Suzanne Myre publiait en 2010 le recueil Nouvelles d’autres mères aux Éditions Marchand de feuilles.

L’écrivaine décrit avec humour, cynisme et tendresse ce lien qui nous unit à la mère envahissante, celle qui a peur de se faire ravir sa place auprès du mari, celle qui insiste pour un voyage mère-fille car le temps presse, celle qui vous dit que vous avez un don pour l’écriture, celle dont on porte l’urne et les souvenirs, celle qui est kleptomane parce qu’elle veut nourrir son petit au bio, celle qui se suicide par mélancolie, celle qui attend nos appels téléphoniques.

J’ai lu ce recueil le sourire aux lèvres et la larme à l’œil. Les émotions, ça ne se provoque pas n’importe comment et ça ne s’écrit pas facilement. Ça prend du doigté et un supplément d’âme. Merci Suzanne Myre pour l’intelligence et ce supplément d’âme.

Extraits :

« Je n’ai pas dormi de la nuit. Quand ça fait des années qu’on a quitté la maison paternelle, dormir à côté de sa mère est angoissant. J’avais l’impression de régresser. Surtout au moment du bisou-bonne-nuit. Je pouvais voir son corps se soulever paisiblement à chacune de ses respirations, délicate montagne de quarante-neuf ans d’où j’étais issue… »

« J’entends parfois sa voix, quand elle me disait doucement : « Je serai toujours là avec toi, près de toi ». Mais, c’est où, là ?  Hier, j’ai enfin osé regarder mon reflet dans le miroir en brossant mes dents. Droit dans les yeux, biens secs pour une fois. Droit dans mon chagrin. C’est alors que je l’ai vue. »

« Une fois que mon masque d’ange est en place, j’utilise mes grandes manches et j’y camoufle biscuits, pots de sauce, raisins secs et vitamines, que je largue dans mes grandes poches. Pas trop à la fois. Si j’ai l’air d’une baleine à culottes de cheval en sortant du magasin, je vais éveiller des soupçons. On n’engraisse pas à faire son épicerie, ce serait même tout le contraire. »

© Photo, texte du billet,
     sauf les extraits de Suzanne Myre,
     Denis Morin, 2019