mardi 26 novembre 2019

Ellesmere de Marie Desjardins



Marie Desjardins publiait en 2014 le roman Ellesmere aux Éditions du CRAM. Quel roman ! Tout y est en clair-obscur avec un seul narrateur et une absence de dialogues. On passe de la lumière au bleu saphir pour parvenir aux ténèbres avant de regagner le soleil de minuit.

L’animal totem du narrateur est un épervier qui survole tout et voit tout. Il se prend pour l’oiseau, mais l’épervier prend parfois du plomb dans l’aile.

Vivant dans un village sur la rive nord du lac Deux-Montagnes, on fait la connaissance d’une mystérieuse famille. Le père, le ‘’perdant’’ de sa fratrie composée d’un politicien à Ottawa, d’une violoniste vivant en Suisse, d’un écrivain installé en Californie, impose un régime de terreur à sa femme et à ses enfants. Il est d’une grande sévérité avec eux, frappe Jess l’aîné qui l’assiste dans les soins vétérinaires prodigués aux troupeaux bovins de la région. Il y a aussi la mère qui rêvasse en peignant des aquarelles.

Puis Jess décidera de mener sa vie comme bon lui semble. Il reproduira les patterns de violence subis par son père auprès de ceux et celles qui croiseront sa route. Le narrateur, le deuxième frère, remarque très vite la très grande complicité entre Jess et leur sœur. L’aîné partira d’abord pour Port Harrison, puis pour Ellesmere au Nunavut pour expier le passé. Il bâtira des maisons pour les descendants des déportés inuits des années ’50. D’ailleurs, on le surnommera l’inuit blanc.

Le narrateur deviendra un peintre à succès après avoir peint Ellesmere selon les souvenirs de sa sœur ayant rendu visite à leur frère exilé. D’ailleurs, ce peintre vampirise les autres à bien des égards. Quant à leur sœur, elle peint dans le silence. Elle crée dans l’anonymat. Elle attendra telle une Pénélope l’amour avant d’aller peindre des icônes dans les monastères orthodoxes d’Europe de l’Est.

Dans Ellesmere, il y a la plume de Marie Desjardins qui sait écrire et nous porter des Basses-Laurentides au Nunavut. On a droit aussi à des détours en Russie et en Roumanie. Que d’instants de grâce dans ce roman !

Extraits :

« Jess approuvait. Un faux sourire se figeait sur sa face et ses yeux devenaient des lames de froideur. Tout se passait à l’intérieur de lui. Son monde semblait immense, peuplé et inaccessible. Je percevais des lignes, des couleurs et des formes. C’était bleu, mouvant et à la fois étale, une vaste étendue d’eau lointaine et glace. »

« Elle se promenait dans l’église comme une touriste dans un musée, s’arrêtant devant chaque station, chaque statue. Il y en avait du Christ, de Marie, de saint Michel archange et une petite de Kateri Tekakwitha le lys des Agniers, la patronne des nations amérindiennes. Ma sœur demeurait surtout au pied de celle-là. »

« … parfois même je dessinais, toujours étonné du prodige de quelques petits coups de crayon sur du papier, autant de gribouillis qui pouvaient devenir des chefs-d’œuvre et se vendre à prix d’or – tout est question de circonstances, le talent n’a pas forcément d’incidence réelle dans tout cela, un peu comme la beauté : elle peut être stérile, comme celle de ma sœur. Flamme d’un lampion vacillant dans une église ténébreuse. Une vie sans existence. »

© Photo, billet, sauf les extraits de Marie Desjardins,
    Denis Morin, 2019


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