mercredi 16 juin 2021

Entretien avec Alain Cadéo

 

Chez les artistes, on veut toujours départager l’humain du créateur comme s’ils étaient deux jumeaux inséparables. Je me suis entretenu virtuellement avec Alain Cadéo, un écrivain français dont j’apprécie l'intelligence, la sensibilité et la pertinence. Il eut l’amabilité de répondre à mes questions sur l’écriture et la vie. Ses réponses nous amènent sur des sentiers de montagne, loin du bruit. Martine, son épouse, fut en toute discrétion la cheffe d’orchestre. Je lui en suis reconnaissant.

Je vous connais par Mayacumbra, Des mots de contrebande, Confessions, il y a toujours un soli(d/t)aire dans vos histoires… C’est vous, par transposition ?

Merci déjà à vous pour vos questions.

Merci aussi pour le « d » et le « t » de ces deux mots aux apparences antinomiques et qui pourtant peuvent parfaitement fonctionner ensemble.

Nos rêves ne sont-ils pas bien souvent des îles que nous souhaiterions parcourir avec tous ceux à qui nous pourrions être utiles et qui eux-mêmes nous pousseraient à voir mieux, plus grand, plus beau, plus loin.

Duras disait qu’elle devait s’isoler, se retrancher du monde, en être l’observatrice. Qu’en pensez-vous ?

S’isoler, observer, et à la fois être « au cœur du Monde » comme le fut cette gueule cabossée de Cendrars… L’être paradoxal est un sauvage parfois apprivoisable. 

Vous habitez l’écriture ou est-ce l’écriture qui vous possède ?

Il y a bien possession, et vous devez en savoir quelque chose… Je l’ai souvent écrit. Les Mots sont en apparence chiens dociles qui, lorsqu’ils prennent le dessus, deviennent meutes de loups carnassiers.

Et puis, ce qui me plait lorsque je pense ou que j’écris, n’est pas ce que je maîtrise mais ce qui me surprend. Le Charme (carmen, au sens fort de l’enchantement) du langage, c’est cette part de tout un inconnu qui débarque entre vos doigts, comme un cadeau qui vous est fait, si riche et si puissant, que vous ne pouvez que tenter de le partager.

Vous gambadez un pied dans le roman et un pied dans la prose poétique, cela tient-il dans votre capacité de jouer avec la vie ?

Cela tient surtout à mon incapacité d’être dans une narration purement réaliste. Je ne suis qu’une flopée de sensations, un galimatias d’impressions que je m’efforce de dompter.

Je ne « gambade » pas, je boîte ou cours comme un dératé. Je ne joue pas, non, je m’en vais, vers l’hospitalité des âmes qui partagent. 

Je vous soupçonne d’être fasciné par une autre forme d’art… la peinture, la danse, le cinéma…

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas être fasciné par tous ces êtres qui, avec leurs pauvres moyens d’humains, tentent toujours de transcender, de dépasser la raison ordonnée, les tristes limites qui nous sont imposées ? Chacun à sa manière enrichit notre esprit. C’est la meilleure définition du Pluriel Singulier. 

Comment se vit la genèse d’un nouvel opus ?

C’est un éclair dans le brouillard. Le problème ensuite est de garder le rythme de la foudre et de ne pas s’ensevelir dans les sables mouvants de la facilité.

Qui a le dernier mot, l’écrivain ou le personnage ? 

Mais enfin Denis, les deux sont les mêmes ! Saint ou crapule, empereur ou taulard, nous ne sommes que les transporteurs de l’entière Humanité.

Vous êtes chien ou chat ? Thé ou café ? Eau plate ou pétillante ?

Je ne suis rien et je me fais à tout. 

Quelle part de votre vie est consacrée à l’écriture et à tout ce qui l’entoure (édition, promotion, etc.) ?

Toute ma vie est consacrée à l’écriture. Ce qui n’est pas bon. On y perd pied. On a le cul entre deux chaises, entre le plein et le vide, funambule sur une corde usée qui menace de rompre à chaque pas franchi.

Plus vous gagnez en maturité et plus vous renouez avec l’enfance et son émerveillement. Vrai ou faux ? Ou l’intervieweur est d’une telle naïveté ?

Ne pas confondre naïveté et quête de limpidité. Et ce n’est pas une histoire d’âge. Comment ne pas désirer la pure intensité de ce regard des tout-petits, sans calculs, sans orgueil, sans fausse séduction, uniquement mû par la curiosité et cette capacité à s’émerveiller.

J’ai un rêve que je vous livre comme ça… J’aimerais bien que l’écrivain et acteur Vincent Giudicelli (Corse par sa mère) lise vos textes sur scène ou pourquoi pas l’acteur italien Alessio Boni qui fait des soirées de poésie. Est-ce que vos livres pourraient être traduits en italien ?

Je suis heureux que vous rêviez…

Décrivez-vous en cinq mots au maximum…

Un seul suffira : chercher.

 

© Photos, Martine Cadéo. Entretien, Alain Cadéo, Denis Morin, 2021

 















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