dimanche 10 mars 2019

Entretien avec Suzanne Myre



Aujourd'hui, nous nous entretenons avec la nouvelliste et romancière Suzanne Myre qui manie la plume et l'humour avec finesse. Voyons ce qu'elle veut bien nous raconter. 


A quand remonte votre premier texte?
À l’adolescence, j’étais folle du groupe Genesis, des histoires que leurs chansons racontaient. Je me suis mise, pour faire plaisir à une amie qui partageait mon obsession, à écrire des nouvelles d’horreur impliquant les membres du groupe. Je faisais toujours mourir Rutherford, le bassiste qu’elle préférait aux autres, dans des souffrances atroces aux mains d’extra-terrestres très imaginatifs tandis que Tony Bank, mon chouchou, sauvait les autres membres grâce à son clavier magique. Enfin, des niaiseries de ce genre dont je rougis en y pensant. Mais la première « vraie » nouvelle (d’une dizaine de pages) que j’ai écrite m’est venue après la lecture de Les aventures de Wesley Jackson, de William Saroyan. Je ne sais pas pourquoi ce roman m’a tant marqué, mais il a été le déclencheur. J’avais début trentaine. Ça parlait d’un type qui paniquait parce qu’il commençait à perdre ses cheveux. Inspiration venant d’une hérédité capillaire désastreuse. Puis j’ai adopté un chat que j’ai appelé Wesley.

Vous écrivez romans et nouvelles, qu’est-ce qui vous fait passer d’un genre littéraire à un autre?
Hum…, ce n’est pas tout à fait cela. Je me satisfaisais amplement à écrire des nouvelles, un style qui me vient naturellement. C’est après mon 5e recueil, Mises à mort que mon éditrice s’est mis en tête de me faire sortir de ma zone de confort et disons qu’elle est non seulement têtue mais aussi très intuitive. Comme de fait, mon premier roman, Dans sa bulle, s’inspirant de ma vie de travailleuse dans un hôpital, a été mon petit best-seller. Un autre roman a suivi puis je suis revenue à la nouvelle. C’est comme ça, il n’y a pas de raison mystérieuse. Je ne sais de quoi sera fait le prochain ni quelle forme il aura.

À qui votre humour caustique plaît-il le plus ?
Oh, il faudrait demander à qui de droit ! Aux ricaneux, je suppose, à ceux qui se reconnaissent dans mon auto-dérision, ma moquerie, mon ironie. Ceux qui sont trop politiquement corrects pourraient tiquer, ils craindront peut-être de briser l’émail de leurs dents car certains de mes textes les font grincer.  Ceci dit, si on rit en me lisant, il ne s’agit pas que de cela, un rire. Se cache dessous quelque chose de grave. L’humour vient souvent par et avec une pointe de désespoir, chez moi.

L’humour, est-ce une arme pour se défendre contre la vie ?
Contre ? Dans la vie, je dirais. Je n’ai pas eu une enfance dorée, même si, quand j’étais dedans, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait, contrairement à mes frères et sœur plus vieux que moi. Nous avons tous développé une sorte d’humour, bizarrement. Alors j’imagine que oui, c’est un moyen de survie, pour se foutre de la gueule aux dents acérés d’un destin au sein duquel on doit se dépatouiller pour passer au-travers et se rendre jusqu’au bout. Dans mes livres, je n’essaie pas d’être drôle. Si je le suis, c’est à mon corps défendant, comme une seconde nature (ou une première, plutôt) qui émerge spontanément. Ceci dit, je le sais, quand c’est drôle et je m’en réjouis car rire en lisant, c’est aussi jouissif que pleurer. Les pages en gondolent, d’une autre manière.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Assurément le quotidien et toutes les choses ordinaires qui le composent, les gens, leurs prétentions et leurs difficultés à juste être, les tics, les lubies, la bêtise humaine, la sottise, les mauvais traits de caractère, les situations inusitées, dérangeantes. Plus jeune, j’étais motivée à écrire à partir d’expériences déplaisantes qui s’étaient produites dans ma vie, c’était mon matériau de prédilection. Les meilleurs exemples en sont Le cabanon, Le peignoir, La réception, Sept jours six nuits, entre autres histoires de fou. C’est moins le cas. Quoique derrière chacun de mes textes se cache quelque chose qui m’appartient. Seuls ceux qui me connaissent peuvent le ressentir, ou le deviner mais en général, je déguise bien ça.



