Entretien avec Martine Roffinella
Aujourd'hui, nous nous entretenons avec la grande écrivaine Martine Roffinella, découverte en 1988 par Bernard Pivot sur le plateau de l'émission Apostrophes pour le roman Elle. Depuis ce temps, elle poursuit sa route avec audace et brio.
1. Pourquoi
et pour qui écrivez-vous ?
C’est
une fonction vitale, pour moi. Comme respirer, s’hydrater ou s’alimenter.
Impossible d’échapper à l’écriture. La question du « pour
qui ? » ne se pose donc qu’après le premier jet, que je ne contrôle
jamais, puisqu’il s’agit d’une sorte d’opération corporelle obligatoire. Cette
interrogation est d’ailleurs souvent liée à la possibilité de publier le texte
ou pas – c’est la voix des éditeurs que j’entends à mes oreilles (car eux décident,
finalement, ce qui est digne ou pas de parvenir jusqu’aux lecteurs). Au fur et
à mesure des versions du texte, il faut alors se rapprocher de la lisibilité
par le plus grand nombre. Parfois je ne cède pas à cette obligation quasi
commerciale, et cela donne ensuite de très faibles ventes (pour ne pas dire
inexistantes). Mais j’ai besoin, de temps à autres, de cette liberté
d’expression-là.
2. À
quand remonte votre premier texte (jugé littéraire) ?
J’ai
publié mes premiers poèmes en revue vers l’âge de 14 ans, et c’est à 18 ans que
j’ai expédié mon premier manuscrit chez les grands éditeurs (il y a donc 40
ans). Ce roman s’intitulait « La Marge ». Quelqu’un chez Gallimard
m’a encouragée à poursuivre dans cette voie. J’ai écouté le conseil mais n’ai jamais
été publiée par cette prestigieuse maison.
3. Est-il
plus facile d’être femme écrivain maintenant qu’à l’époque de George
Sand ?
Je
l’ignore, car il me semble que les préjugés sont encore bien présents (mais
insidieux). Il y a peu, alors que je me permettais un avis sur une question
littéraire, un auteur-homme m’a taxée d’un « Ma petite Martine » dans
sa réponse qui laisse très clairement apparaître un sexisme persistant. Les
femmes de lettres semblent encore être trop souvent perçues comme « inférieures »
à leurs collègues masculins.
4. Comment
définiriez-vous vos univers dans vos romans et vos récits ?
Je
travaille depuis toujours sur l’humain dans ses déplafonnements multiples, ses
dérèglements, ses obsessions, ses excès, ses errances – tout ce qui fait ses
différences et ses formidables imperfections. Ainsi j’ai consacré plus de dix
ans et plusieurs ouvrages à l’exploration des relations de
soumission/domination (« Le Fouet », « Love », « Rien
entre nous », « Camisole-moi »). Avec « L’Impersonne »
j’ai débuté un nouveau cycle, qui explore au fond la solitude dans tous ses
états – jusqu’à l’aliénation.
5. Est-ce
que le roman devient un double de vous-même ?
Je
me suis amusée à ce jeu-là une seule fois, dans « Lesbian Cougar
Story », où la narratrice s’appelle en effet Martine Roffinella et est
écrivaine. Cette petite supercherie m’a permis d’aller assez loin dans
l’autodérision.
Sinon,
j’aime que mes romans créent une troisième personne en fait – en plus de mon
double et de moi-même. Ce n’est pas le lecteur non plus, mais tout simplement
l’œuvre. Qui est dans ce cas une personne à elle seule.
6. Si
vous étiez mécène, pour quels auteurs ouvririez-vous un musée ?
Guillevic
– selon moi un immense poète. Mais en fait, comment choisir ? J’aime
passionnément la littérature ! Il faudrait dans ce cas un musée pour tou.tes.s
les écrivain.e.s talentueu.ses.x qui ne parviennent pas à se faire connaître
auprès du public, et qui en souffrent beaucoup. Oui, créons un musée des
au.trices.teurs VIVANTS !
7. Quel
est votre modus vivendi en écriture ?
Je
n’en ai pas. Comme ma première éditrice Jane Sctrick me l’a conseillé alors que
j’avais à peine 30 ans : « Ne vous forcez jamais à écrire, attendez
que ce soit au bord des lèvres. » J’attends donc que ce soit « au bord
des lèvres ». Soit c’est un cahier de brouillon qui recueille ce premier
flot qui vient généralement d’un seul coup, soit je tape directement sur le
clavier de l’ordinateur. Je n’ai ni codes ni règles, c’est le texte qui
décide : je ne fais qu’obéir.
8. Quelles
sont vos influences ?
A
mon âge (bientôt 58 ans), je suis dégagée de toute influence, sur ma voie
propre et singulière. Plus jeune, je me sentais proche de Duras. Cela se sent
d’ailleurs peut-être un peu dans mon premier livre « Elle », paru alors
que j’avais 26 ans. Mais très vite, j’ai entendu ma propre musique qui ne
ressemblait à aucune autre. J’avais en tête de créer un nouveau genre
littéraire, où il serait possible de visiter plusieurs strates d’écritures
romanesques (ce que j’ai d’ailleurs tenté avec « L’Impersonne »).
Finalement, quel orgueil de ma part !
9. Donnez-nous
cinq mots qui vous résument.
Passion.
Ténacité. Colère. Susceptibilité. Générosité.
10. Êtes-vous
une solitaire solidaire ?
Oui
je pense l’être – et c’est en ce sens que j’invite très régulièrement sur mon
Blog : http://martineroffinella.fr
d’autres écrivain.e.s et artistes à venir parler de leur travail et présenter
leurs œuvres. C’est une forme de solidarité active. Qui trouve un bel écho sur
les réseaux notamment.
11. Si
je vous dis Duras, Sagan, Beauvoir, Yourcenar… Avec quelle écrivaine célèbre
avez-vous des atomes crochus ou vous sentez-vous apparentée ?
Je
vais peut-être vous surprendre, mais je ne me sens apparentée à personne.
J’aime passionnément les écrivain.e.s que vous citez – j’y ajoute l’immense
Virginia Woolf, que je vénère. Mais de là à y être apparentée, non. Raison pour
laquelle, sans doute, je suis dans une immense solitude depuis toujours.
12. Des
projets ?
Oui,
un roman social qui me tient très à cœur : « Conservez comme vous
aimez », et qui paraîtra en janvier 2020 aux éditions François Bourin.
© Photo, Martine Roffinella
© Entretien, Denis Morin, Martine
Roffinella, 2019
Interview extrêmement intéressante, chère Martine, et qui permet de mieux vous conanître !
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