mercredi 27 mai 2020

Entretien avec Annika Parance


Annika Parance exerce le singulier métier d’éditeur à Montréal depuis huit ans. Elle publie des écrivains atypiques. En cette période de confinement planétaire, elle prend la peine de s’entretenir avec moi à distance par le biais de nos cellulaires. Je sais son temps très précieux et je la remercie d’autant plus de se prêter au jeu.

Annika Parance, le goût des livres, ça remonte à loin ?

D’aussi loin que je me souvienne à l’enfance. J’ai toujours été fascinée par les livres, par l’écrit, la façon dont on dit les choses. Je dirais même dès l’état fœtal dans le monde utérin. Ah, ah ! Mon père était auteur-compositeur-interprète et ma mère a fait des études de lettres.

L’état de grâce en littérature, se peut-il ?

Oui, il existe par la beauté à l’intérieur d’un livre. Tout simplement par la beauté de la langue. Je voudrais aussi que les livres publiés par ma maison soient beaux tant dans le contenant que dans le contenu, que le livre soit attrayant, même si le contenu prime avant tout.

Seriez-vous tentée par l’écriture ?

Oui et non. Je suis quelqu’un de discret, de très privé. Mais je pense qu’un éditeur indépendant se révèle en filigrane par ses choix et ses goûts éditoriaux. Par contre, je suis passionnée par l’écriture des autres.

Le métier d’éditeur, ça s’apprend ou c’est inné ?

J’étais si fascinée par les livres quand j’ai mis mes études en veilleuse pour travailler dans le monde de l’édition, tout d’abord à faire des cartons dans un entrepôt, puis peu à peu à en connaître les rouages. Devenir éditeur, cela faisait partie de mes rêves les plus profonds, mais c’est en mettant les pieds au Québec il y a 30 ans que j’y ai trouvé le milieu fécond pour créer une maison d’édition, la mienne.

Et la place des femmes en littérature, devant et derrière le livre, ça se vit comment ?

Il y a encore du chemin à parcourir pour l’équité et pour que les femmes se réalisent pleinement dans toutes les sphères. Ça peut être lourd et difficile d’être une femme écrivain comme une femme d’affaires. Je crois en la solidarité et la complémentarité homme-femme pour aller de l’avant dans les arts et dans la société.

Hormis le livre papier et le livre numérique, avez-vous déjà songé au livre audio ?

L’autre jour, j’étais sur Zoom pour une entrevue et l’un de mes auteurs, Vincent Giudicelli a lu un extrait d’une nouvelle provenant du recueil Il faisait beau et tout brûlait. J’ai savouré cet instant. Cet écrivain est critique musical et comédien, mais il sait lire des textes, ce qui n’est pas donné à tout comédien ou à tout artiste. C’est fabuleux l’audio, je pense que c’est une des nombreuses voies pour (r)amener les gens à la littérature. J’aimerais beaucoup développer une collection de livres audio et audio adaptés (pour les mal voyants) dans les prochaines années.

Comment se fragmente votre horaire entre lecture, administration et réseautage ?

Je travaille seule (et avec des pigistes bien sûr) et ma maison d’édition tient dans mon ordinateur. Je peux donc travailler d’où je suis. Par exemple, nous faisons cet entretien téléphonique. Je suis en Estrie et vous, à Deux-Montagnes. Revenons à la gestion du temps, durant les jours ouvrables, je passe environ 45 heures par semaine à travailler. Je dis travailler, mais ce travail s’avère ma passion. Donc, l’administration, les opérations courantes et le réseautage se font durant ces heures-là. Le reste du temps, je fais de l’édition pure. La proportion de tâches administratives est devenue bien trop importante par rapport à celle consacrée à la lecture et à la création.

Vos écrivains sont d’ici et d’ailleurs, cela vous honore. Quels sont vos critères de sélection ?

Merci. Je ne cherche pas forcément des écrivains qui ont une maîtrise parfaite de la langue. Je recherche des écrivains qui savent manier la langue et qui ne tiennent pas un discours normatif sur la vie. Les écorchés de la vie m’interpellent par leur manière de voir le monde. Il y aura d’ici quelques mois un nouveau roman de Marie-Christine Arbour qui écrit si bien sur les milieux marginaux.

Je ne fais pas de compromis non plus. Si un livre n’est pas à point, il ne paraît pas. J’y tiens mordicus. Derrière chaque parution, il y a un travail en amont avec l’auteur pour obtenir un livre à son meilleur. Ce dialogue avec l’écrivain est essentiel.

Vos idoles en littérature ?

Comme ça, à brûle-pourpoint, je vous dirais Marguerite Yourcenar et Marcel Proust pour la qualité de l’écriture et surtout parce qu’ils étaient libres et qu’ils écrivaient tout simplement. Les deux ont vécu en retrait, en observateurs.

Quelles sont vos parutions à venir ?

Il y aura un nouveau recueil de nouvelles de Juan Joseph Ollu dans la collection Sauvage et le dernier livre de Julia Kerninon en septembre. Mais pour l’instant, je prépare la sortie prochaine de Errance de Mattia Scarpulla, un jeune écrivain d’origine italienne ayant transité par la France. Il vit au Québec maintenant. Il fait partie de ces écrivains du multilinguisme tels Romain Gary et Vladimir Nabokov. Il y a dans ce roman, une critique sociale et un questionnement sur l’identité, car quand on émigre on est quelqu’un d’autre. Une partie de soi reste là-bas et une autre partie de soi se vit ici.

Voilà, je vous remercie à mon tour pour cette discussion. J’ai apprécié notre conversation. Vivement les lettres et les écrivains !


© Entretien, Denis Morin, Annika Parance, 2020
© Annika Parance. Crédit photo : Bruno Gautier




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