Christian
Bobin, je l’ai découvert vers 1995 avec Le Très-Bas, soit une des
plus belles hagiographies sur François d’Assise. La prose poétique de Bobin est
une envolée d’oiseaux en une aube nouvelle. Rien n’est lourd. Tout est grâce. Son
écriture m’apaise et m’invite à l’intériorité.
À ma
librairie habituelle, je suis entré en 2019 et j’ai vu poser là, sur un présentoir
Pierre, publié chez Gallimard. Je me suis dit que c’était
inhabituel cette virgule dans le titre comme une continuité, un geste en
action, des points de suspension. Puis j’ai débuté en ces temps de confinement
la lecture de ce livre singulier qui est en fait une déclaration d’amitié et d’amour
à l’endroit de Pierre Soulages, un peintre abstrait, créateur et spécialiste
des outrenoirs.
L’outrenoir
est une œuvre sur fond noir. Le peintre peut exercer le passage d’outils pour
créer des rainures. Il peut aussi appliquer du rouge, du bleu, du blanc, ajouter
plus tard du noir, puis gratter pour faire jaillir la couleur sous-jacente. L’outrenoir
fait penser à du bitume mouillé par la pluie. La lumière se réfléchit sur le
noir pour jaillir à notre iris.
Pierre
Soulages vit à Sète. La peinture de Soulages réclame le souffle lent du
contemplatif.
Aucune peinture
n’est présente dans ce livre. Une recherche en ligne en complétera la lecture
pour la question iconographique.
À lire,
si vous aimez l’écriture, la prose poétique, la peinture, l’histoire de l’art.
Extraits :
« Quand on regarde un inconnu à la vitesse de l’éclair,
on voit un ange. Cette vision permet de supporte la découverte banale de sa
mort dans le monde. Voir est la grande affaire. Dans l’exposition au Creusot,
je suis passé dix fois devant ce triptyque et dix fois je l’ai renié. Son peu d’éclat
le protégeait de la paresse de mes regards. » p. 38
« Tes outrenoirs, tu les signes au dos – ainsi nous
ne sommes jamais devant toi, devant ton nom, mais nous sommes face à je ne sais
quoi de laqué, de sculpté, de noir avec des échappées de silence – les sautes
de courroie de la lumière. » p. 47
« La grâce est dans les
intervalles. Dans ce qui se tait et ne descend dans le caveau d’aucune image.
Toi, devant nous comme un outrenoir dernier-né. L’amour – ou l’amitié –, c’est
s’approcher si près du cœur de l’autre qu’on en est à jamais irradié. Étrange d’aimer
un peintre. Je n’aime pas qu’on accroche quelque chose au mur. » p. 73
© Photo, texte du billet,
sauf les extraits de C. Bobin,
Denis
Morin, 2020
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