vendredi 5 juin 2020

Errance de Mattia Scarpulla



Ce printemps 2020 m’a donné le temps de ce confinement pour lire et relire Errance, le roman particulier de Mattia Scarpulla qui paraît en 2020 chez Annika Parance. Il est à noter que le français est une langue seconde pour l’auteur qu’il maîtrise à merveille.

Mattia Scarpulla est un intello nomade ayant vécu en Belgique, en France avant de s’installer au Québec. Dans son cursus universitaire, il s’intéresse autant aux lettres qu’à la danse. D’ailleurs, il est un docteur ès arts spécialisé en danse de l’Université de Turin. Il s’est impliqué dans des prestations théâtrales et littéraires. Il écrit de la poésie, des nouvelles et aborde ici pour la première fois le roman avec une telle intensité ! Bravo !

Avant d’entrer dans l’objet de ce billet, je dois avouer une chose. J’ai déjà été intervenant en santé mentale et j’ai des membres de ma famille immédiate qui ont eu à gérer leur violence. Certaines scènes ont fait remonter mes propres souvenirs en surface. Donc, des passages du roman sont des coups en pleine gueule, mais ce n’est pas une œuvre sur la folie. On cause ici d’immigration et d’identité. Je tenais à vous prévenir.

Stefano a une copine, Sophie, et leur enfant, Elisa, qu’il laisse au Havre pour séjourner à Brest, dans le Finistère, en Bretagne. Durant ce déracinement temporaire, Stefano boit et en perd ses repères. On est entre le réel et l’imaginaire avec une dichotomie, un dédoublement… Il se promène dans sa tête entre Turin, l’île Saint-Louis à Paris et Groningue. Est-ce que ce passé s’est vraiment déroulé ou est-ce un passé qu’il s’est forgé ? Stefano alias Bruno dérive dans ses pensées. Des éclats de colère surgissent ça et là comme des fragments du passé non réglés, à gommer ou à pulvériser. Ça cogne. Ce roman époustouflant se termine par un épilogue de Sophie qui a repris le contrôle de son existence et l’épilogue d’Elisa partie retrouvée son père. Je me retiens pour ne pas briser le charme de ce superbe roman.

Mattia Scarpulla eut l’idée intéressante d’intégrer des dialogues et des expressions en italien, ce qui confère au récit une couleur méditerranéenne et une authenticité. Connaissant la langue de Dante, je me suis revu marchant dans les rues de Rome avec les voix qui fusent des balcons. Ce fascinant chassé-croisé linguistique est réussi. Un grand lyrisme provient de la musicalité des deux langues.

La liste des pièces musicales mise en toute fin est intéressante, puisque les arts nourrissent les artistes comme ils nourrissent nos jours dont certains événements sont marqués par une chanson, un air entendu.

Vraiment, c’est un tremblement de terre ce roman sur l’identité, la vengeance, les convictions profondes, les classes sociales et le déracinement. Je pense aussi aux jeunes en Occident et ailleurs dans le monde qui tentent de survivre entre les études et les stages. L’auteur fait allusion aux années de plomb en Italie mais sans tomber dans le traité historique. Mattia Scarpulla possède un souffle et un style. Ça tient de l’envoûtement. À lire évidemment.

Grazie mille al scittore per questa meravigliosa opera di arte!

Extraits :


« Nous restons pendant une trentaine de minutes à nous regarder en silence. Nos yeux se remplissent de larmes. Nous levons nos deux poings et les laissons s’abattre brutalement sur la table. Le verre d’Erica se renverse. Je me lève pour éviter le liquide. Un serveur s’approche avec un torchon que j’utilise pour éponger la table et une serpillière qu’il voudrait passer au sol. »

« J’accompagne Rebecca à des soirées, elle me tient la main, me caresse les cheveux tout en parlant avec ses amis, loue mes mille qualités. Rebecca me fascine. Sa double personnalité. L’amour et la haine envers sa famille. Sa tendresse exagérée envers moi en public. Sa froideur et sa valse avec la vengeance lorsqu’on est enfermés dans notre chambre. »


© Photo, Annika Parance,
     Texte du billet, sauf les extraits de M. Scarpulla,
     Denis Morin, 2020



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