dimanche 8 juin 2025

Nous renaîtrons peut-être de Hélène Laforest

 

Hélène Laforest signe ici son premier recueil de nouvelles Nous renaîtrons peut-être chez Tête première. J’ai été intrigué par la photo de couverture, soit une maison en ruines comme on peut en voir dans des vestiges de villages abandonnés.

La nouvelle classique prend habituellement le point de vue seul d’une voix narratrice. Hélène Laforest innove en donnant la parole à différents personnages féminins, ce qui enrichit de surcroît les textes.

Une femme loue une maison, une adolescente tente de se rapprocher de sa mère, des amies tentent de redonner vie à une ancienne auberge, deux restauratrices ont pour mandat de revamper un livre hanté par son ultime propriétaire, une dame âgée ne se voit pas abandonner ses plantes chéries, un cercle du nom des Sœurs de douleurs réclame des nouvelles adhérentes en ligne pour qu’elles renoncent à leur passé. Ce sont tous ces thèmes fascinants qui se présentent à notre iris.

Vous l’aurez compris, dans Nous renaîtrons peut-être, nous nageons en plein mystère et ce mystère se constitue de tels délices imprévus. À lire.


dimanche 25 mai 2025

Petite nature de Perrine Leblanc

 

Il était une fois une autrice de talent qui connut le succès et la médisance de certains. Pour se protéger, elle quitta la grande ville et se réfugia dans une maison ancestrale construite jadis par une famille écossaise en Gaspésie où elle connut la sérénité et le goût de créer à nouveau.

Perrine Leblanc vécut cette remise en forme de son intérieur par le silence et l’écriture. Paru chez Marchand de feuilles, Petite nature tient lieu de la chronique personnelle. De l’insulte, elle renverse la vapeur et reprend le contrôle de sa destinée créatrice.

Elle décrit les saisons dans cette maison aux infiltrations d’air salin, le feu qui crépite au foyer, le chat qui se love sur un coussin, le choix de la laine et des thés dont seront faits une matinée. Les tricots et les mots sont sa cote de maille contre l’adversité et la bêtise humaine.

Les courts chapitres portent le nom d’une plante, d’une couleur, d’une émotion pour ponctuer des moments de vie. Son écriture est une eau limpide mise à bouillir. On en retire une infusion aux arômes de lavande et de rose ancienne. Bref, ce livre méditatif est un délice !

 

 

 


dimanche 18 mai 2025

Azulejo vivo de O Gringo

 

Lors de mon séjour à Lisbonne, j’ai pu visiter le Musée national de l’azulejo établi dans un ancien monastère de Clarisses.

L’azulejo est la céramique à motifs divers figuratifs ou géométriques présente au Portugal, en Espagne et au Brésil. On s’en sert pour recouvrir des murs, des sols afin de rehausser la beauté d’un bâtiment. L’effet est toujours réussi.

À la boutique-souvenir, j’ai eu un coup de cœur pour ce livre Azulejo vivo, un ouvrage trilingue portugais, français, anglais paru en 2024 chez Objecto anonimo.

Les textes de ce magnifique album sont de Bastien Tomasini alias O Gringo, nom d’artiste de ce jeune Provençal fasciné par le Portugal. Ce peintre réinvente la manière de présenter la céramique, tout en mettant en valeur la culture portugaise par le choix de thèmes : amour, visages, mains, marins, vendeuses de poisson, animaux tels que le bœuf, le cheval lusitanien, le paon.

Il imprime ses photos sur les carreaux, qu’il retouche ensuite au fusain, à la peinture vaporisée ou appliquée au pinceau.

Quant au texte, c’est un voyage dans la culture portugaise et dans l’imaginaire sensible de ce créateur.

Ce livre est une parcelle de Lisbonne dans mon salon. Je vous en recommande la découverte visuelle et littéraire.

 

 


dimanche 11 mai 2025

Je ne suis pas une nature morte de Vava Sibb

 

Je ne suis pas une nature morte est un recueil de nouvelles paru en 2025 aux Éditions La Pleine Lune. Son autrice est Vava Sibb que je découvre via ses textes où l’on se promène au MoMa, au musée d’Orsay, au Louvre, en compagnie d’êtres qui ont changé de vie en devenant gardien de musée.

