Bertrand Runtz, artiste dans l'âme, manie la lumière, les images, le papier, les mots. Il varie les manières de nous atteindre. Bonne découverte.
Quand on sait que vous êtes écrivain,
photographe, sculpteur de livres, animateur culturel, les arts ont surgi à
quelle époque de votre vie ?
Eh
bien voilà une question bien innocente qui appelle néanmoins une réponse quelque
peu indiscrète… Ayant connu une scolarité désastreuse, de surcroît affligé de
dysorthographie, je n’en ai pas moins éprouvé très tôt le violent désir
d’écrire ! Mais pour les raisons précitées, cela me semblait totalement
inaccessible. Ma vie de jeune adulte elle-même n’était qu’un brouillon confus
et désespérant…
Et
puis voilà que je me mis à la photographie qui me semblait facile, ou du moins
à ma portée, ne nécessitant ni orthographe ni grammaire… Clic Clac ! Et
pourtant… C’était méconnaître l’origine même du mot photographie : écrire
avec la lumière.
Un
peu plus tard, croisant par hasard au bord du trottoir un petit bonsaï mort et
desséché, j’eus l’idée de le replanter dans un livre ouvert en deux aux pages
vierges. C’était l’automne et je
découpais de minuscules feuilles d’arbres dans des pages de texte. Ce serait à
elles, en tombant, que reviendrait le privilège d’écrire le livre, puisque je pensais ne pas en être capable moi-même …
Une
fois de plus, je tournais autour de l’écriture, comme un homme en plein désert
chercherait une source où sauver sa vie.
Les
années passèrent. Peu à peu par je ne sais quel miracle, à croire que les
égarements eux-mêmes se fatiguent, je parvins à remettre de l’ordre dans ma
vie. Le temps était venu.
J’écrivis
mon premier livre.
Que vous procure l’écriture ?
Le
sentiment d’exister véritablement. Dernièrement, préparant un atelier
d’écriture autour du thème « Slogans », m’est apparu cette évidence
qui a dû crever les yeux de bien d’autres avant moi : Dans littérature, il y a
rature…
Comme
une injonction ! Et c’est exactement cela pour moi « lire ses
ratures » jusque dans l’invention même d’autres destins, d’autres
personnages en apparence radicalement différents de soi, et pourtant…
Avez-vous choisi le roman et la
nouvelle ? Ou sont-ce eux qui vous ont choisi ?
Je
ne sais qui a choisi qui, mais en tous cas j’aime à dire que je ne cherche pas
à raconter des histoires à mes lecteurs…
Mais plutôt à leur faire partager un moment d’émotion, heureux ou malheureux,
par-delà la page. Je n’ai d’autre ambition que de donner à mes lecteurs quelques
nouvelles du monde, leur donner à entendre un peu de l’écho des battements du
cœur des hommes. Alors oui, la nouvelle plutôt que le roman! Même si j’en ai
écrit trois. D’ailleurs, ils auraient tous pu
être sous-titrés, roman de nouvelles…
Avez-vous un rituel d’écriture ?
Auparavant
oui, j’aimais écrire dans les cafés bruyants et enfumés, particulièrement les
tabac PMU avec leur lot de parieurs invétérés qui misent sur la casaque de tel
cheval après de savants calculs qui sont aux
mathématiques ce que sont à la science l’alchimie et la recherche de la pierre
philosophale…
Il
y avait toujours un type dans un coin, les lunettes sur le bout du nez, plongé
dans son journal de turfiste que les autres surnommaient « Le
Professeur » et dont ils quêtaient les bons tuyaux…
Oui,
j’aimais disparaître derrière ce rideau de fumée, m’isoler dans ce brouhaha
confus qui finalement me permettait de me concentrer davantage que le silence, avec
quand même de temps à autres les exclamations de joie ou de dépit des parieurs
qui suivaient une course en direct sur l’écran de télé…
Mais
aujourd’hui plus personne ne fume dans les cafés.
D’ailleurs, je ne fume pas, j’ai arrêté il y a 30 ans… Je n’ai plus besoin de ce brouhaha
anonyme pour me sentir faire partie de l’humanité.
Aujourd’hui,
j’écris dans le silence…
Écrivez-vous inspiré ou grâce à un
cadre très structuré ?
Les
deux à la fois, du moins je l’espère.
Je
ne me mets jamais devant ma feuille en attendant l’inspiration. J’écris
toujours avec une idée bien précise en tête même s’il peut survenir que cela
évolue en cours d’écriture. Parti me promener
vers un lac, j’arrive parfois en bord de mer… L’inspiration est une comme une
beauté soudain entrevue au détour d’un paysage connu.
À quel renoncement vous contraint
l’écriture ?
Tout
simplement parfois « à vivre ».
