vendredi 25 octobre 2019

Les hommes grillagés de Martine Roffinella



Martine Roffinella, on ne s’ennuie jamais à la lire. Son œuvre littéraire aborde entre autres l’amour au féminin dont les jeux de séduction et de domination, l’alcoolisme, l’anorexie, le polar, le témoignage de foi. Épatant ! Mais cette fois-ci, l’écrivaine se fait animatrice littéraire en milieu carcéral chez les hommes. Elle nous livre en 2019 ce très beau récit Les hommes grillagés aux Éditions H & O. Audace tant chez l’écrivaine que chez cette maison !

Elle arrive soucieuse du regard des voisins lorsqu’elle attend pour entrer. Est-elle la sœur, la fille, l’épouse de l’un des prisonniers ? Elle transporte avec elle une serviette contenant du papier, des crayons, un Bescherelle. Elle amène aussi avec elle ses certitudes, ses convictions, qui seront peu à peu ébranlées au contact de ces hommes meurtris. Elle leur parle de se refaire une dignité et une liberté, grâce à l’écriture. Le groupe décide d’écrire une pièce de théâtre sur le vécu des taulards. Ils se livreront, mais elle aura tôt remarqué la hiérarchie qui subsiste entre eux entre les murs. Elle accepte de ne pas les juger. Elle se montre empathique sans se laisser envahir par les ombres portées par eux. Elle leur explique que l’écriture peut être un exutoire, une manière de transcender le quotidien. Son regard note le rituel du parloir, des détenus qui se font beaux, des visiteuses surveillées, puis il y a les prisonniers qui en sont privés parce qu’ils auront lancé des injures à un gardien à la mémoire longue. Lors des ateliers, les participants l’écoutent attentivement, puis s’investissent dans l’écriture d’une œuvre commune. À la fin des ateliers, ils préféreront participer une dernière plutôt que d’aller assister à un concert rock tenu au même moment.

Ce livre se clôt avec les prénoms de ces hommes qu’elle remercie, pourtant j’ai l’impression qu’en écrivant à propos d’elle avec eux, c’est elle qui en a appris encore plus à propos de l’humanité via ce microcosme.

Somme toute, Martine Roffinella avec son sens de l’observation, son écoute, son empathie, sa finesse d’esprit aurait été un excellent reporter de guerre ou psychanalyste. Rien de moins.

Extraits :

« J’arrive là comme l’incarnation de l’honnêteté. Sorte d’image diaphane, à mi-chemin entre l’icône et l’œuvre de bienfaisance. Dans mon esprit, l’idée du châtiment mérité, culturellement propre, plane encore. (…) Mes habits d’innocence sont taillés sur mesure. Je me sens irréprochable. Presque humanitaire. Réconfortée d’accomplir une mission du cœur, un don de mon organe le plus précieux : le talent. »

« Pendant que dans le corridor de la Maison d’Arrêt, un défilé de femmes brave le cynisme ambiant, les idées qui traînent, la fouille. Les retenues. Les mots qui glissent d’une bouche à l’autre, sous surveillance. La frontière qui sépare en deux terres étrangères les promesses des uns, et les espoirs des autres. »

« Autres séances, entre sueur et exaltation. Autres jeudis où, artisans de notre vérité, nous érigeons ensemble un bâtiment ouvert, avec une cour de promenade. Notre cour des mots. Tout y circule. L’air se capte par poches chaudes. La connaissance mutuelle se joue là, dans cette étroitesse surveillée. Ce qui fuse appartient au respect. »

© Photo, texte du billet,
    sauf les extraits de Martine Roffinella,
    Denis Morin, 2019

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