mercredi 12 février 2025

Une fête d'enfants de Michel Marc Bouchard

 

Dès le début du riche texte de la pièce Une fête d’enfants de Michel Marc Bouchard parue chez Leméac, nous plongeons d’emblée dans les propos exquis de Claire, cette dentiste à la retraite qui se grise à respirer la forte odeur de la colle de ses collages artistiques, déclarant son admiration face à l’artiste allemande Hannah Höch. Nous sommes ravis du dévouement bienveillant de Nicolas, le mari et père attentionné, de loin le personnage le plus équilibré de cette histoire fascinante d’entrecroisement de réalité et de fictionnel.

D’une beauté plastique totalement étudiée, David révèle de son côté un narcissisme doublé d’une quête inatteignable de la perfection. L’important consiste pour lui de donner une image parfaite : de lui-même, de son couple homosexuel, de sa petite famille hors norme dans un contexte hétéro normatif où la barre est haute. Aucun faux pas n’est permis, même si sa mère l’a toujours trouvé inintéressant et vide, sa quête d’une vie complètement instagrammable est au cœur de sa complexité.

Au-delà du texte maîtrisé et des répliques savoureuses, dans la pertinence et l’humour auxquels nous a habitué Michel Marc Bouchard, cette pièce nous amène à réfléchir sur la portée du narcissisme dans notre société occidentale où l’ego portrait annonce le prétendu bien-être, la prospérité, dans le but ultime d’une montée sur le podium de la réussite. Et si cette image lisse sans tache et sans buée apparente cachait des failles qui s’agrandissent au jour le jour au point de l’éclatement, du découpage à la déchirure ? 

J’ai bien sûr vu et grandement apprécié la pièce présentée à l’aube de 2025 au Théâtre du Nouveau Monde dans une mise en scène de Florent Siaud, interprétée brillamment par Sylvie Drapeau, Iannicko N’doua et François Arnaud, magnifiée par le fabuleux visuel de Félix Fradet-Faguy. Au théâtre, l’art du vivant nous fait vivre l’instant comme il est rare de le faire à notre époque préenregistrée. Toutefois, il me plaît toujours de lire des pièces de théâtre pour le plaisir d’explorer le monde par le biais primordial du texte et de la psychologie des personnages. Selon moi, les textes de théâtre eux-mêmes, pour lesquels Leméac continue cet immense travail de mémoire, ont leur place entière en littérature et devraient être lus, enseignés et promus en tant que tels. Quand le texte est à ce point achevé, le théâtre est un formidable objet de littérature.

Et pour clore ce billet, lançons un défi à Michel Marc Bouchard de considérer la possibilité d’écrire un recueil de nouvelles ou un roman. Son sens littéraire et sa grande intelligence pourraient sans nul doute se déployer en souffle romanesque. Parfois, les nouveaux défis transcendent vers une excellence renouvelée.


dimanche 2 février 2025

Ciels parallèles de Henri Chassé

 

J’imagine l’acteur entre deux répétitions, entre deux rôles. Assis au salon avec vue sur un paysage enneigé, il écrit un poème, suivi d’une réplique entendue le soir d’avant au théâtre qui l’avait laissé songeur. Il pose son stylo sur la table à café. Soudainement, il lui vient à l’esprit que nous évoluons tous les uns les autres en une immense constellation pour différentes raisons hors de toute logique apparente. Puis, il s’endort. Dans son songe, une voix lui souffle la piste des ciels parallèles.

* 

L’acteur, poète et romancier a fait paraître Ciels parallèles, son premier titre aux Éditions Mains libres précédant son autre parution, Le trophée. Il nous présente ici des vies parallèles par cette histoire aux nombreuses références de jazz, ce qui nous donne justement l’envie d’en écouter en cours de lecture.

Thomas le disquaire apprend par sa tante Claire que sa mère Marguerite vient de mourir.

Geneviève, ayant grandi chez ses grands-parents, entretient un rapport distant avec Élisabeth plus préoccupée par sa carrière d’enseignante universitaire que par sa maternité.

Élisabeth en deuil écrit des lettres à son jumeau Alex disparu dans une avalanche.

Lester Brown, saxophoniste de jazz, tombera amoureux d’Élisabeth.

Pour le reste, ne jouons pas au divulgâcheur en vous donnant toutes les clés de compréhension.

En fait, ce superbe roman traite des liens noués ou dénoués qui nous unissent, qu’on le veuille ou non. Le hasard, ce fabuleux magicien fera en sorte d’attirer tel un formidable aimant les êtres les uns vers les autres, au gré des rendez-vous et des épiphanies de l’existence.

Henri Chassé possède un grand respect pour ses personnages. Sa plume pudique et sincère cerne très bien la nature humaine en fin observateur, reconnaissant ainsi que le hasard et les coïncidences donnent parfois un sens à nos vies.