Là où le public visiteur ne voit avec indifférence en eux et en elles que d’ennuyeux surveillants de salles, ce personnel d’institutions culturelles est fait de chair, d’os et de sentiments. Ils et elles observent, décodent l’admiration et la fascination des uns et des autres face à tel ou tel chef d’œuvre de l’histoire de l’art. Le vécu de ces employé.e.s trouve aussi un écho dans ces toiles, comme si ces tableaux devaient leur livrer des secrets à l’iris et leur tendre la main.

La lecture du recueil Je ne suis pas une nature morte me rappelle le magnifique roman Vers la beauté de David Foenkinos.

Mes nouvelles préférées sont Horizontalité des sentiments en lien avec Le Baiser de Klimt et Sombres illuminations d’après La Nuit étoilée de Van Gogh.

Vava Sibb maîtrise très bien la concision et l’inattendu de la chute finale, le tout étant exigé par la nouvelle. J’en aurais pris encore. À bientôt, souhaitons-le.


dimanche 4 mai 2025

Morceaux de tempête de Henri Chassé

 

En 2008, Henri Chassé récidivait en poésie avec son recueil Morceaux de tempête paru chez Écrits des Forges.

Ses poèmes sont faits de souvenirs heureux ou pas, d’attentes, de fusions et de mains qui se détachent dans le froid du matin.

La mort s’annonce déjà au programme, la sienne et la fin des étreintes. Tout s’effondre et s’effrite autour de lui. Le poète balance un mot doux rédigé sur une retaille de papier lavande dans les cendres encore chaudes du foyer.

L’ivresse de la veille tourne à l’amertume du réveil trop brutal. Le poète songe déjà à boire plus tard encore pour repousser les nuages lourds de la mélancolie. À l’instant même, le museau du chien vieillissant l’invite à la marche aux alentours. Routine rassurante oblige.

Toutefois, malgré les déconvenues, le poète se dit que l’amour et la candeur de l’enfance sont et seront les remèdes à la morosité. Après la tempête, le ciel s’éclaire et la grève du fleuve se dessine. Tout semble possible.

Henri Chassé est un poète et un romancier à découvrir.

Extrait :

Un bateau gris

ouvre son ventre

plein de récifs


samedi 26 avril 2025

Secrets blanchis de Henri Chassé

 



Qu’il s’agisse de jouer un rôle, de donner des indications de mise en scène ou de voir le monde devant lui se charger d’images, Henri Chassé apprécie les mots et la parole.

Ainsi, il a écrit en 2003 Secrets blanchis, recueil de poésie publié aux Écrits des Forges.

L’écriture en couverture inclinée vers l’ouest dénote une certaine nostalgie. Le poète parcourt des rivages et des rues. Malgré une apparente lenteur des gestes, sa vie est dans le mouvement. Le temps de l’enfance et celui des premiers émois amoureux sont derrière lui. Résolument romantique, même si ce mot suranné semble tombé en désuétude, le poète continue d’espérer derrière un rideau de pluie fine.

Il aspire à la passion fusionnelle en plongeant dans le regard et le corps de l’autre. Sa survie en dépend. Le poète veut être au diapason et son cœur bat au rythme de la tendresse.

Il est souvent difficile de commenter la poésie, puisqu’elle se constitue d’images, d’impressions et d’émotions et que le tout demeure subjectif.

La poésie d’Henri Chassé est un très beau voyage vers le cœur des êtres. J’aime beaucoup.

Extrait :

Je cherche ton odeur

dans les parfums du fleuve

une parcelle de toi

dans un morceau de vent

 

 

 


dimanche 30 mars 2025

La crypte de Saint-Maximin de Bruno Carpentier

 

Bruno Carpentier possède une double spécialisation, c’est-à-dire qu’il écrit du roman policier et que les enquêtes de ses polars se situent toujours en Provence. Ainsi, le lectorat parcourt allègrement la région.

Dans ce roman-ci, La crypte de Saint-Maximin, Bruno Carpentier publié chez Melmac, dans la collection Esprit noir, nous transporte dans la crypte de la Basilique de Saint-Maximin où Janette Mouriès, clocharde dévote et diseuse de bonne aventure est assassinée. Pour quels motifs ? Quels secrets détenait-elle ?

Le commandant Cosentino aidé de l’adjudant Martin auront en dix jours à élucider cette affaire et à nous révéler l’identité du meurtrier.

