mercredi 7 avril 2021

Entretien avec Karine Geoffrion

 

Il est toujours intéressant de découvrir à titre de blogueur et de lecteur une nouvelle voix en littérature. Tout récemment, j’ai pu lire La valse et Éloi et la mer de Karine Geoffrion, romancière publiée aux Éditions Sémaphore. Elle livre ici ses impressions sur son processus créatif. Je l’en remercie grandement.



Quel est le premier livre lu ? À quel âge ?

Enfant, j'avais toujours un livre sous le nez. Mais les premiers romans que j'ai lus ont sans doute été Les malheurs de Sophie, Les petites filles modèles et Les Vacances de la Comtesse de Ségur, trilogie reçue en cadeau pour ma fête vers l'âge de 7 ou 8 ans. Toutefois, lorsque je repense à mon adolescence, c'est le recueil La femme rompue de Simone de Beauvoir, que j'ai dévoré à 15 ans, qui a été marquant pour moi et a influencé mon cheminement. Au contact de ce livre, j'ai développé une affinité particulière avec Beauvoir, qui perdure encore aujourd'hui.

Quel est le dernier livre lu ? Pourquoi ?

Pendant le confinement, j'ai eu envie de relire certains romans que j'affectionne beaucoup et que j'ai lus au début de l'âge adulte. Il y a quelque chose d'attendrissant dans le fait de relire un livre que l'on a aimé dans le passé et de le redécouvrir vingt ans plus tard. On peut en apprendre beaucoup sur soi, sur la façon dont nos pensées ou nos conceptions de la vie ont évolué au contact des années. Ma dernière lecture est donc L'amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marques, un livre qui m'émeut toujours et qui, dans le contexte pandémique actuel, revêt une dimension particulière.

Est-ce que l’écriture a devancé les études en lettres ?

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit des carnets ou journaux intimes, ressenti le besoin de m'exprimer par l'écriture et de comprendre le monde qui m'entoure. Mais la plupart de mes projets littéraires demeuraient inachevés puisqu'il y avait constamment, comme une hantise, une peur de l'échec. Pendant mes études en littérature, j'ai donc beaucoup plus lu et étudié l'oeuvre de d'autres auteurs. Ma maîtrise, qui portait sur la figure du poète maudit, était d'ailleurs en recherche et non en création littéraire. Dans un sens, ces nombreuses lectures m'ont permis de réfléchir sur le processus d'écriture et ainsi trouver ma propre voix.

Seriez-vous tentée par la scénarisation (télé, cinéma) ?

En ce sens que votre écriture est très visuelle comme un long travelling. Oui, l'on me mentionne souvent que mon écriture est cinématographique. Quand j'écris, je vois inévitablement défiler les images dans ma tête; la mise en scène visuelle, la notion d'espace et d'environnement, comme les textures, les couleurs, les sons, les saisons, sont au cœur de mon processus d'écriture et sont intimement liées à mes personnages. Ayant fait des études en cinéma et en théâtre avant de me consacrer aux études littéraires, ce sont aussi des arts que j'apprécie et qui restent importants dans ma vie. Je ne dirais pas non si l'occasion se présentait.

Vous faites usage de la narration omnisciente dans vos deux romans Éloi et la mer et La valse où l’on ressent tout de même le tourment de deux femmes : une mère entre deux eaux et une femme superficielle qui mise sur le paraître. Pourquoi y a-t-il absence de répliques et de dialogues ?

C'est une bonne question. Je dirais que ce n'est pas tant une question de choix que l'expression naturelle de mon style ou de ma façon d'aborder l'écriture qui est davantage intimiste, contemplative. J'aime construire des personnages complexes, parfois même dérangeants, et exposer de façon objective, ou distancée, si l'on peut dire, leurs motivations psychologiques, leurs failles, leur désarroi. C'est ensuite aux lecteurs de se faire leur propre opinion. 

Les personnages féminins sont-ils plus intéressants comme sujet d’observation ?

Plus intéressants je ne sais pas, mais ces dernières années, ce sont effectivement les femmes, croisées brièvement ou proches de moi, qui m'émeuvent par leurs craintes, leurs doutes, leurs combats au quotidien, et avec qui je sens une connivence, une filiation. Il y a aussi une part de résonance personnelle à ce choix : à travers ces personnages féminins, je parle toujours un peu de moi.

Qu’est-ce qui déclenche le texte ? 

Des contradictions, des tensions, des exaspérations ou des émotions parfois envahissantes que seule l'écriture peut libérer. J'aime explorer des moments charnières de la vie humaine où rien ne va plus, où le destin d'une personne vacille en un instant. Dans Éloi et la mer, mon premier roman, ainsi que dans La valse, il y a de cela : deux femmes qui, confrontées à des situations hors de leur contrôle et déchirées par des angoisses qu'elles ont du mal à étouffer, se retrouvent seules face à des choix déterminants.

Vous imposez vous un plan d’écriture ou vous laissez-vous porter par les personnages et l’histoire qui défile sous vos yeux ?

Les plans ne me connaissent pas! En fait, je débute toujours mes romans par une phrase qui me trotte dans la tête, que je peux me répéter pendant des jours, et qui incarne ou englobe le ton, l'émotion que j'ai envie d'explorer ou la ligne directrice du récit. De plus, la fin m'habite toujours avant de commencer un roman. L'écriture devient donc une sorte de pont à construire, à imaginer, qui reliera ces deux éléments.

La littérature-jeunesse vous intéresserait-elle ou pas ? 

Dernièrement, et pour la première fois, l'idée m'a traversé l'esprit. Puisque j'ai deux fils qui adorent la lecture, j'aimerais peut-être, un de ces jours, publier un livre qui leur plairait, auquel ils pourraient s'identifier, et qui aborderait certains défis qu'ils doivent affronter au quotidien.

Que serait un instant de grâce en écriture ?

Lors de la réécriture, après plusieurs essais infructueux, lorsque je réussis enfin à trouver la justesse d'un mot ou d'une phrase et à transmettre l'émotion ou l'image que j'ai en tête. Puisque j'ai tendance à retravailler beaucoup mes textes, et parfois maladivement, ces instants de grâce, où la musicalité et la précision me satisfont, m'apportent un sentiment de plénitude, de grande satisfaction.

Écrivaine du silence ou de la musique de fond ?

Surtout du silence, je dirais. J'ai tendance à déclamer à voix haute mes textes lors de la réécriture; la sonorité et le rythme de mes récits étant au cœur de mon processus d'écriture. Cela peut sans doute s'expliquer par le fait que j'ai fait beaucoup de théâtre dans le passé : avoir le bon rythme, l'intonation, et respecter la fluidité d'un texte dramatique sont au cœur du travail de comédienne. Naturellement, j'appréhende l'écriture de la même façon. Toutefois, si l'envie me prend d'écouter de la musique au début du processus, j'écoute de la musique classique, plus précisément des pièces de piano, instrument que j'affectionne beaucoup.

 

© Entretien, Denis Morin, Karine Geoffrion; portrait, Louis Geoffrion; photos des livres, Denis Morin, 2021.

     


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