mercredi 29 janvier 2020

PsychoZe de Marie-Christine Arbour






Marie-Christine Arbour dans PsychoZe publié en 2016 chez Annika Parance Éditeur nous raconte les déboires de Marie-Christine qui vit une psychose. Le grand Zorg (Dieu) et des angelots lui apparaissent quand elle cuve son vin ou quand elle se dessine un œil de chat à la Barbara.

Tout d’abord, j’ouvre la couverture. Je tente de départager la zone de fracture entre la réalité et la part de fiction. (Je fais un aparté pour ceux et celles qui se questionnent pour la photo. Elle fut prise à la Gare Deux-Montagnes, le livre posé sur une ligne fissurée en bordure de quai, à même l’asphalte ; le jaune est un rappel du jaune de couverture.)  Revenons au bouquin. Marie-Christine la narratrice se questionne sur ses origines canadiennes-françaises ou juives. Elle sent que son père lui cache son passé. Elle entre en contact avec les Illuminatoires, groupe composé de marginaux inquiets, conspirationnistes qui voient ou entendent Dieu, qui consomment les drogues prescrites ou illicites. Soudainement, nous passons du roman psychologique de cette étudiante trentenaire au polar après l’extraction du foie de Prométhée, l’un des membres du groupe. Marie-Christine mène l’enquête, puisque la police a déjà jeté l’éponge.

Marie-Christine manie habilement les réflexions de la narratrice sur la vie, sur Barthes, la littérature, la beauté comme prison des apparences, le concept de normalité.

Je referme ce roman envoûtant en me demandant si la fiction et la folie surpassent la réalité si moche et si pathétique, du moins si prévisible.

Donc, je vous invite fortement à lire les livres de Marie-Christine Arbour, cette écrivaine singulière qui sort des sentiers battus.

Extrait :

« Elle a accepté l’invitation de Zoé au Saint-Sulpice, elle enfile un vieux jeans et un tee-shirt blanc, habillement réglementaire des jeunes. Elle se farde, car elle veut faire de son visage une contrefaçon. Elle attache ses cheveux d’un châtain terne qu’elle ne teint plus en blond depuis que Marc l’a quittée. Tout est en ordre : l’apparence supplante l’être. Elle salue les petits personnages qui ornent son miroir. Elle existe dans plusieurs mondes à la fois. »


© Photo, texte, Denis Morin, 2020

samedi 25 janvier 2020

Vic Vogel, histoires de jazz, de Marie Desjardins



Quand je pense au jazz à Montréal, je pense tout de suite à Oscar Peterson, Oliver Jones, Lorraine Desmarais, à Michel Donato, à Karen Young, au trio François Bourassa et surtout à Vic Vogel (1935-2019), pianiste, chef d’orchestre, arrangeur et compositeur.

Marie Desjardins eut le privilège de le rencontrer, d’entendre ses confidences et de rédiger cette émouvante biographie sur cet artiste autodidacte, fier descendant d’un violoniste hongrois. Son père avait aussi le talent de dompter les chevaux en Hongrie avant son départ pour le Canada. Son fils posséda le talent de maîtriser les notes et de tracer sa route, malgré les vicissitudes de l’existence. Sa carrière dura 66 ans.

Si les chefs d’orchestre en musique classique donnent des indications sur les nuances de jeu avec la main gauche, Vogel, être passionné et passionnant, dirigeait son band de la main gauche, soit celle du cœur.

Merci à la biographie pour nous avoir présenté 2013 aux Éditions du CRAM si habilement cette bête de scène et cet homme solitaire/solidaire.

Je ne peux que vous recommander la lecture de cette biographie, si vous souhaitez découvrir Montréal et ses bars enfumés d’autrefois, sa perception de la musique et la détermination de cet artiste hors du commun.


© Photo, billet de Denis Morin, 2020

dimanche 12 janvier 2020

Buvard de Julia Kerninon




Julia Kerninon reçut le prix Françoise-Sagan et le prix René-Fallet pour ce bijou qu’est Buvard, une biographie de Caroline N. Spacek publié en 2014 aux Éditions du Rouergue. C'était alors son premier roman de Julia Kerninon.

Lou, un jeune admirateur ayant tout lu l’œuvre d’une illustre écrivaine Spacek va à sa rencontre dans le Devon, en Angleterre. Il écoute et enregistre les entretiens. Peu à peu, elle (se) raconte devant témoin : sa famille dont elle voulut s’éloigner, son travail de serveuse, son apprentissage de l’écriture en étant la secrétaire d’un romancier. Ce fut en quelque sorte son entrée en écriture comme on entre en religion. Elle explique comment on l’aime, on la quitte ou on revient vers elle.

Ce long long entretien alterne entre les confidences de Spacek et les réflexions de Lou sur sa propre vie. Les images contenues sont si puissantes qu’on aurait l’impression d’être assis au cinéma et de voir défiler la vie de cette femme rebelle qui a choisi l’écriture comme mode de (sur)vie. C’est aussi une réflexion sur l’écriture et la création. Ce roman s’adresse aux artistes qui plongent dans leur solitude pour transformer la dureté des jours en beauté et aux gens qui voudront comprendre l’exigence de l’écriture.

