dimanche 14 juin 2020

Entretien avec Juan Joseph Ollu


Les terrasses étant fermées, je me suis rendu chez l’écrivain pour partager une bouteille de merlot australien en son salon chacun à son bout de sofa. La vie et la littérature suivent leur cours. L’imaginaire n’est jamais en repos. Il lui suffit d’un personnage, d’une idée, d’une émotion pour que s’amorce un projet d’écriture. De cette discussion autour de l’écriture, il en a résulté cet entretien.  Bonne découverte.


Que représente un livre pour vous ?

Une multitude de choses. Beaucoup de plaisir et de découvertes d’abord. Ensuite il y a l’objet : qu’il soit précieux, ancien, neuf ou de poche, un livre est toujours beau. J’ai grandi parmi eux et depuis toujours ils sont un élément essentiel du décor qui m’entoure, de mes voyages d’où j’en ramène toujours. Il me semble que je n’en posséderais jamais assez ! Je lis beaucoup, mais je relis aussi ; c’est ainsi qu’un livre pour moi, c’est un complice, un vieil ami que l’on retrouve avec joie… ou mélancolie.

Quelle place occupe l’écriture dans votre vie ?

Une place centrale, bien sûr ! Je n’écris pas sans cesse, bien sûr, et le rythme n’est pas toujours régulier, mais je ne peux pas imaginer une existence sans l’écriture. On peut aimer ou ne pas aimer, mais dans la vie, écrire est ce que je sais faire de mieux, c’est ce qui m’apporte le plus de satisfaction. C’est parfois frustrant, difficile, laborieux, mais j’ai une chance inouïe de pouvoir m’y adonner. C’est mon mode d’expression, c’est ce qui me permet de continuer à avancer malgré les aléas, et ça m’apporte beaucoup.

Écrivain du matin, de l’après-midi ou du soir ?

J’aimerais répondre plus précisément mais j’écris un peu n’importe quand, même s’il est vrai que mes idées sont plus claires le matin et le soir que l’après-midi. En revanche je préfère l’été et dans une moindre mesure la fin du printemps et le début de l’automne, car j’aime écrire dehors. Écrire la nuit en plein été, c’est formidable.

Écrire, c’est de famille ou non ?

Écrire précisément, pas tout à fait, même si mon père s’y est adonné, sans toutefois poursuivre dans cette voie. Mais l’amour du livre, de la littérature et des arts en général, ça oui, sans aucun doute. Ça m’a été inculqué au berceau et d’aussi loin que je me souvienne, la culture a joué un rôle primordial dans ma vie et dans certains choix importants.

La littérature peut-elle être représentative d’un peuple ?

Ça, ça mériterait une longue discussion !


Votre écriture est très cinématographique, verriez-vous Un balcon à Cannes ou Dolce vita au grand écran ?

J’adore le cinéma et sans hésitation, je serais extrêmement heureux de voir Dolce vita ou des nouvelles extraites d’Un balcon à Cannes transposés au grand écran. Ce serait un rêve. Ce serait aussi très flatteur qu’un scénariste ou un réalisateur juge mon univers assez intéressant pour se l’approprier et l’interpréter. Ce serait un projet artistique passionnant. Maintenant, je ne sais pas quel effet cette interprétation me ferait, je ne sais pas quelle serait ma réaction devant le visage, la voix et le physique de personnages sortis tout d’abord de mon imagination… c’est l’inconnu et ça m’intrigue. Mais si l’occasion se présentait et que le projet me semblait de qualité, je n’hésiterais pas. Je demanderais peut-être même à apparaître en caméo !

Dans Dolce vita, il y a Adrien pris entre Alejo (dont il n’arrive pas à décrocher) et Maximilien (qui assume bien ses désirs). Au niveau de l’univers LGBT, avez-vous le sentiment de poursuivre à votre façon l’œuvre d’écrivains comme Yves Navarre ou Jean Genest.