L’enquête est menée très habilement par notre écrivain, mais ce qui m’a d’autant plus ravi ce sont les chapitres très poétiques Toi, entre Sainte-Baume et Argens où Jésus parle à Marie-Madeleine et Le chemin de Damas avec l’arrivée des disciples dans le Midi de la France pour échapper aux persécutions des Romains. Nous avons droit là aux prémices d’un autre récit qui, espérons-le, verra le jour.

Merci à Bruno Carpentier pour ce polar bien ficelé et divertissant. Je vous en recommande la lecture.

 

 


vendredi 7 mars 2025

Paul-Émile Borduas, tableaux d'une vie de Jules Richard

 

Il y a des gens qui se souviennent et Jules Richard est de ceux-là. La communication et l’écriture le fascinent depuis toujours. Ainsi, il vient de faire paraître Paul-Émile Borduas, tableaux d’une vie aux Éditions Somme Toute.

Et c’est effectivement en 30 brefs tableaux écrits dans un style très fluide que la vie du peintre défile devant nos yeux. Le peintre est né dans une modeste maison à Mont Saint-Hilaire le 1er novembre 1905 et mourut seul le 22 février 1960 dans l’atelier mal chauffé du 19, rue Rousselet, dans le 7e arrondissement à Paris. Il vécut aussi rue Napoléon à Montréal, de même qu’à New- York.

Quand on pense à Paul-Émile Borduas, on songe au Refus global, manifeste signé par un groupe d’artistes du Québec épris de liberté et étouffants dans une société trop conservatrice, ce qui annoncera en avance la Révolution tranquille. Plus récemment, le peintre Paul-Émile Borduas est mentionné dans La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette.

Au fait, qui se rappelle qu’il fut l’élève du peintre Ozias Leduc et le professeur de Jean Paul Riopelle ? Ce dernier connut la gloire alors que son maître en arts connut l’amertume et l’oubli.

Merci à Jules Richard de s’être acquitté avec brio de cette biographie si essentielle. 

 

 

 

 


mercredi 26 février 2025

L'un l'autre de Hervé Richard

 

J’imagine le poète Hervé Richard en train de ranger ses dossiers en cours pour une ONG humanitaire. Il regarde furtivement ses derniers courriels avant d’éteindre son appareil. Les ciels gris-bleu d’Allemagne incitent ce Français d’origine à se replier dans son monde intérieur. Il quitte le bureau en silence. Il mène sa vie sans bruit, selon toute apparence.

À l’image de sa poésie intimiste habituelle, L’un l’autre, recueil paru chez Bookelis, ne fait pas exception à la règle. Qu’il soit lu beaucoup ou peu n’est pas l’essentiel de sa démarche d’écriture. Il s’exprime, il affirme, il pense et s’émeut.

Sa petite musique très agréable à lire et à relire contient les notes des aveux que l’on dit à soi et que l’on murmure à l’autre, qu’il soit un être aimé ou un lecteur.

Les vers dépouillés et brefs sont de l’ordre du ressenti. À ses mots, il me plaît d’ajouter les cernes d’une coupe sur un napperon, la bouilloire qui siffle l’heure d’une infusion parfumée, une chanson de Barbara que le poète fredonne en choisissant un stylo et un papier sur lequel il écrira un poème comme une déclaration.

Loin de lui l'idée de figer son propos en une certitude. Il n’impose pas une conviction, il suggère plutôt une émotion.

À chaque fois que j’ai eu le plaisir de lire et relire un recueil d’Hervé Richard, je perçois cette agréable valse entre le cœur et la tête. Somme toute, Hervé Richard est un poète à découvrir.

Extrait :

tous les chemins vont à la mer

que restes-tu là à attendre

car les chemins ils vont se rendre

à l’évidence et à la mer.


mercredi 12 février 2025

Une fête d'enfants de Michel Marc Bouchard

 

Dès le début du riche texte de la pièce Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard parue chez Leméac, nous plongeons d’emblée dans les propos exquis de Claire, cette dentiste à la retraite qui se grise à respirer la forte odeur de la colle de ses collages artistiques, déclarant son admiration face à l’artiste allemande Hannah Höch. Nous sommes ravis du dévouement bienveillant de Nicolas, le mari et père attentionné, de loin le personnage le plus équilibré de cette histoire fascinante d’entrecroisement de réalité et de fictionnel.

