samedi 21 janvier 2023

La Banquière, le Vélo et le Pinceau de Landru

 

Les livres, je les achète en suivant mon flair et en me rappelant cette citation du film Forrest Gump : « Life is a box of chocolates you never know what you’re gonna get ». Ce fut le cas avec La Banquière, le Vélo et le Pinceau de Landru avec sa couverture vert ardoise paru en 2021 dans la collection Nouvelles Pages chez JDH Éditions.

J’ai ouvert ce livre dans le transport en commun et je me suis mis à rigoler dès les premières lignes, moi qui prends plutôt la vie quotidienne comme une tragédie grecque. C’est complètement hilarant. L’histoire a des allures de règlement de compte avec cette famille bourgeoise composée de la mère banquière austère, du père responsable d’un club de cyclisme, d’Olga leur fille artiste et d’autres personnes savoureux comme Chloé, la cadette qui étudie aux États-Unis, et de Lionel, le cousin beau comme un acteur de cinéma.

Mais il revient surtout à Olga de se démener pour un brin d’amour, de reconnaissance et de sexe. Elle ressemble à une Betty Boop ridicule perdue en Bretagne, dans une commune située face à l’Atlantique. Jusqu’où Olga ira-t-elle ?

Quant à Landru, il se fout complètement de la gueule de ces personnages soucieux des apparences et des rumeurs.  On est aux antipodes de l’auteur qui veut préserver ses personnages et les protège des chocs apportés par le quotidien. Ici, on s’écorche et on s’aime mal avec du venin au coeur.

Les travers des personnages sont soulignés à grands traits par l’écrivain qui n’épargne personne. Ce livre transposé sur scène donnerait le plus hilarant des vaudevilles.

Merci à Landru pour cet humour irrévérencieux et ce style si mordant !  

 

© Photo, texte du billet, Denis Morin, 2023


dimanche 8 janvier 2023

En mémoire d'Arsène Klovastsky de Fabrice Décamps

 

Fabrice Décamps a publié en 2022 chez The Book Edition un recueil de nouvelles intitulé En mémoire d’Arsène Klovatsky. Cet auteur indépendant est aussi photographe et chanteur-guitariste. Le cinéma le fascine aussi. Je le soupçonne d’être de nature très indépendante. Il va son chemin en bon électron libre. Cela lui sied très bien en attendant une juste reconnaissance de son talent.

Son écriture est déjantée, généreuse, avec des descriptions prenantes et envoûtantes. Ses nouvelles se promènent entre la science-fiction et le roman policier. Il met en scène souvent des écrivains qui détruisent ou qui disparaissent incognito... Les ambiances sont étouffantes, lourdes, mais quelle délectation ! On est entre la recherche du bouc émissaire et le besoin d’évasion. Certains personnages marginaux paient chèrement le prix de ne pas évoluer selon les standards de leurs milieux. La psychologie des personnages est fouillée. Rien n’est laissé au hasard. Tout est cohérent. Puis, tout peut basculer au moment inattendu. Subitement. Chute et descente de gueule assurées.

Je lui suggère fortement de se diriger vers le polar.

Quant à vous, lecteurs, lectrices, cet auteur mérite d’être lu. Et quant à moi, j’attends impatiemment les prochains titres à venir.

Extrait : 

« Elle n’a pas le temps de se relire, car déjà les mots s’effacent. Il lui faut tenir le rythme, tenir à distance, même infime, le blanchiment qui vient, vecteur de ténèbres, qui sourd de toutes parts, tenir le rythme jusqu’à la dernière syllabe, la dernière lettre de sa vérité, jusqu’à former autour d’elle un cercle parfait, Ouroboros. »


© Photo, billet, sauf l’extrait de Fabrice Décamps, Denis Morin, 2023

 

 


mercredi 4 janvier 2023

Créole Blues de Jean-Marc Beausoleil

 

Jean-Marc Beausoleil a créé un nouveau genre littéraire au Québec, la creative non-fiction. Il enseigne aussi en milieu collégial les médias et la littérature.

Dans Créole Blues paru en 2022 aux Éditions Somme toute, on est d’abord séduit par cette peinture ressemblant à un portrait de Modigliani qui lui s’était inspiré des masques africains aux figures longues.

Puis on ouvre la couverture et on fait connaissance avec différents individus connus ou pas du tout qui ont eu à prendre le chemin de l’exil vers le nord. Ils racontent leur existence et leur volonté de survivre et de vivre, leur adaptation à cette autre réalité. Le pays est-il cette île abandonnée derrière ou bien cette gigantesque parcelle constituée d’eaux et de forêts ? Peut-on à la fois avoir un pied enraciné au sud et un autre plus au nord, sans se sentir écartelé ? Même arrivé ici s’inscrit-on dans le paysage culturel et économique du lieu d’accueil ?

Poser ces questions, c’est aussi livrer des éclats de couleurs, des réponses sur la mosaïque qu’est le monde.

Jean-Marc Beausoleil va à la rencontre de membres de la diaspora haïtienne qui étudient, écrivent, pensent, innovent, éditent, soignent, excellent en sports.  J’ai beaucoup aimé les références historiques à Haïti et le clin d’œil fait à Jeanne Duval, la maîtresse de Charles Baudelaire. 

Dans Créole Blues, nous naviguons doucement, nous tanguons entre quête journalistique rigoureuse et envie folle de transmuter les personnes interviewées en personnages de roman ou de cinéma. Vivement un rappel !

Extraits :

« Vivant à Longueuil depuis de nombreuses années, formé par des institutions locales, il insiste : « Je revendique mon être québécois. C’est comme pour mon fils. Sa mère est saguenéenne. Je lui dit : ʺAttends-toi qu’on va toujours te demander d’où tu viens. Ça va faire partie de ta réalité.ʺ » Stanley Février, peintre

« En Afrique, dans les Caraïbes, il y a des cultures qu’on prétend être en marge d’un certain centre. Moi, je brouille les cartes. Je place le périphérique au centre, il n’y a plus de centre ni de périphérie. » Rodney Saint-Éloi, écrivain, éditeur

© Photo, texte du billet, sauf les deux extraits, Denis Morin, 2023