Avec Julia Kerninon, on tombe dans l’envoûtement ni plus ni moins.

Extraits :

« Tu as ouvert la porte, et je te vois toujours comme je t’ai vue ce jour-là pour la première fois. Tu as fait du thé. Tu m’as montré ta machine à écrire, avec le mouvement que tu aurais eu pour me donner un caillou ou une feuille morte, si tu avais été un enfant. Tu étais tellement étrange -debout, en bermuda, dans cet appartement minuscule et presque vide où tu vivais, avec seulement un service à thé, et ta machine, et le matelas par terre. » (Spacek citant un amoureux.)

« Chaque mot posé me donnait une idée plus précise du livre qui s’annonçait, un élément de réponse sur la destination vers laquelle j’allais, doucement, comme perdue, comme légèrement saoule dans l’eau noire et dense d’un fleuve la nuit, poissée dans mes vêtements, nageant, nageant sans cesse et en tenant la lampe entre mes dents, pour ne pas me noyer dans la liquidité des phrases. »  

© Photo, billet, sauf les extraits de Julia Kerninon,
    Denis Morin, 2020

mercredi 8 janvier 2020

Le dernier amour d'Attila Kiss de Julia Kerninon



J’y vais à rebours avec Julia Kerninon. Je vous ai déjà parlé de l’excellent roman Ma dévotion chez Annika Parance Éditeur et du récit pertinent Une activité respectable paru aux Éditions du Rouerge portant sur l’écriture.

Cette fois-ci, Le dernier amour d’Attila Kiss paru en 2016 aux Éditions du Rouergue nous raconte un amour qui nous semble impossible entre un Hongrois de condition modeste et une Autrichienne riche. Il lui reproche la domination passée de l’Autriche sur la Hongrie. Elle lui reproche son silence sur sa femme et sa maîtresse et leurs trois filles abandonnées. Lui se défend en prétextant la fuite de son beau-père, un tyran. Puis Attila veut se détacher de sa nouvelle flamme, Theodora, qui n’a que 25 ans, soit la moitié de son âge. Elle le nargue, le confronte. Il a fui la misère et une vie d’escroc, mais il porte en lui le souvenir de la campagne, le sourire de ses gamines. Le passé le hante.

À l’heure où il trie des poussins destinés à produire du foie gras pour les bourgeois ou qu’il peint chez lui des motifs traditionnels sur le parquet, elle travaille comme ayant droit au répertoire de son père, un ténor. Attila est en manque de sa descendance et elle d’un père virtuose absent.

Fait à noter que Julia Kerninon vécut à Budapest à une certaine époque. Merci aussi à elle pour ce roman envoûtant, pour Attila abîmé par la vie, pour Théodora si vibrante comme un archet sur des cordes. Merci à elle pour les nombreuses références historiques : Sissi, le comte Andrassy, le drame de Mayerling. Ce billet fut écrit en écoutant la Danse hongroise no 5 de Brahms.

Vivement Julia Kerninon !

Extraits :

« La mort, ajouta-t-elle dans un souffle, est une chose sérieuse comme l’odeur de terreau de la terre bêchée en automne. C’était une citation d’un poète américain, mais Attila n’en savait rien, et la phrase le frappa comme un coup dans la poitrine. Qui disait des choses comme ça ? Qui lui parlait ? Il avait parcouru ses traits comme un paysage nouveau, un eldorado, jusqu’à ses yeux qu’il avait retrouvé braqués sur lui. On décolle ? avait-elle dit alors, gaiement, en jetant un billet sur la table sans regarder et en l’entraînant par le bras, et sur toute la route jusqu’à chez lui elle avait continué à parler, et lui à écouter. »

« Le problème, c’est qu’il faut être au moins deux pour se faire la guerre, et qu’il est extrêmement difficile et épuisant de se battre contre un adversaire qui ignore qu’il en est un. Attila avait la sensation douloureuse de l’attaquer en traître quand il la voyait allongée et paisible sur le lit et qu’il la détestait de toutes ses forces, il n’était plus si sûr d’avoir raison, il y avait une inadéquation entre sa fureur et elle, comme s’il avait essayé de s’emparer d’une émotion avec des tenailles. »

© Photo, texte du billet, sauf les extraits de l’écrivaine,
    Denis Morin, 2020

mardi 7 janvier 2020

Images de ma vie de Charles Aznavour



Charles Aznavour dans Images de ma vie publié en 2005 chez Flammarion Québec ouvre grand les portes de sa maison. Cet album contient des photos prises par lui et celles prises de lui. Les photos de la famille Aznavourian précèdent celles consacrées à sa carrière artistique. Son jardin secret et son refuge sont sa femme, ses enfants et ses petits-enfants.

Ce pianiste, technicien et chauffeur de Piaf se voyait déjà au haut de l’affiche. Nous l’aimons encore vraiment ce descendant d’immigrants arméniens, digne ambassadeur de la chanson d’expression française depuis si longtemps.

