Les terrasses étant fermées, je me suis rendu chez l’écrivain pour partager
une bouteille de merlot australien en son salon chacun à son bout de sofa. La
vie et la littérature suivent leur cours. L’imaginaire n’est jamais en repos.
Il lui suffit d’un personnage, d’une idée, d’une émotion pour que s’amorce un
projet d’écriture. De cette discussion autour de l’écriture, il en a résulté
cet entretien. Bonne découverte.
Que représente un livre pour vous ?
Une multitude de choses. Beaucoup de plaisir et
de découvertes d’abord. Ensuite il y a l’objet : qu’il soit précieux,
ancien, neuf ou de poche, un livre est toujours beau. J’ai grandi parmi eux et
depuis toujours ils sont un élément essentiel du décor qui m’entoure, de mes
voyages d’où j’en ramène toujours. Il me semble que je n’en posséderais jamais
assez ! Je lis beaucoup, mais je relis aussi ; c’est ainsi qu’un
livre pour moi, c’est un complice, un vieil ami que l’on retrouve avec joie… ou
mélancolie.
Quelle place occupe l’écriture dans votre
vie ?
Une place centrale, bien sûr ! Je n’écris
pas sans cesse, bien sûr, et le rythme n’est pas toujours régulier, mais je ne
peux pas imaginer une existence sans l’écriture. On peut aimer ou ne pas aimer,
mais dans la vie, écrire est ce que je sais faire de mieux, c’est ce qui
m’apporte le plus de satisfaction. C’est parfois frustrant, difficile,
laborieux, mais j’ai une chance inouïe de pouvoir m’y adonner. C’est mon mode
d’expression, c’est ce qui me permet de continuer à avancer malgré les aléas, et
ça m’apporte beaucoup.
Écrivain du matin, de l’après-midi ou du
soir ?
J’aimerais répondre plus précisément mais j’écris
un peu n’importe quand, même s’il est vrai que mes idées sont plus claires le
matin et le soir que l’après-midi. En revanche je préfère l’été et dans une
moindre mesure la fin du printemps et le début de l’automne, car j’aime écrire
dehors. Écrire la nuit en plein été, c’est formidable.
Écrire, c’est de famille ou non ?
Écrire précisément, pas tout à fait, même si mon
père s’y est adonné, sans toutefois poursuivre dans cette voie. Mais l’amour du
livre, de la littérature et des arts en général, ça oui, sans aucun doute. Ça
m’a été inculqué au berceau et d’aussi loin que je me souvienne, la culture a
joué un rôle primordial dans ma vie et dans certains choix importants.
La littérature peut-elle être représentative d’un
peuple ?
Ça, ça mériterait une longue discussion !
Votre écriture est très cinématographique,
verriez-vous Un balcon à Cannes ou Dolce vita au grand
écran ?
J’adore le cinéma et sans hésitation, je serais
extrêmement heureux de voir Dolce vita
ou des nouvelles extraites d’Un balcon à
Cannes transposés au grand écran. Ce serait un rêve. Ce serait aussi très
flatteur qu’un scénariste ou un réalisateur juge mon univers assez intéressant
pour se l’approprier et l’interpréter. Ce serait un projet artistique
passionnant. Maintenant, je ne sais pas quel effet cette interprétation me
ferait, je ne sais pas quelle serait ma réaction devant le visage, la voix et
le physique de personnages sortis tout d’abord de mon imagination… c’est
l’inconnu et ça m’intrigue. Mais si l’occasion se présentait et que le projet
me semblait de qualité, je n’hésiterais pas. Je demanderais peut-être même à
apparaître en caméo !
Dans Dolce vita, il y a Adrien pris entre
Alejo (dont il n’arrive pas à décrocher) et Maximilien (qui assume bien ses
désirs). Au niveau de l’univers LGBT, avez-vous le sentiment de poursuivre à
votre façon l’œuvre d’écrivains comme Yves Navarre ou Jean Genest.
