Elle nage en écriture comme un poisson
dans l’eau depuis l’enfance, à l’âge où l’on forme et trace des lettres sur
papier avec un crayon ou grâce à une machine à écrire. Elle écrit avec le mot juste qui fascine, vous émeut et vous
foudroie. Il m’a semblé pertinent de m’entretenir avec elle entre autres sur la
littérature et la condition féminine.
L’écriture vous est-elle moments de grâce, destinée ou
fatalité ?
Je passe beaucoup de temps à travailler, à essayer, à
réfléchir – j’écris et je me relis beaucoup, je jette des pages et des pages de
chaque livre. Mais c’est vrai qu’il y a aussi des moments de grâce, des heures
intenses à l’issue desquelles la page écrite est impeccable, n’aura jamais
besoin d’être corrigée. Je ne sais pas si c’était ma destinée, ni si c’est une
fatalité, je crois que c’est la vie que j’ai choisie pour une multitude de
raisons, et tant que ça m’intéressera je continuerai.
Vos personnages viennent-ils à vous ?
Oui, on peut sans doute dire ça comme ça. Mes personnages
ressemblent rarement à des gens que je connais, ils sont plutôt tissés d’autres
personnages de romans que j’ai lus, et de choses que j’ai vues, mais tôt ou
tard ils ont une personnalité très précise pour moi.
Qui a le dernier mot, le personnage ou vous ?
C’est le livre qui a le dernier mot. Les personnages et
moi obéissons au livre.
Un roman s’écrit-il avec un plan établi ou
spontanément ?
Je dirais que ça dépend des livres et des moments de
travail. Je commence toujours spontanément, et je fais un plan un peu plus
tard, quand j’ai accumulé beaucoup de matière, je fais un plan pour comprendre
ce que je raconte et retrouver ma route.
En quoi votre écriture est-elle féministe ?
J’écris des livres dont les héroïnes sont des femmes, et
des femmes puissantes, courageuses, intelligentes, autonomes, pleines de
vitalité, avec une intériorité.
Tenez-vous cercle littéraire ou allez-vous seule votre
chemin ?
Plutôt seule, mais je fréquente quelques bons écrivains
et je vis avec un excellent lecteur.
Sans parler d’influences, vous sentez-vous une parenté
avec d’autres écrivains ?
J’admets volontiers être influencée par les livres que
j’aime. J’aime
Philip Roth, Jim Harrison, Ted Hughes, Toni Morrison, Lionel Shriver, Linda Lê.
Beaucoup,
beaucoup d’autres. Je me sens proche d’eux. Je comprends ce qu’ils disent, je
crois, même si je ne sais pas forcément le dire moi avec tant de grâce.
À quoi ressemble une journée d’écriture ?
J’emmène mon bébé chez sa nourrice à 9 h, je passe à la
boulangerie acheter le petit-déjeuner, je lis toute la matinée pour me
préparer, je travaille sur d’autres choses, je fais de la traduction, je
réponds à mes mails, je rédige de petits articles, des choses comme ça, et puis
peut-être j’écris une heure avant d’aller chercher mon bébé à 17 h 30, et je me
remets à écrire quand il est couché, à 20 h. Quand j’étais plus jeune,
j’écrivais beaucoup, parfois toute la journée, mais maintenant j’ai arrêté de
penser que c’était nécessaire. Quand je termine un livre, là j’écris toute la
journée, parce qu’il faut boucler, parce que je suis dans l’urgence, mais 80 %
du livre, je l’écris comme ça, doucement, heure par heure, en réfléchissant
beaucoup avant. Il m’arrive souvent de ne pas écrire pendant une semaine,
peut-être même un mois. J’écris toujours, mais je veux dire que je ne travaille
pas toujours au roman de façon continue. Je trouve que c’est beaucoup de
concentration, et j’ai besoin de faire des pauses.
Outre l’écriture, y a-t-il d’autres formes d’art qui vous
chamboulent ?
J’aime la peinture, bien sûr, énormément. Je ne pratique
pas, mais je lis beaucoup de livres sur la peinture. Pendant mes dernières
vacances, je n’ai fait que ça : visiter un musée de peinture par jour, à
La Haye. C’était mon idée des vacances idéales.
L’équité est-elle atteinte entre femmes et hommes de
lettres ?
Bien sûr que non. Ni là ni nulle part, je pense. Où qu’on
aille, les hommes sont plus respectés, ils sont ce qui va d’emblée, ce qui est
évident, tandis que nous les femmes apparaissons toujours comme une option
secondaire. On dit beaucoup de choses passionnantes récemment sur les bienfaits
qui découleraient du fait de rendre aux femmes leur place égale dans le monde,
de les laisser avoir autant d’impact que les hommes sur les décisions qui nous
concernent tous. C’est tellement choquant, je trouve, ce qui se passe. Je
lisais la semaine dernière le dernier ouvrage de Rebecca Solnit, j’avais envie
de pleurer pour les miennes, pour cette façon épouvantable dont nous sommes
traitées. Mais je trouve qu’il y a un sens des priorités, et que l’équité entre
les hommes et les femmes en littérature n’est pas le plus urgent. Le plus
urgent, ce serait plutôt l’égalité des salaires, un positionnement radicalement
différent sur la question du viol, la fin des violences obstétricales, un congé
paternel obligatoire, des modes de garde facilités… Le plus urgent, pour le
dire simplement, ce serait d’établir une fois pour toute que la femme n’est pas
inférieure à l’homme, ni à son service, ni plus résistante ni plus solide ni
moins sensible à quoi que ce soit.
Le fait de vous être méritée maints prix littéraires vous
a-t-il paralysé à un certain moment ou cela vous a donné des ailes ?
Cela m’a donné du temps, parce que la majorité des prix
que j’ai eu la chance de recevoir étaient dotés, et j’ai donc pu prendre plus
de temps pour écrire, et m’inquiéter un peu moins. Et bien sûr ça m’a aussi
rassurée, établie, solidifiée.
Le roman et le récit (biographique) sont les genres
abordés, mais seriez-vous tentée par le cinéma, le théâtre ou la poésie ?
J’ai écrit beaucoup de poésie il
y a dix ans, mais personne ne veut la publier pour l’instant. J’essaie d’écrire
pour le théâtre depuis deux ans, je ne me trouve pas très douée mais la
metteuse en scène qui m’a commandé le texte a l’air assez satisfaite, alors je
ne sais pas. Je ne peux pas écrire pour le cinéma, parce que j’ai vu très peu
de films, c’est vraiment quelque chose que je ne connais pas bien. Mais
j’aimerais écrire un thriller, un album pour les petits, des livres pour
enfants, des essais.
© Photos, Julia Kerninon,
entretien, Julia Kerninon,
Denis Morin, 2019
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