Vincent Giudicelli, l’auteur du
superbe roman Cardinal Song, nous revient en septembre 2019 dans la
collection Sauvage avec un recueil de nouvelles intitulé Il faisait beau
et tout brûlait chez Annika Parance Éditeur.
Les artistes ont souvent les
antennes sorties et perçoivent intuitivement des choses – événements et
mouvements sociaux – bien avant le commun des mortels. Au moment de lire ce
recueil, l’été tirait à sa fin sur le Québec pendant que l’Amazonie flambait.
Le titre du recueil conviendrait parfaitement à tous ces négationnistes qui
détournent le regard et ragent de voir une jeune Suédoise de 16 ans militer en
faveur de l’environnement.
Ce livre se compose de trois
nouvelles : Franchies les frontières, Région XII,
Kim.
La première nouvelle concerne une
mère et son fils handicapé de quinze ans. Les deux sont en vacances dans le
secteur d’Hammamet, en Tunisie. Le fils est ravi du cadre enchanteur, mais la
mère est visiblement à bout de souffle. Jusqu’où peut-on aimer à titre d’aidant
naturel ? A-t-on encore une vie ? Compte-t-on encore aux yeux des autres ? La
mère est troublée par le regard compatissant d’une vacancière.
La deuxième nouvelle se déroule à
Punta Arenas, dans la région de Magellan, une ville perdue à la pointe sud du
Chili. Deux frères orphelins ont décidé de s’entraider. Le narrateur veille sur
son frère sourd-muet. Par contre, ce dernier est le plus créatif des deux
frères. Ils y tiennent une cordonnerie. L’amour pourrait être au rendez-vous de
l’autre côté du comptoir.
La troisième nouvelle concerne un
couple de trentenaires en Australie. La narratrice est Kim. Son copain est
Andrew. Ils vivent en banlieue. Kim compare le travail des jeunes employés
dans les cafés peu rémunérés qui doivent sourire et donner du boniment à une
clientèle pas toujours facile à contenter à celui des mineurs. Esclavage
moderne. Elle préfère la vodka, lui les tisanes. On rêve d’un monde meilleur. On
veut s’évader de la routine mortifère et des standards sociaux. On voudrait
troquer le sol ferreux de ce plat pays pour un canyon en Utah. Être libre.
Somme toute, Vincent Giudicelli
se sert de la géographie et des lieux afin de créer des ambiances et
cartographier à sa manière les clairs-obscurs de la psyché humaine. Tout semble
figé d’avance, mais tout ne l’est pas. Cet écrivain peint avec des mots. Sur la
tablette de l’artiste, il y a le texte, les images, les convictions sociales, l’humour,
le cynisme, la tendresse, l’amour, la solidarité. Il se sert de tout cela en
nuances, sans rien imposer. Ses personnages et ses récits, on les porte en soi
après avoir refermé la couverture. J’adore !
Extraits :
« Je ne dis pas ça parce que
je suis sa mère, mais le modèle du fauteuil roulant compte beaucoup dans sa
beauté. C’est la phrase imparable pour choquer ouvertement. Mais les
occasions sont assez rares de l’utiliser et, en général, la seule présence de
mon fils suffit à gêner les types qui s’assoient à ma table ou m’abordent au bar
de l’hôtel. »
« Ce qu’aime Julien dans la vie, c’est
le matériel hi-fi et le tennis. Enfin, la vie… Je devrais dire sa vie.
La vie, c’est à l’extérieur que ça se passe. Autour. Lui, il est coincé dedans.
Et moi, je suis à côté, aussi. Coincée dans ma vie. Parce que coincée dans la
sienne. Imbriquée. Comme vos jambes dans le cadre du vélo après une chute. »
« Dans quelques instants, Benjamin
aura reconnu les mocassins noirs en vente dans la vitrine, il fera vite le tour
par la cour et viendra s’asseoir à côté de moi. Il se penchera vers moi, tête
inclinée, front plissé. Je connais bien ce regard. »
« Tous les agents immobiliers qu’on avait
rencontrés nous avaient sorti le même pipeau. On avait été un peu plus muets
avec lui. Il parlait et on hochait la tête. Gentrification, tu parles. Ça
faisait cinquante ans que ce mot était à la mode. À ce rythme-là, le monde
devrait déjà en train de marcher sur du marbre et se laver les cheveux à l’Evian.
»
© Texte du billet, sauf les extraits de l’écrivain,
Denis Morin, 2019 ;
photo
de couverture, Annika Parance Éditeur, 2019 ;
photo
de l’écrivain, Denis Morin, Vincent Giudicelli, 2019.
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