À la fin
de l’adolescence, j’ai eu de grands coups de cœur pour Félix Leclerc et Anne
Hébert, puis pour Camus, Duras, Yourcenar et Marie Cardinal. J’eus la chance de
rencontrer un professeur de français et une professeure de philosophie qui, à
six mois d’intervalle, m’ont mis leur copie perso du récit biographique Les
mots pour le dire de Marie Cardinal. Puis les années passèrent jusqu’au
retour de cette écrivaine via L’inédit paru en 2012 chez Annika Parance
Éditeur, grâce au minutieux travail d’assemblage des textes entrepris
patiemment par ses filles, Alice et Bénédicte Ronfard, et Annika Parance.
Le
résultat : Brillant ! Marie Cardinal s’entretient avec nous en mode
confidence. Elle se questionne sur l’écriture et la difficulté parfois d’écrire.
Elle fait le tour d’elle-même en effectuant le tour du monde par la force des
événements politiques, familiaux et personnels. Elle s’ennuie de l’Algérie ou
de Paris dans un appartement à Montréal, pendant qu’il neige à gros flocons
dehors. Elle surveille l’hiver confinée chez elle. L’enfance, le mari, les
enfants, la mère sévère, les cercles littéraires, les conférences à donner, les
aéroports, le tout se présente comme une pelote de laine que l’on déroule et
avec laquelle s’amuse le chat ou le chien de la maisonnée s’amuse… La lumière
de la Méditerranée, la grisaille parisienne, les fleurs et les jardins de la
maison secondaire du Vaucluse, les terrasses de la rue Saint-Denis à Montréal,
tout s’anime pour notre regard de témoin.
Elle a ri,
pleuré, aimé, joui, souffert. Elle s’est rebellée. Elle a douté. Elle a avancé malgré tout.
Elle a pris soin des autres et d’elle-même. Elle a voulu se comprendre elle, en
quelque sorte, ambassadrice de la moitié de l’humanité. Merci pour ces belles
retrouvailles !
Extraits :
« Maintenant je suis
devant un trou vertigineux : celui de la conclusion. Je ne sais pas pourquoi
la femme s’est mise à écrire. Je suis proche du désespoir. J’en ai marre. Mon
avenir est bouché par ce livre maladroit et sa progression absurde. Faire
confiance à l’inconscient qui connaît mieux le livre que moi. C’est difficile.
Ça me fout la panique. »
« Je me sens très proche
de la femme des 143 pages. J’aime son étrangeté. Elle me touche, m’émeut, m’attendrit.
Je et Elle. Moi et une femme. Moi et la femme. De la femme à moi, il y a une
distance incalculable. Et pourtant je suis collé à elle. Je se cache tout le
temps dans Elle. Et Elle, c’est Je le plus souvent. »
« Les écrivains ne devraient pas avoir d’intimes.
Ou alors mes intimes ne mes voient pas comme écrivain, c’est plutôt ça. Ils me
voient comme la maman, la patronne, la chef, la bonne femme. Ça tient au fait
que je n’ose pas moi-même me vivre comme écrivain. Un écrivain, c’est plus que
Moi… Je suis une « écrivanière », une plumitive, une rien
du tout. »
© Photo, billet, sauf les
extraits de Marie Cardinal,
Denis Morin, 2019
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