Martine Roffinella, on ne s’ennuie jamais à la lire. Son œuvre littéraire aborde
entre autres l’amour au féminin dont les jeux de séduction et de domination, l’alcoolisme,
l’anorexie, le polar, le témoignage de foi. Épatant ! Mais cette fois-ci, l’écrivaine
se fait animatrice littéraire en milieu carcéral chez les hommes. Elle nous
livre en 2019 ce très beau récit Les hommes grillagés aux
Éditions H & O. Audace tant chez l’écrivaine que chez cette maison !
Elle arrive soucieuse du regard des voisins lorsqu’elle attend pour entrer.
Est-elle la sœur, la fille, l’épouse de l’un des prisonniers ? Elle
transporte avec elle une serviette contenant du papier, des crayons, un Bescherelle.
Elle amène aussi avec elle ses certitudes, ses convictions, qui seront peu à
peu ébranlées au contact de ces hommes meurtris. Elle leur parle de se refaire
une dignité et une liberté, grâce à l’écriture. Le groupe décide d’écrire une
pièce de théâtre sur le vécu des taulards. Ils se livreront, mais elle aura tôt
remarqué la hiérarchie qui subsiste entre eux entre les murs. Elle accepte de
ne pas les juger. Elle se montre empathique sans se laisser envahir par les
ombres portées par eux. Elle leur explique que l’écriture peut être un exutoire,
une manière de transcender le quotidien. Son regard note le rituel du parloir,
des détenus qui se font beaux, des visiteuses surveillées, puis il y a les
prisonniers qui en sont privés parce qu’ils auront lancé des injures à un
gardien à la mémoire longue. Lors des ateliers, les participants l’écoutent
attentivement, puis s’investissent dans l’écriture d’une œuvre commune. À la
fin des ateliers, ils préféreront participer une dernière plutôt que d’aller
assister à un concert rock tenu au même moment.
Ce livre se clôt avec les prénoms de ces hommes qu’elle remercie,
pourtant j’ai l’impression qu’en écrivant à propos d’elle avec eux, c’est elle
qui en a appris encore plus à propos de l’humanité via ce microcosme.
Somme toute, Martine Roffinella avec son sens de l’observation, son écoute,
son empathie, sa finesse d’esprit aurait été un excellent reporter de guerre ou
psychanalyste. Rien de moins.
Extraits :
« J’arrive là comme l’incarnation de l’honnêteté.
Sorte d’image diaphane, à mi-chemin entre l’icône et l’œuvre de bienfaisance.
Dans mon esprit, l’idée du châtiment mérité, culturellement propre, plane
encore. (…) Mes habits d’innocence sont taillés sur mesure. Je me sens
irréprochable. Presque humanitaire. Réconfortée d’accomplir une mission
du cœur, un don de mon organe le plus précieux : le talent. »
« Pendant que
dans le corridor de la Maison d’Arrêt, un défilé de femmes brave le cynisme
ambiant, les idées qui traînent, la fouille. Les retenues. Les mots qui
glissent d’une bouche à l’autre, sous surveillance. La frontière qui sépare en
deux terres étrangères les promesses des uns, et les espoirs des autres. »
« Autres séances, entre sueur et
exaltation. Autres jeudis où, artisans de notre vérité, nous érigeons ensemble
un bâtiment ouvert, avec une cour de promenade. Notre cour des mots. Tout y
circule. L’air se capte par poches chaudes. La connaissance mutuelle se joue
là, dans cette étroitesse surveillée. Ce qui fuse appartient au respect. »
© Photo, texte du billet,
sauf
les extraits de Martine Roffinella,
Denis
Morin, 2019
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