D’une beauté plastique totalement étudiée, David révèle de son côté un narcissisme doublé d’une quête inatteignable de la perfection. L’important consiste pour lui de donner une image parfaite : de lui-même, de son couple homosexuel, de sa petite famille hors norme dans un contexte hétéro normatif où la barre est haute. Aucun faux pas n’est permis, même si sa mère l’a toujours trouvé inintéressant et vide, sa quête d’une vie complètement instagrammable est au cœur de sa complexité.

Au-delà du texte maîtrisé et des répliques savoureuses, dans la pertinence et l’humour auxquels nous a habitué Michel Marc Bouchard, cette pièce nous amène à réfléchir sur la portée du narcissisme dans notre société occidentale où l’ego portrait annonce le prétendu bien-être, la prospérité, dans le but ultime d’une montée sur le podium de la réussite. Et si cette image lisse sans tache et sans buée apparente cachait des failles qui s’agrandissent au jour le jour au point de l’éclatement, du découpage à la déchirure ? 

J’ai bien sûr vu et grandement apprécié la pièce présentée à l’aube de 2025 au Théâtre du Nouveau Monde dans une mise en scène de Florent Siaud, interprétée brillamment par Sylvie Drapeau, Iannicko N’doua et François Arnaud, magnifiée par le fabuleux visuel de Félix Fradet-Faguy. Au théâtre, l’art du vivant nous fait vivre l’instant comme il est rare de le faire à notre époque préenregistrée. Toutefois, il me plaît toujours de lire des pièces de théâtre pour le plaisir d’explorer le monde par le biais primordial du texte et de la psychologie des personnages. Selon moi, les textes de théâtre eux-mêmes, pour lesquels Leméac continue cet immense travail de mémoire, ont leur place entière en littérature et devraient être lus, enseignés et promus en tant que tels. Quand le texte est à ce point achevé, le théâtre est un formidable objet de littérature.

Et pour clore ce billet, lançons un défi à Michel Marc Bouchard de considérer la possibilité d’écrire un recueil de nouvelles ou un roman. Son sens littéraire et sa grande intelligence pourraient sans nul doute se déployer en souffle romanesque. Parfois, les nouveaux défis transcendent vers une excellence renouvelée.


dimanche 2 février 2025

Ciels parallèles de Henri Chassé

 

J’imagine l’acteur entre deux répétitions, entre deux rôles. Assis au salon avec vue sur un paysage enneigé, il écrit un poème, suivi d’une réplique entendue le soir d’avant au théâtre qui l’avait laissé songeur. Il pose son stylo sur la table à café. Soudainement, il lui vient à l’esprit que nous évoluons tous les uns les autres en une immense constellation pour différentes raisons hors de toute logique apparente. Puis, il s’endort. Dans son songe, une voix lui souffle la piste des ciels parallèles.

* 

L’acteur, poète et romancier a fait paraître Ciels parallèles, son premier titre aux Éditions Mains libres précédant son autre parution, Le trophée. Il nous présente ici des vies parallèles par cette histoire aux nombreuses références de jazz, ce qui nous donne justement l’envie d’en écouter en cours de lecture.

Thomas le disquaire apprend par sa tante Claire que sa mère Marguerite vient de mourir.

Geneviève, ayant grandi chez ses grands-parents, entretient un rapport distant avec Élisabeth plus préoccupée par sa carrière d’enseignante universitaire que par sa maternité.

Élisabeth en deuil écrit des lettres à son jumeau Alex disparu dans une avalanche.

Lester Brown, saxophoniste de jazz, tombera amoureux d’Élisabeth.

Pour le reste, ne jouons pas au divulgâcheur en vous donnant toutes les clés de compréhension.

En fait, ce superbe roman traite des liens noués ou dénoués qui nous unissent, qu’on le veuille ou non. Le hasard, ce fabuleux magicien fera en sorte d’attirer tel un formidable aimant les êtres les uns vers les autres, au gré des rendez-vous et des épiphanies de l’existence.

Henri Chassé possède un grand respect pour ses personnages. Sa plume pudique et sincère cerne très bien la nature humaine en fin observateur, reconnaissant ainsi que le hasard et les coïncidences donnent parfois un sens à nos vies.