Dès le début du riche texte de la pièce Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard parue chez Leméac, nous plongeons d’emblée dans les propos exquis de Claire, cette dentiste à la retraite qui se grise à respirer la forte odeur de la colle de ses collages artistiques, déclarant son admiration face à l’artiste allemande Hannah Höch. Nous sommes ravis du dévouement bienveillant de Nicolas, le mari et père attentionné, de loin le personnage le plus équilibré de cette histoire fascinante d’entrecroisement de réalité et de fictionnel.
D’une beauté plastique totalement étudiée, David révèle de son côté un narcissisme doublé d’une quête inatteignable de la perfection. L’important consiste pour lui de donner une image parfaite : de lui-même, de son couple homosexuel, de sa petite famille hors norme dans un contexte hétéro normatif où la barre est haute. Aucun faux pas n’est permis, même si sa mère l’a toujours trouvé inintéressant et vide, sa quête d’une vie complètement instagrammable est au cœur de sa complexité.
Au-delà du texte maîtrisé et des répliques savoureuses, dans la pertinence et l’humour auxquels nous a habitué Michel Marc Bouchard, cette pièce nous amène à réfléchir sur la portée du narcissisme dans notre société occidentale où l’ego portrait annonce le prétendu bien-être, la prospérité, dans le but ultime d’une montée sur le podium de la réussite. Et si cette image lisse sans tache et sans buée apparente cachait des failles qui s’agrandissent au jour le jour au point de l’éclatement, du découpage à la déchirure ?
J’ai bien sûr vu et grandement apprécié la pièce présentée à l’aube de 2025 au Théâtre du Nouveau Monde dans une mise en scène de Florent Siaud, interprétée brillamment par Sylvie Drapeau, Iannicko N’doua et François Arnaud, magnifiée par le fabuleux visuel de Félix Fradet-Faguy. Au théâtre, l’art du vivant nous fait vivre l’instant comme il est rare de le faire à notre époque préenregistrée. Toutefois, il me plaît toujours de lire des pièces de théâtre pour le plaisir d’explorer le monde par le biais primordial du texte et de la psychologie des personnages. Selon moi, les textes de théâtre eux-mêmes, pour lesquels Leméac continue cet immense travail de mémoire, ont leur place entière en littérature et devraient être lus, enseignés et promus en tant que tels. Quand le texte est à ce point achevé, le théâtre est un formidable objet de littérature.
Et pour clore ce billet,
lançons un défi à Michel Marc Bouchard de considérer la possibilité d’écrire un
recueil de nouvelles ou un roman. Son sens littéraire et sa grande intelligence
pourraient sans nul doute se déployer en souffle romanesque. Parfois, les
nouveaux défis transcendent vers une excellence renouvelée.