J'ai eu la joie de croiser ce brillant écrivain suisse via le réseau social Twitter. Il se spécialise surtout dans la nouvelle. Je vous laisse faire sa rencontre. Bonne découverte.
A quel âge avez-vous commencé l’écriture ?
A quel âge avez-vous commencé l’écriture ?
Vers 10 ou 12 ans, sous la forte influence des westerns de Sergio Leone.
Ma maman a eu la gentillesse de dactylographier ce premier roman, intitulé Le
col et le carabine, que je relis avec beaucoup de tendresse. Ensuite et
pour quelques années, l’envie est restée larvée, corsetée par les études,
limitée à des esquisses et à des fragments ; c’est surtout à l’approche du
diplôme que j’ai pu donner forme à mes premières nouvelles et prendre part aux
premiers concours.
Avec-vous l’impression que c’est la vie littéraire qui est venue vers
vous ?
Il y a certainement une bonne part d’inné, un intérêt, une sensibilité
que mes parents, beaucoup de livres et quelques maîtres ont su nourrir ;
en tout cas, une curiosité, un goût de toujours pour la langue et pour les
histoires, donc pour la littérature.
Est-ce que la lecture nourrit l’écriture ?
Cent fois oui, mais encore faut-il digérer les livres lus. Je crois
beaucoup à l’empreinte que laissent les livres, peut-être surtout les lectures
de jeunesse. Beaucoup d’auteurs ne lisent à l’évidence pas assez, ou alors
uniquement dans leur genre de prédilection, dans une zone de confort qui les
flétrit. En résultent des livres qui, d’un an à l’autre, se ressemblent
tristement. Or il faut lire, lire de tout et lire intelligemment, lire les
maîtres, lire et relire, lire lentement pour mieux comprendre, pour reproduire
et créer ; et bien sûr il faut écrire et jeter.
Ecrivez-vous inspiré ou discipliné ?
Dans le meilleur des cas, c’est une transe, une frénésie. Mais, la vie
étant ce qu’elle est, il n’est pas inutile de s’astreindre à un certain horaire.
Et puis, lorsque l’échéance approche, le travail devient discipliné à
l’extrême.
Quels sont vos auteurs préférés ?
Je reste un amoureux désespéré du XIXe français et russe :
Flaubert, Balzac, Gautier, Baudelaire, Mérimée, Maupassant, Husymans, Zola, Tourgueniev,
Tolstoï, Dostoïevski… En vrac et plus largement, je dois mentionner Racine,
Beaumarchais, Anouilh, Ionesco, Simon, Mishima, Tanizaki, Simenon, Steinbeck,
Brautigan et Larry Brown. Et puis les génies qu’on oublie trop mais qui, par
leur aisance, par leur humilité, sont de remarquables maîtres qui placent la
barre très haut : Allais, Dac, Desproges et Dard, pour ne citer qu’eux.
Pour notre époque, je citerais surtout Pierre Jourde et Richard Millet.
Ecrire un roman vous demande-t-il le même souffle qu’écrire un recueil
de nouvelles ?
J’ai consacré quatre ans, soir après soir, à mon premier roman (D’Écosse,
Éd. de l’Aire) et, pour des raisons familiales, je ne me relancerai pas dans un
tel chantier avant dix ou douze ans. Pour l’heure, les nouvelles sont pour moi
bien plus qu’un passe-temps : un art à part entière, bien qu’il
n’intéresse pas grand-monde en francophonie. C’est pour moi l’occasion de jouer
avec les règles et les usages, d’explorer sur le moyen terme des genres et des
formes variées. Reste que je caresse quelques projets de courts romans ;
l’un ou l’autre devrait prendre forme dans les prochains mois.
Vous arrive-t-il de vivre des instants de grâce en écrivant ?
Chaque jour, pour ainsi dire. Le mot, la virgule, la rocade qui achève la
phrase ou le paragraphe. C’est parfois une coupure, souvent une suppression.
D’un coup, il n’y a plus rien à changer, et c’est un petit feu d’artifice.
Comment conciliez-vous vie familiale, boulot d’enseignant, d’écrivain,
de responsable d’une revue littéraire romande ?
Le même exemple revient souvent : comme Carver, on compose. On vole
de petits moments, on gratte sur le sommeil et on renonce à publier beaucoup.
Je n’aimerais pas vivre de ma plume, sans doute parce que je vis d’une activité
(l’enseignement) extrêmement vivifiante, stimulante, où chaque jour diffère du
précédent. Seul chez moi, je deviendrais fou, ou pire : suffisant. La
rareté du temps m’oblige à aller à l’essentiel et m’interdit la paresse. Dans
quelques semaines, je renoncerai à la direction de la revue, ce qui me
permettra d’écrire davantage.
Ecrivez-vous avec un horaire bien établi ?
J’écris quand tout le monde dort, avec un pic d’activité, hélas, entre
minuit et deux ou trois heures ; et puis beaucoup de mots, de phrases et
d’images qui surgissent au gré des lectures et des distractions, qui
atterrissent sur des feuilles volantes et des marque-page et qui souvent se
perdent.
La littérature suisse romande se positionne-t-elle de la même façon que
les autres littératures de la francophonie ?
On a beaucoup écrit sur l’existence et les caractéristiques de la
littérature romande, et je serais bien incapable de livrer une conclusion
pertinente. Qu’il suffise ici de rappeler qu’on aurait tort d’ignorer des
auteurs tels que Charles Ferdinand Ramuz, Charles-Albert Cingria, Corinna
Bille, Blaise Cendrars, Gaston Cherpillod, Raymond Farquet ou Jacques Chessex.
© Entretien, Denis Morin et Cédric Pignat, 2019
Photo de tête, Cédric Pignat
Photo du roman D’Écosse, Éditions de l’Aire
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