À se procurer tout simplement parce que les photos sont très belles et que ce livre se place bien sur une table à café.

©  Photo, texte, Denis Morin, 2020

dimanche 5 janvier 2020

Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce



La pièce Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce publiée en 1999 à Besançon chez Les Solitaires Intempestifs a connu un parcours particulier. Au Québec, Anne Dorval, comédienne et professeure de théâtre, en a parlé vivement à son ami, le cinéaste Xavier Dolan qui en fit un film en 2016 récompensé au Festival de Cannes, édition 2016.

Louis, écrivain, se sachant condamné, décide de retourner voir sa famille une dernière fois. Triste cérémonie des adieux. La mère cherche à comprendre le silence de ce fils pendant de si longues années. Le frère ne décolère pas et s’emporte pour des riens. La belle-sœur reproche à lui son indifférence face à la vie de son frère. La sœur cadette rêve de vivre ailleurs et de s’évader de la maison familiale. Devant tant d’hostilité, Louis n’ose se confier et se referme comme une huître, emportant avec lui le secret de sa mort prochaine.

Je n’ai pas vu le film, mais les personnages sont tout en contrastes. La mère et Jérôme le frère frustré sont volubiles et extravertis, tandis que Louis, sa belle-sœur et Suzanne, la cadette, sont plus en retenue. Louis et Jérôme ont de longues tirades qui illustrent bien tout ce qui les oppose, les étiquettes assignées par la famille, les frustrations contenues, la jalousie et la rage de l’un face au silence et au détachement de l’autre. Certaines familles se forment par le sang, d’autres par affinités et par choix.

À lire.

Extrait :
« Je traverse à nouveau le paysage en sens inverse. Chaque lieu, même le plus laid ou le plus idiot, je veux noter que je le vois pour la dernière fois, je prétends le retenir. Je reviens et j’attends. Je me tiendrai tranquille, maintenant, je promets, je ne ferai pas d’histoires, digne et silencieux, ces mots qu’on emploi. Je perds, j’ai perdu. Je range. Je mets de l’ordre. Je viens ici rendre visite, je laisse les choses en l’état. J’essaie de terminer, de tirer des conclusions, d’être paisible. Je ne gesticule plus et j’émets des sentences symboliques pleines de sous-entendus gratifiants. Je me complais. Rien ne me flatte autant, désormais, que ma propre angoisse. Il m’arrivait aussi parfois, les derniers temps, de me sourire à moi-même comme pour une photographie à venir. »

© Photo, texte du billet, sans l’extrait du dramaturge, Denis Morin, 2020

mercredi 1 janvier 2020

Moi, Hercule de Marie-Christine Arbour



Après des études en lettres et en philosophie, Marie-Christine Arbour s'est mise à l'écriture. Elle n’en est pas à ses premières armes en termes d’écriture. Je la découvre enfin avec Moi, Hercule paru en 2017 chez Annika Parance Éditeur. Ce roman m’a accompagné durant les fêtes 2019.

Dans ce roman singulier, un quinquagénaire intello et agoraphobe, bisexuel et ancienne reine de la nuit dans les cabarets se voit offrir à la mort de son père douze travaux comme à Hercule pour se mériter un héritage de deux millions de dollars. Cet intello aura à sortir de son cocon. Sa quête partira de Montréal pour se poursuivre à Paris, à New York avant de se terminer à Vancouver. L’intello réussira-t-il sa quête ?  Est-ce une course au pactole ou un appel au dépassement de soi-même ?

Je fus agréablement surpris par le ton désinvolte du roman, d’autant plus que son autrice est une femme très discrète, effacée, une rêveuse sympathique rencontrée en novembre dernier lors d’un lancement de livre, d’où mon étonnement face à tant d’audace et de talent.

À découvrir une voix qui sort des sentiers battus…

Extraits :

«  Avez-vous toujours de la difficulté à aller dehors ? demande le docteur en me regardant avec intensité.
 Oui.  Et je continue à me coucher dans la baignoire.
En effet, depuis la mort de maman, j’ai commencé à avoir l’impérieux besoin de me lover la nuit dans la baignoire vide. Mais j’ai honte de mes pulsions. Je crains de régresser sur le plan psychique. Pourtant, le sentiment d’enfermement est si doux. »

« Je m’installe dans un fauteuil. Vais-je écrire ? Il m’arrive parfois de ressentir de l’aversion pour le langage. Certes, je rêve de traverser les langues, comme Joyce. Mais aujourd’hui, on veut que les livres se vendent. Je suis tenté de barrer tout ce que je viens d’écrire. Trait castrateur et abolition du moi : lire asservit, détruire libère. »

« Au loin
Au plus profond des mots
Pays de battements de paupières
Les petites gens sourient
Mais j’ai survécu
Ma main pareille à une croix
J’ai mangé l’enfer (…)
Dans ma pensée transparente
Et avec un œil brisé
J’ai oublié… »



© Photo, texte bu billet
    sauf les extraits de M.-C. Arbour, Denis Morin, 2020