Native de l’Isle-aux-Grues, la poète Mireille
publiait en 2010 aux éditions l’Hexagone le recueil de poésie Les oies
ne peuvent pas nous dire. Les textes sont concis, précis, sans mot
superflu. On va directement aux images et aux émotions.
Mes impressions… Le fleuve Saint-Laurent passé
Québec s’ouvre tel un oiseau qui déploie ses ailes. L’entonnoir s’élargit et
les marées surviennent. C’est dans ce décor bucolique au climat rigoureux qu’elle
a grandi, à l’école des saisons, bercée par l’eau, les vents, la voix de sa
mère, la présence de son frère, la chorégraphie des oies. Enfant, elle s’imaginait en devenir une.
Un jour, son père chasseur et guide de chasse ému
lui offre comme cadeau une oie. La gamine ne sait pas si elle doit l’accepter
ou la refuser, ébahie par la mort qui a frappé un si bel oiseau. Nature morte.
Le sang macule le plumage blanc. Les oies se
mettent en pots. Les oies se mettent en mots. La vie ressort toujours vibrante
à tire d’aile. Dans ce recueil, s’opposent la femme qui porte l’enfant et l’homme
qui abat l’oiseau comme gagne-pain.
Mireille se revoit courant dans les herbes hautes,
les joncs, file l’anguille, s’agite un cormoran. La voix de sa mère lui parvient
au loin. L’enfant veut les battures, les berges, le spectacle des oies. Juste
les oies, toutes les oies pour elle.
L’enfant se sait insulaire, isolée au milieu du
fleuve. Parfois les cieux deviennent incertains comme une eau trouble, une
encre, puis les vents chassent les nuages ou bien encore soufflent la neige en
poudrerie. Le duvet cristallin des flocons est alors avalé par le fleuve.
En lisant ce merveilleux recueil de Mireille Gagné,
j’avais en tête L’hommage à Rosa Luxembourg de Jean-Paul Riopelle, cette
effervescence céleste en plongée et en contre-plongée. Par les mots de la
poète, je vois et j’entends les oies. La nuée se déploie dans l’azur. Le
passage des oies devient des esprits, des âmes, des fragments d’éternité pour l’enfant
rêveuse. En fait, tout provient du ciel et tout y retourne, sauf celles
abattues par le père, l’oncle et les hommes du village. L’immensité devient
décor, engouement, saveur du terroir, occasion de méditer avec ces oiseaux qui
se mêlent aux nuages et au rivage.
Ce recueil me laisse tout simplement dans le
ravissement.
Extraits :
« La banquise s’incruste en courtepointe
je
glisse entre les mailles
usée sous
les coutures
si
minces que les ongles passent au travers
si
fragiles que les pensées s’étirent jusqu’au sol
il n’existe
pas de reprisage au point de croix »
« Le vent déchire la toile
du bout
de l’aile
brise l’horizon
mon père
étire son cou
ses pieds
basculent jusqu’à l’aube
le temps
est venu pour la migration des âmes
si j’arrivais
à volet je laisserais mon être se soulever »
« Les hommes plantent leur tête
à marée
basse
une âme
souffle mes cheveux
quand le
printemps s’habille de vert
mon père
chasse l’éternel »
« Le poids du monde dans son bec
sur mes
épaules
l’oie
appelle
la migration
à grands
coups d’ailes
au-delà
des nuages
je sens
chavirer l’horizon »
© Photo et texte du billet,
sauf les extraits de la poète,
Denis Morin, 2019
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