À ma façon peut-être. Ce serait un beau compliment. Mais je n’oserais pas me prétendre l’héritier de ces écrivains que j’admire et que j’apprécie beaucoup mais qui ne m’ont pas particulièrement inspiré. J’irais plutôt vers Cocteau, Sagan, Beauvoir, Henry James ou – même si on l’a relativement oublié - Philippe Hériat, qui a écrit un magnifique roman d’éducation sentimentale ambiguë, L’innocent. Ce qui m’intéresse, ce sont les relations humaines et leurs complications, leur profondeur. En revanche, et c’est indéniable, le militantisme et le courage de ces grands écrivains ont certainement quelque chose à voir avec la transformation et la longue évolution de la vision que l’on a de ce qu’on appelle aujourd’hui l’univers LGBT. Et peut-être que sans eux, des personnages comme Maximilien, dans Dolce vita, ne vivraient pas leur sexualité comme ils la vivent, c’est à dire en l’assumant, sans façon et naturellement. En toute liberté. Comme tout le monde devrait pouvoir le faire, peu importe le sexe, la culture, l’orientation sexuelle ou la classe sociale.

Vous arrive-t-il de mener de front deux projets simultanés ?

Oui. Pas toujours, mais ça m’arrive. Passer d’un projet à l’autre me permet de respirer, de me changer les idées tout en continuant à écrire et à créer. C’est ainsi que j’ai écrit parallèlement un recueil de nouvelles et un roman. J’arrive pour l’instant à passer d’un univers à l’autre et à éviter les répétitions…

L’état de grâce face à la littérature, ça existe ?

Ça existe, ça oui, à la fois en tant qu’écrivain ou que lecteur. Rien n’est plus formidable que s’immerger dans l’univers d’un écrivain ou d’un artiste, d’ailleurs. Ça vaut pour le cinéma, la peinture ou la musique. Plus troublant mais tout aussi intense : se laisser emporter par son propre univers quand il prend son envol, quand les personnages commencent à évoluer par eux-mêmes et vous dépassent…

Voudriez-vous traduire des écrivains hispanophones vers le français ?

Je pense que ce serait un exercice très intéressant mais je ne suis pas sûr d’avoir les compétences pour traduire de la littérature. C’est un travail énorme que de traduire un auteur, un monde, des sentiments… J’admire ceux qui ont ce talent. Et aussi, peut-être encore plus ceux qui traduisent de la poésie. Ça, ça me semblerait tout à fait impossible.

Seriez-vous poète à vos heures ?

Je ne sais pas si je pourrais avoir l’audace de me considérer poète mais j’écris en effet de la poésie. Principalement de la prose poétique. C’est un mécanisme de création qui diffère radicalement du roman ou de la nouvelle et qui me détend. J’ai écrit un recueil de poésie au cours de la dernière année, que j’ai intitulé Les poings dans les poches. C’était la première fois que mes poèmes faisaient partie d’un projet précis, d’un ensemble. J’ai beaucoup aimé le rédiger, mais en ce moment j’avoue que je ne sais pas trop quoi en faire, alors je le laisse de côté. J’aimerais bien qu’il devienne un livre et qu’il ait sa vie à lui mais il faudrait pour cela que je me décide à le faire lire, à le présenter et pour l’instant je ne suis pas tout à fait prêt.

Et vos projets d’écriture à venir, quels sont-ils ?

J’ai un recueil de nouvelles intitulé Présents composés qui devait sortir en mai et qui a été repoussé à l’automne prochain. J’aurais bien aimé une publication au printemps mais vu les circonstances… et puis le livre est fini donc je suis à la fois heureux et impatient ! Sinon je termine actuellement un roman dont l’action se déroule entre l’Italie et le Liban, avec un passage à Montréal. Le tout reste à peaufiner, bien sûr. Parallèlement il y a le recueil de poèmes que j’ai mentionné précédemment… À suivre !




© Billet et photos, Denis Morin, Juan Joseph Ollu, 2020

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