Ce
printemps 2020 m’a donné le temps de ce confinement pour lire et relire Errance,
le roman particulier de Mattia Scarpulla qui paraît en 2020 chez Annika
Parance. Il est à noter que le français est une langue seconde pour l’auteur qu’il
maîtrise à merveille.
Mattia
Scarpulla est un intello nomade ayant vécu en Belgique, en France avant de s’installer
au Québec. Dans son cursus universitaire, il s’intéresse autant aux lettres qu’à
la danse. D’ailleurs, il est un docteur ès arts spécialisé en danse de l’Université
de Turin. Il s’est impliqué dans des prestations théâtrales et littéraires. Il
écrit de la poésie, des nouvelles et aborde ici pour la première fois le roman
avec une telle intensité ! Bravo !
Avant d’entrer
dans l’objet de ce billet, je dois avouer une chose. J’ai déjà été intervenant
en santé mentale et j’ai des membres de ma famille immédiate qui ont eu à gérer
leur violence. Certaines scènes ont fait remonter mes propres souvenirs en
surface. Donc, des passages du roman sont des coups en pleine gueule, mais ce n’est
pas une œuvre sur la folie. On cause ici d’immigration et d’identité. Je tenais
à vous prévenir.
Stefano
a une copine, Sophie, et leur enfant, Elisa, qu’il laisse au Havre pour
séjourner à Brest, dans le Finistère, en Bretagne. Durant ce déracinement
temporaire, Stefano boit et en perd ses repères. On est entre le réel et
l’imaginaire avec une dichotomie, un dédoublement… Il se promène dans sa tête
entre Turin, l’île Saint-Louis à Paris et Groningue. Est-ce que ce passé s’est
vraiment déroulé ou est-ce un passé qu’il s’est forgé ? Stefano alias
Bruno dérive dans ses pensées. Des éclats de colère surgissent ça et là comme des
fragments du passé non réglés, à gommer ou à pulvériser. Ça cogne. Ce roman
époustouflant se termine par un épilogue de Sophie qui a repris le contrôle de
son existence et l’épilogue d’Elisa partie retrouvée son père. Je me retiens pour
ne pas briser le charme de ce superbe roman.
Mattia
Scarpulla eut l’idée intéressante d’intégrer des dialogues et des expressions
en italien, ce qui confère au récit une couleur méditerranéenne et une
authenticité. Connaissant la langue de Dante, je me suis revu marchant dans les
rues de Rome avec les voix qui fusent des balcons. Ce fascinant chassé-croisé
linguistique est réussi. Un grand lyrisme provient de la musicalité des deux
langues.
La liste
des pièces musicales mise en toute fin est intéressante, puisque les arts
nourrissent les artistes comme ils nourrissent nos jours dont certains événements
sont marqués par une chanson, un air entendu.
Vraiment,
c’est un tremblement de terre ce roman sur l’identité, la vengeance, les convictions
profondes, les classes sociales et le déracinement. Je pense aussi aux jeunes
en Occident et ailleurs dans le monde qui tentent de survivre entre les études
et les stages. L’auteur fait allusion aux années de plomb en Italie mais sans
tomber dans le traité historique. Mattia Scarpulla possède un souffle et un style.
Ça tient de l’envoûtement. À lire évidemment.
Grazie
mille al scittore per questa meravigliosa opera di arte!
Extraits :
« Nous restons pendant une trentaine de minutes à nous regarder en
silence. Nos yeux se remplissent de larmes. Nous levons nos deux poings et les
laissons s’abattre brutalement sur la table. Le verre d’Erica se renverse. Je
me lève pour éviter le liquide. Un serveur s’approche avec un torchon que
j’utilise pour éponger la table et une serpillière qu’il voudrait passer au
sol. »
« J’accompagne Rebecca à des soirées, elle me tient la main, me
caresse les cheveux tout en parlant avec ses amis, loue mes mille qualités.
Rebecca me fascine. Sa double personnalité. L’amour et la haine envers sa
famille. Sa tendresse exagérée envers moi en public. Sa froideur et sa valse
avec la vengeance lorsqu’on est enfermés dans notre chambre. »
©
Photo, Annika Parance,
Texte
du billet, sauf les extraits de M. Scarpulla,
Denis
Morin, 2020
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