Il
y a dans l’écriture ce paradoxe de prétendre raconter la vie alors même que l’on
s’isole chez soi, coincé derrière l’écran et le clavier de son ordinateur
tandis que dehors le soleil brille et vous fait de l’œil tant qu’il peut. Sans doute est-ce pour cela que je n’écris pas autant
que je le devrais, le soleil est si doux…
Y a-t-il encore des pistes
inexplorées ?
Bien
sûr, autant qu’il me reste de livres à écrire !
On écrit mieux, heureux ou malheureux
?
Plus
jeune, pareil en cela à de nombreux poètes et romanciers, je me figurais que
pour mieux écrire il me fallait plonger corps et âme dans des mondes
artificiels. Mais après avoir bu plusieurs fois la tasse, au risque de me
noyer, avoir éclusé mes fantasmes jusqu’à la lie, je me suis rendu compte que
pour moi, en tous cas, rien ne valait la franche lucidité.
Et
je crois bien qu’il en va de même pour le malheur, avec cette nuance qu’il faut
sans doute l’avoir expérimenté au moins une fois pour espérer parler
véritablement au cœur des Hommes.
Aujourd’hui
le bonheur me va bien, je ne lui ferme pas la porte. Je l’accueille les bras
ouverts.
Si l’écriture n’arrangeait pas tout…
Non,
l’écriture n’arrange pas tout. Est-ce d’ailleurs son rôle ?
J’aime
à « penser » qu’il faut d’abord commencer par « panser » sa
vie avant que d’écrire. Mais il n’y a pas de règle générale, chacun trouve son
chemin. Mais pour donner un exemple concret, mon premier roman « Amère »
est très autobiographique, il parle de la mort de ma mère et du renoncement en
quelque sorte de mon père, l’enfant que j’étais, perdu et ballotté au milieu du
désastre.
Eh
bien, sans rentrer dans les détails de peu d’intérêt, j’ai fait tout un travail
personnel de vie avant que de me lancer dans l’aventure de l’écriture. Afin de
pouvoir me dégager de moi-même alors que j’allais pourtant être mon propre
personnage… Il faut de la distance à soi pour espérer toucher à l’universel.
Sinon
il y a le risque que l’écriture ne soit qu’un pansement sur une plaie toujours
vive, un cautère sur une jambe de bois. Ce qui n’empêche pas de magnifiques livres, souvent âpres, d’exister, mais
réparent-ils pour autant leurs auteurs ? Pas sûr…
Pire
encore, à vouloir se réparer par l’écriture, on risque de basculer dans le
mièvre, ces livres qui vous font du bien
à la mode, et qui pour ma part me désolent profondément…
La
littérature doit racler l’os de l’humain, creuser le beau comme le laid, être
chair palpitante sur la page. Dans « émotion », il y a
« mot » et je ne crois pas que ce soit un hasard.
Comment Bertrand l’homme discret
cohabite-t-il avec Bertrand l’artiste ?
Les
deux vont de pair, j’aime à croire qu’il faut avant tout être l’artiste de sa
propre vie. Nous la façonnons autant qu’elle nous façonne… Et l’œuvre, s’il
doit y avoir œuvre, sera peut-être le souvenir que nous laisserons derrière
nous autant que les preuves tangibles que sont les livres, les photographies,
les sculptures…
J’essaye
d’être à la hauteur de ce que je prétends être. J’essaye…
Car
bien sûr, du moins dans mes écrits, j’ai la faiblesse coupable de me présenter
sous mon meilleur jour…
Quels seraient les cinq mots pouvant
vous décrire le mieux ?
1.
Optimiste
2.
Pessimiste
3.
Lucide
(afin de toujours essayer de trouver la voie la plus juste et équilibrée entre
les deux premiers cités)
4.
Nostalgique
(afin de nourrir l’avenir avec le meilleur du passé et non afin de m’enfermer
et me recroqueviller dans le passé…)
5.
Amoureux
(définitivement)
D’autres projets ?
Trop
pour une seule vie, d’autant plus que celle-ci est déjà bien entamée... Mais
cela n’est pas grave, j’espère bien mourir en laissant une foule de projets
inachevés !
Ces
derniers temps, entre autres, aller au bout d’un recueil de poème dédié à la
muse qui est entrée dans ma vie lorsque je m’y attendais le moins.
Heureusement, même désespéré, j’avais les bras ouverts…
*
L’or des étoiles
Tu es le
chemin et le but,
La soif et l’eau de la
source,
La poussière de
l’attente et l’or des étoiles
Je suis en route, ne
l’oublie pas.
© Bertrand Runtz -
Poème pour Melle C.
© Entretien, Denis Morin et Bertrand Runtz, 2019
Photo de tête, Bertrand Runtz
Photos des livres-sculptures, Bertrand
Runtz
J'apprécie déjà beaucoup l'écrivain, Bertrand Runtz. Grâce à cette superbe interview, je vais apprécier davantage encore Bertrand Runtz, écrivain, poète et Homme.Merci
RépondreEffacerAu fils des années, nous sommes devenus de bons amis. C'est vraiment quelqu'un de très bien. Merci de votre commentaire.
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