Avez-vous l’impression d’avoir tout dit ?
Au moment de répondre à cette question, oui. Demain, ce sera peut-être une autre affaire. On pourrait affirmer que tout ne sera jamais dit mais il ne s’agit pas de cela, plutôt d’avoir juste envie d’exprimer, encore. Et c’est ça pour moi, l’écriture, un moyen d’exprimer  ce qu’il me presse de communiquer. Il me semble parfois que ma paresse de me mettre « au travail » est plus forte que mon besoin. Je suis et ai toujours été tiraillée par cette nécessité d’écrire. J’affirme que je peux très bien vivre sans écrire (pour me justifier de ne pas le faire et de vaquer à des niaiseries pour remplir le vide) mais dire pourtant que je ne suis jamais aussi heureuse que lorsque j’ai un projet en cours. Il me répugne de me forcer à m’y mettre, j’attends « le bon moment », parfois je suppose que je le laisse passer, trop occupée à être vautrée devant une série télé, ce délicieux poison maudit. Je me dis qu’il reviendra et que je saurai le saisir. C’est une idée trop optimiste pour la pessimiste que je suis. L’incubation est souvent longue.

Selon vous, les femmes ont-elles encore à se battre en littérature ?
Je ne me sens pas très concernée par ce genre de question, car je ne  pense pas à la littérature. Mais si je dois y répondre, je dirais que non, elles ont autant leur place que les hommes, des voix aussi fortes sinon plus. Ou alors je suis ignorante et elles se battent au sang.

Quels sont vos auteurs préférés ?
Il y a plutôt des livres préférés! Je lis toujours le nouveau Amélie Nothomb, curieuse de voir si celui-là sera meilleur ou moins bon car comment assurer une qualité égale quand on publie une fois l’an ? (Je suis jalouse à mort de sa productivité). J’aime les auteurs américains, sans les privilégier. Mais je lis de tout, je choisis au hasard, dans les multiples bibliothèques publiques. Ainsi, je tombe sur des trésors. Tout de suite me vient L’ours est un écrivain comme les autres de William Kotzwinkle.  Réveillez-vous monsieur! de Jonathan Ames. Ces deux se moquent des egos d’écrivains et de l’édition, j’adore ce thème et, en plus, ils sont hilarants. Je n’ai pas d’auteurs de prédilection, je ne peux dire que j’ai tout aimé de quelqu’un (mis à part Patrick Dewitt dont j’attendrai toujours avec impatience le prochain à paraître). Par exemple, j’étais morte de joie en lisant Cataonie, de François Blais, réjouie en lisant Rivières et montagne mais je n’ai pas aimé ses autres livres. J’ai adoré American Housewifes, de Helen Ellis, des nouvelles grinçantes avec lesquelles je me suis sentie des affinités. J’ai aimé l’essai de Fred Dubé,  Une pipée d’opium pour les enfants, c’est un bon chialeur, drôle avec ça, judicieux. 20 bonnes raisons d’arrêter de lire, de Pierre Ménard. Etc. Bon, j’aime ricaner quoi. Mais je lis aussi des choses sensibles et sérieuses. Heather O’Neill. Je devrais noter tout ce que je lis et aime car j’ai tendance à oublier. Mais il faut que je m’amuse en lisant (comme en écrivant), je suis un public difficile.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Un roman, un recueil de nouvelles ?
Sur rien, j’attends que la pomme tombe de l’arbre et j’espère être là pour la cueillir. Je suis assise sur les lauriers d’une nouvelle qu’on m’a commandée sur le thème des chats, qui paraîtra cet été dans la revue XYZ. Je savoure, en quelque sorte, la joie de sentir que j’ai fait un bon texte. Cela me prend du temps pour récidiver. Je l’ai dit plus haut, je m’éparpille en toutes sortes d’activités le plus souvent futiles, sûrement pour échapper à l’affreuse obligation de m’asseoir devant mon ordi et de briser la page blanche et donc ma procrastination légendaire, mon manque de confiance aussi. Je ne crois jamais que je serai capable de (re)faire quelque chose de bon. C’est ainsi. Il est possible que je ne me prenne pas assez au sérieux, moi et l’écriture, et la littérature en général, que je ne mets pas au-dessus d’une autre forme artistique.

Avez-vous un rituel d’écriture ?
Non. Je trouve ça têteux, de parler de rituels. Je pourrais faire une nouvelle mordante sur les rituels d’auteurs! Ça fait si chic de parler de rituel… J’écris quand j’écris, ça arrive n’importe quand mais il faut juste que je pose mon derrière au bon endroit. Bon, d’accord, j’aime le faire de jour, avec un breuvage chaud. Café le matin, thé l’après-midi, eau bouillie avec du citron sinon. Je grignote des choses friables en tapant sur mon clavier si bien qu’à un moment donné, certaines touches ne répondent plus, encastrées dans les  miettes jusqu’à  la racine. Il n’y a vraiment rien de spécial à dire quant à un rituel sacré. Mais, visualisons des vêtements mous, rien de serré à la talle, une posture qui n’a rien de digne. Et ma chatte Coquette ailleurs que sur mon clavier, que sur moi, loin de ma vue car elle est une irrésistible distraction.

© Photo, Eve-Maude, TC
© Entretien, Denis Morin, Suzanne Myre, 2019






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