À ma façon peut-être. Ce serait un beau compliment. Mais je n’oserais pas
me prétendre l’héritier de ces écrivains que j’admire et que j’apprécie
beaucoup mais qui ne m’ont pas particulièrement inspiré. J’irais plutôt vers
Cocteau, Sagan, Beauvoir, Henry James ou – même si on l’a relativement oublié -
Philippe Hériat, qui a écrit un magnifique roman d’éducation sentimentale
ambiguë, L’innocent. Ce qui
m’intéresse, ce sont les relations humaines et leurs complications, leur
profondeur. En revanche, et c’est indéniable, le militantisme et le courage de
ces grands écrivains ont certainement quelque chose à voir avec la
transformation et la longue évolution de la vision que l’on a de ce qu’on
appelle aujourd’hui l’univers LGBT. Et peut-être que sans eux, des personnages
comme Maximilien, dans Dolce vita, ne
vivraient pas leur sexualité comme ils la vivent, c’est à dire en l’assumant,
sans façon et naturellement. En toute liberté. Comme tout le monde devrait pouvoir
le faire, peu importe le sexe, la culture, l’orientation sexuelle ou la classe
sociale.
Vous arrive-t-il de mener de front deux projets
simultanés ?
Oui. Pas toujours, mais ça m’arrive. Passer d’un
projet à l’autre me permet de respirer, de me changer les idées tout en
continuant à écrire et à créer. C’est ainsi que j’ai écrit parallèlement
un recueil de nouvelles et un roman. J’arrive pour l’instant à passer d’un
univers à l’autre et à éviter les répétitions…
L’état de grâce face à la littérature, ça
existe ?
Ça existe, ça oui, à la fois en tant qu’écrivain
ou que lecteur. Rien n’est plus formidable que s’immerger dans l’univers d’un
écrivain ou d’un artiste, d’ailleurs. Ça vaut pour le cinéma, la peinture ou la
musique. Plus troublant mais tout aussi intense : se laisser emporter par
son propre univers quand il prend son envol, quand les personnages commencent à
évoluer par eux-mêmes et vous dépassent…
Voudriez-vous traduire des écrivains hispanophones
vers le français ?
Je pense que ce serait un exercice très
intéressant mais je ne suis pas sûr d’avoir les compétences pour traduire de la
littérature. C’est un travail énorme que de traduire un auteur, un monde, des
sentiments… J’admire ceux qui ont ce talent. Et aussi, peut-être encore plus
ceux qui traduisent de la poésie. Ça, ça me semblerait tout à fait impossible.
Seriez-vous poète à vos heures ?
Je ne sais pas si je pourrais avoir l’audace de
me considérer poète mais j’écris en effet de la poésie. Principalement de la
prose poétique. C’est un mécanisme de création qui diffère radicalement du
roman ou de la nouvelle et qui me détend. J’ai écrit un recueil de
poésie au cours de la dernière année, que j’ai intitulé Les poings dans les poches. C’était la première fois que mes poèmes
faisaient partie d’un projet précis, d’un ensemble. J’ai beaucoup aimé le
rédiger, mais en ce moment j’avoue que je ne sais pas trop quoi en faire, alors
je le laisse de côté. J’aimerais bien qu’il devienne un livre et qu’il ait sa
vie à lui mais il faudrait pour cela que je me décide à le faire lire, à le
présenter et pour l’instant je ne suis pas tout à fait prêt.
Et vos projets d’écriture à venir, quels
sont-ils ?
J’ai un recueil de nouvelles intitulé Présents composés qui devait sortir en
mai et qui a été repoussé à l’automne prochain. J’aurais bien aimé une
publication au printemps mais vu les circonstances… et puis le livre est fini
donc je suis à la fois heureux et impatient ! Sinon je termine
actuellement un roman dont l’action se déroule entre l’Italie et le Liban, avec
un passage à Montréal. Le tout reste à peaufiner, bien sûr. Parallèlement il y
a le recueil de poèmes que j’ai mentionné précédemment… À suivre !
© Billet et photos, Denis Morin, Juan Joseph Ollu, 2020
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