Annika
Parance exerce le singulier métier d’éditeur à Montréal depuis huit ans. Elle
publie des écrivains atypiques. En cette période de confinement planétaire,
elle prend la peine de s’entretenir avec moi à distance par le biais de nos
cellulaires. Je sais son temps très précieux et je la remercie d’autant plus de
se prêter au jeu.
Annika
Parance, le goût des livres, ça remonte à loin ?
D’aussi
loin que je me souvienne à l’enfance. J’ai toujours été fascinée par les livres,
par l’écrit, la façon dont on dit les choses. Je dirais même dès l’état fœtal dans
le monde utérin. Ah, ah ! Mon père était auteur-compositeur-interprète et
ma mère a fait des études de lettres.
L’état
de grâce en littérature, se peut-il ?
Oui, il
existe par la beauté à l’intérieur d’un livre. Tout simplement par la beauté de
la langue. Je voudrais aussi que les livres publiés par ma maison soient beaux
tant dans le contenant que dans le contenu, que le livre soit attrayant, même
si le contenu prime avant tout.
Seriez-vous
tentée par l’écriture ?
Oui et
non. Je suis quelqu’un de discret, de très privé. Mais je pense qu’un éditeur
indépendant se révèle en filigrane par ses choix et ses goûts éditoriaux. Par
contre, je suis passionnée par l’écriture des autres.
Le
métier d’éditeur, ça s’apprend ou c’est inné ?
J’étais
si fascinée par les livres quand j’ai mis mes études en veilleuse pour
travailler dans le monde de l’édition, tout d’abord à faire des cartons dans un
entrepôt, puis peu à peu à en connaître les rouages. Devenir éditeur, cela
faisait partie de mes rêves les plus profonds, mais c’est en mettant les pieds
au Québec il y a 30 ans que j’y ai trouvé le milieu fécond pour créer une
maison d’édition, la mienne.
Et la
place des femmes en littérature, devant et derrière le livre, ça se vit comment ?
Il y a
encore du chemin à parcourir pour l’équité et pour que les femmes se réalisent
pleinement dans toutes les sphères. Ça peut être lourd et difficile d’être une
femme écrivain comme une femme d’affaires. Je crois en la solidarité et la
complémentarité homme-femme pour aller de l’avant dans les arts et dans la
société.
Hormis
le livre papier et le livre numérique, avez-vous déjà songé au livre audio ?
L’autre
jour, j’étais sur Zoom pour une entrevue et l’un de mes auteurs, Vincent
Giudicelli a lu un extrait d’une nouvelle provenant du recueil Il faisait
beau et tout brûlait. J’ai savouré cet instant. Cet écrivain est
critique musical et comédien, mais il sait lire des textes, ce qui n’est pas
donné à tout comédien ou à tout artiste. C’est fabuleux l’audio, je pense que c’est
une des nombreuses voies pour (r)amener les gens à la littérature. J’aimerais beaucoup
développer une collection de livres audio et audio adaptés (pour les mal
voyants) dans les prochaines années.
Comment
se fragmente votre horaire entre lecture, administration et réseautage ?
Je travaille
seule (et avec des pigistes bien sûr) et ma maison d’édition tient dans mon
ordinateur. Je peux donc travailler d’où je suis. Par exemple, nous faisons cet
entretien téléphonique. Je suis en Estrie et vous, à Deux-Montagnes. Revenons à
la gestion du temps, durant les jours ouvrables, je passe environ 45 heures par
semaine à travailler. Je dis travailler, mais ce travail s’avère ma passion.
Donc, l’administration, les opérations courantes et le réseautage se font
durant ces heures-là. Le reste du temps, je fais de l’édition pure. La
proportion de tâches administratives est devenue bien trop importante par
rapport à celle consacrée à la lecture et à la création.
Vos
écrivains sont d’ici et d’ailleurs, cela vous honore. Quels sont vos critères
de sélection ?
Merci.
Je ne cherche pas forcément des écrivains qui ont une maîtrise parfaite de la
langue. Je recherche des écrivains qui savent manier la langue et qui ne
tiennent pas un discours normatif sur la vie. Les écorchés de la vie m’interpellent
par leur manière de voir le monde. Il y aura d’ici quelques mois un nouveau
roman de Marie-Christine Arbour qui écrit si bien sur les milieux marginaux.
Je ne
fais pas de compromis non plus. Si un livre n’est pas à point, il ne paraît
pas. J’y tiens mordicus. Derrière chaque parution, il y a un travail en amont
avec l’auteur pour obtenir un livre à son meilleur. Ce dialogue avec l’écrivain
est essentiel.
Vos
idoles en littérature ?
Comme
ça, à brûle-pourpoint, je vous dirais Marguerite Yourcenar et Marcel Proust
pour la qualité de l’écriture et surtout parce qu’ils étaient libres et qu’ils
écrivaient tout simplement. Les deux ont vécu en retrait, en observateurs.
Quelles
sont vos parutions à venir ?
Il y
aura un nouveau recueil de nouvelles de Juan Joseph Ollu dans la collection
Sauvage et le dernier livre de Julia Kerninon en septembre. Mais pour l’instant,
je prépare la sortie prochaine de Errance de Mattia Scarpulla, un
jeune écrivain d’origine italienne ayant transité par la France. Il vit au
Québec maintenant. Il fait partie de ces écrivains du multilinguisme tels Romain
Gary et Vladimir Nabokov. Il y a dans ce roman, une critique sociale et un
questionnement sur l’identité, car quand on émigre on est quelqu’un d’autre. Une
partie de soi reste là-bas et une autre partie de soi se vit ici.
Voilà,
je vous remercie à mon tour pour cette discussion. J’ai apprécié notre
conversation. Vivement les lettres et les écrivains !
© Entretien,
Denis Morin, Annika Parance, 2020
© Annika
Parance. Crédit photo : Bruno Gautier
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