dimanche 8 septembre 2019

Il faisait beau et tout brûlait de Vincent Giudicelli





Vincent Giudicelli, l’auteur du superbe roman Cardinal Song, nous revient en septembre 2019 dans la collection Sauvage avec un recueil de nouvelles intitulé Il faisait beau et tout brûlait chez Annika Parance Éditeur. 

Les artistes ont souvent les antennes sorties et perçoivent intuitivement des choses – événements et mouvements sociaux – bien avant le commun des mortels. Au moment de lire ce recueil, l’été tirait à sa fin sur le Québec pendant que l’Amazonie flambait. Le titre du recueil conviendrait parfaitement à tous ces négationnistes qui détournent le regard et ragent de voir une jeune Suédoise de 16 ans militer en faveur de l’environnement.

Ce livre se compose de trois nouvelles : Franchies les frontières, Région XII, Kim.

La première nouvelle concerne une mère et son fils handicapé de quinze ans. Les deux sont en vacances dans le secteur d’Hammamet, en Tunisie. Le fils est ravi du cadre enchanteur, mais la mère est visiblement à bout de souffle. Jusqu’où peut-on aimer à titre d’aidant naturel ? A-t-on encore une vie ? Compte-t-on encore aux yeux des autres ? La mère est troublée par le regard compatissant d’une vacancière.

La deuxième nouvelle se déroule à Punta Arenas, dans la région de Magellan, une ville perdue à la pointe sud du Chili. Deux frères orphelins ont décidé de s’entraider. Le narrateur veille sur son frère sourd-muet. Par contre, ce dernier est le plus créatif des deux frères. Ils y tiennent une cordonnerie. L’amour pourrait être au rendez-vous de l’autre côté du comptoir.

La troisième nouvelle concerne un couple de trentenaires en Australie. La narratrice est Kim. Son copain est Andrew. Ils vivent en banlieue. Kim compare le travail des jeunes employés dans les cafés peu rémunérés qui doivent sourire et donner du boniment à une clientèle pas toujours facile à contenter à celui des mineurs. Esclavage moderne. Elle préfère la vodka, lui les tisanes. On rêve d’un monde meilleur. On veut s’évader de la routine mortifère et des standards sociaux. On voudrait troquer le sol ferreux de ce plat pays pour un canyon en Utah. Être libre.

Somme toute, Vincent Giudicelli se sert de la géographie et des lieux afin de créer des ambiances et cartographier à sa manière les clairs-obscurs de la psyché humaine. Tout semble figé d’avance, mais tout ne l’est pas. Cet écrivain peint avec des mots. Sur la tablette de l’artiste, il y a le texte, les images, les convictions sociales, l’humour, le cynisme, la tendresse, l’amour, la solidarité. Il se sert de tout cela en nuances, sans rien imposer. Ses personnages et ses récits, on les porte en soi après avoir refermé la couverture. J’adore !

Extraits :

« Je ne dis pas ça parce que je suis sa mère, mais le modèle du fauteuil roulant compte beaucoup dans sa beauté. C’est la phrase imparable pour choquer ouvertement. Mais les occasions sont assez rares de l’utiliser et, en général, la seule présence de mon fils suffit à gêner les types qui s’assoient à ma table ou m’abordent au bar de l’hôtel. »

« Ce qu’aime Julien dans la vie, c’est le matériel hi-fi et le tennis. Enfin, la vie… Je devrais dire sa vie. La vie, c’est à l’extérieur que ça se passe. Autour. Lui, il est coincé dedans. Et moi, je suis à côté, aussi. Coincée dans ma vie. Parce que coincée dans la sienne. Imbriquée. Comme vos jambes dans le cadre du vélo après une chute. »

« Dans quelques instants, Benjamin aura reconnu les mocassins noirs en vente dans la vitrine, il fera vite le tour par la cour et viendra s’asseoir à côté de moi. Il se penchera vers moi, tête inclinée, front plissé. Je connais bien ce regard. »

« Tous les agents immobiliers qu’on avait rencontrés nous avaient sorti le même pipeau. On avait été un peu plus muets avec lui. Il parlait et on hochait la tête. Gentrification, tu parles. Ça faisait cinquante ans que ce mot était à la mode. À ce rythme-là, le monde devrait déjà en train de marcher sur du marbre et se laver les cheveux à l’Evian. »

© Texte du billet, sauf les extraits de l’écrivain,
    Denis Morin, 2019 ;
    photo de couverture, Annika Parance Éditeur, 2019 ;
    photo de l’écrivain, Denis Morin, Vincent Giudicelli, 2019.

    

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